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C. UN BOULEVERSEMENT DU SYSTÈME SOLIDAIRE DE SANTÉ

2. L’impact sur l’organisation de l’assurance-maladie

L’évolution de l’assurance-maladie inquiète certains experts comme M. Didier Tabuteau (2) : « philosophiquement, le modèle actuel repose sur un voile d’ignorance : tout le monde cotise au cas où. On ignore ce qui va nous arriver, on entre dans la plupart des pays d’Europe dans une assurance maladie obligatoire et solidaire et l’on cotise à proportion de ses revenus. La médecine personnalisée déchire ce voile d’ignorance et change considérablement la donne. La multiplication des informations réduit la zone d’ignorance et peut induire des effets terribles sur l’organisation de l’assurance-maladie. Des populations à risques connus plus faibles que d’autres, pourraient demander une tarification en fonction du risque ».

L'assurance maladie est concernée par ces médicaments de niche si coûteux. Ils sont pour l'instant peu nombreux et concernent très peu de patients, mais la montée en charge est grande. L’assurance-maladie doit-elle continuer à tarifer systématiquement des produits, ou doit-elle entrer dans une réflexion sur des tarifications de protocoles, ou même de résultats thérapeutiques ? Certes, selon le Pr Laurent Degos (3), « il faut promouvoir cette médecine personnalisée, mais aussi s'interroger sur le prix qu'elle représente, et essayer de conforter les

(1) Oncologue, directeur honoraire de l’Institut Gustave Roussy, audition publique du 25 juin 2013.

(2) Conseiller d’État, responsable de la chaire de politique de santé de l’IEP, audition publique du 25 juin 2013.

(3) Ancien président de la HAS, membre de l’Académie des Sciences, audition publique du 25 juin 2013.

laboratoires pharmaceutiques à ne pas abandonner les traitements des grandes populations ».

Pour M. Didier Tabuteau (1), « Si ces thérapeutiques restent à la marge, très spécialisées, localisées, elles ne modifieront pas le fonctionnement du système quand elles s’y intègreront. En revanche, si cette approche de la médecine concerne progressivement de 5, 10, 30 % du système de santé, elle produira des bouleversements considérables ».

La médecine préventive incluse dans la médecine personnalisée apparaît comme une solution à long terme contre l'explosion des dépenses de santé car il est beaucoup moins cher de dépister et de prévenir une maladie que de la traiter lorsqu'elle s'est déclarée. « Cela aurait aussi un impact sur le remboursement des médicaments, car il est probable qu'à l'avenir, les systèmes de la santé ne paieront plus pour des médicaments, mais pour des résultats. », relève Mme Hélène Gaumont-Prat (2).

a. La restructuration de l’offre de soins

La médecine personnalisée se traduit inévitablement par une hyperspécialisation de l’offre de soins et incite à la création de grands centres nationaux, ou de centres très spécialisés. Elle pose la question de l’évolution des plateaux techniques et du système hospitalier dans son ensemble. Si elle devient une part significative de l’activité médicale, elle peut conduire à une restructuration considérable du système hospitalier et même du système de soins.

Le parcours de soins sera plus complexe dans une médecine hyperspécialisée du fait de la personnalisation des thérapeutiques ou des processus de prise en charge. On assistera sans doute à l’émergence de pôles de compétences, sur le modèle des cancéropôles avec des centres d’analyses de génétique et d’autres systèmes. « Pour les thérapeutiques les plus complexes et les plus liées à la personne, on peut s’interroger sur la façon dont la séquence prise en charge-soins-élaboration des produits- administration au patient, s’organisera.

Respectera-t-on toujours une séparation franche entre les entreprises pharmaceutiques, celles de dispositifs médicaux, et les prestataires de soins ?», se demande M. Didier Tabuteau (3).

Ces évolutions se traduiront par l’émergence d’un besoin accru d’orientation médicale et d’accompagnement performant, difficile à organiser dans un système peu régulé comme le système français. Il faudra se prémunir contre la tentation d’acteurs plus ou moins bien intentionnés de tenir ce rôle

(1) Conseiller d’État, responsable de la chaire de politique de santé de l’IEP, audition publique du 25 juin 2013.

(2) Professeur de droit privé, Université Paris VIII, directeur du Master Propriété industrielle et industries de santé, Réflexions sur l'étude « les enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée » de l'OPECST Petites Affiches, 3 Octobre 2013, n° 198.

(3) Conseiller d’État, responsable de la chaire de politique de santé de l’IEP, audition publique du 25 juin 2013.

d’accompagnement par le coaching ou le conseil à des fins purement économiques. Qui sera à l’origine de l’orientation du patient ? Le médecin généraliste et/ou le médecin référent ? Sera-t-il chargé du suivi du patient qui consultera dans de grands centres spécialisés ?

La médecine personnalisée remet en cause des frontières traditionnelles, les distinctions prévention-soins, actes-produits, médicaments-dispositif médical.

Ces frontières, ces concepts structurent l’organisation administrative et juridique du système de santé en France et fonde les définitions, les processus d’autorisation, de contrôle, d’évaluation figurant dans le code de la santé publique ou de la sécurité sociale. « Il faudra donner un statut juridique ou administratif à des pratiques beaucoup plus complexes que celles auxquelles nous étions habitués, et c’est toujours difficile », souligne M. Didier Tabuteau.

b. Résister à la tentation d’une assurance-maladie conditionnelle.

Plus on multiplie les informations sur la connaissance du risque et les moyens d’y pallier, plus la tentation de lier l’assurance-maladie au comportement du patient sera forte : le risque de remise en cause de la médecine de solidarité entre les biens portants et les malades risque d’augmenter, dans une période de contraintes fortes sur l’assurance-maladie. Plus le comportement individuel, le suivi personnel en temps réel de la prévention sera possible, étayé scientifiquement, diffusé publiquement, plus pourra exister la tentation de lier la prise en charge aux risques connus et aux comportements des patients.

Cette assurance maladie conditionnelle était jusqu’à présent extrêmement restreinte en France. Le droit des affections de longue durée (ALD) permet depuis longtemps de subordonner la prise en charge à 100 % à des conditions d’observance et de comportement et de la supprimer si elles ne sont pas respectées. Mais en pratique ce n’est pas utilisé.

Cependant on observe déjà à l’étranger des assurances privées qui personnalisent la tarification du risque et évoluent en fonction du risque et de l’observance du traitement par le malade. Certains systèmes introduisent un lien entre le comportement et la prise en charge, ce qui est porteur de très profondes inégalités sociales et socioculturelles. Si elles ne sont pas prohibées, ces pratiques se développeront. Cela est d’autant plus inquiétant que ces processus conduisent à la banalisation et la dissémination des centres utilisateurs et détenteurs de données sensibles. Les transferts d’informations multiplieront les risques d’atteinte au secret des données médicales.

Il faudra donc mesurer ce qui est supportable par l’assurance-maladie, s’orientant vers une approche bénéfice/risque raisonnable, ce qui est le plus utile en termes de santé publique explique M. Didier Tabuteau (1).

(1) Conseiller d’État, responsable de la chaire de politique de santé de l’IEP, audition publique du 25 juin 2013.

III. GARANTIR L’ÉQUITÉ ET L’INFORMATION DES CITOYENS FACE AUX