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PARTIE II : CADRE THEORIQUE

Chapitre 3. Les représentations du risque et les savoir-faire professionnels

4.1. Faciliter la mise en mots de savoirs et représentations

4.1.3. L’image pour voir et pour dire

L’introduction de la vidéo dans les recherches sur le travail s’est faite autour de deux objectifs distincts, même s’ils sont souvent conjugués : l’un orienté vers le « voir » (l’image aide l’analyste à saisir l’activité) et l’autre vers le « dire » (l’image aide la parole du travailleur) (Lacoste, 1997). En effet, l’image est une aide documentaire pour l’analyse, puisque d’une certaine manière, cette analyse permet de saisir ce qui ne se voit pas à l’œil nu (Béguin, 1997a). Elle permet de visionner un geste plusieurs fois, mais elle n’est utilisable que parce qu’elle permet d’articuler deux temps de la démarche : traitement d’analyse qualitatif (ou quantitatif) des comportements observés et support d’échange. En effet, l’image vidéo sans sa confrontation à l’opérateur est trop réductrice pour approcher la dimension du travail qu’est l’activité, souvent occultée et dont tout n’est pas visible (Béguin, ibid.). C’est à travers les échanges qui se mettent en place autour des images qu’un sens peut leur être donné. L’image constitue également une aide pour que l’opérateur puisse mettre en mots son activité. Par définition, les productions verbales sur le travail sollicitées par l’intervenant ne sont pas spontanées. Nous avons vu que les connaissances, les savoirs, les représentations mises en jeu pendant le travail sont difficilement verbalisables (Odonne et al., 1981 ; Schwartz, 1989 ; Boutet, 1995). L’usage d’un « support matériel d’évocation de l’action » (Béguin, ibid.) est une condition minimale pour aider cette mise en mots et l’image facilite la production d’un discours sur le travail. L’image par les échanges qu’elle suscite avec le chercheur-intervenant permet à l’opérateur de se voir en activité et d’y découvrir des éléments nouveaux. La psychologie et l’ergonomie utilisent la confrontation à des enregistrements audio et vidéo des activités comme outil pour faciliter un retour réflexif sur l’activité en cours. Ces disciplines visent également la résolution des contradictions et l’expansion du système d’activité concerné par un développement à la fois de l’activité et de ses participants (Engeström, 1999 dans Cahour & Licoppe, 2010).

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La clinique de l’activité développe l’objectif de créer un « espace-temps », où les opérateurs, exposés à l’image de leur propre travail, mettent d’abord celui-ci en mots en tant que spectateurs, puis deviennent acteurs lorsqu’ils découvrent les difficultés et les impossibilités à verbaliser ce qui ne se voit pas (Clot, 2008). Il s’agit, à l’aide d’une « auto-confrontation simple », de proposer au travailleur un contexte nouveau dans lequel il devient l’observateur extérieur de son activité et adopte une posture analytique en présence d’un tiers. Dans le cadre d’une « auto-confrontation croisée », Clot (1999), inspiré des travaux de Vygotski (1934-1997), utilise comme des outils, l’échange dialogique entre pairs et la possibilité de provoquer des débats, voire des controverses. Cahour & Licoppe (2010) soulignent que ce qui est visé est le développement de compétences individuelles, par la confrontation, éventuellement conflictuelle, des points de vue sur l’expérience, ainsi que le travail de traitement de ces controverses, pour interroger et enrichir savoirs et savoir-faire. Les débats et controverses suscités par les auto-confrontations croisées sont alors considérés comme des ressources pour le développement de l’activité et du « pouvoir d’agir » (Clot, 2008).

Baratta (1997), utilise l’image pour avoir accès à la parole des salariés. Il cherche la mise en relation des images avec la parole des travailleurs pour comprendre ce que fait et vit réellement la personne qui travaille. Il conjugue auto-confrontations individuelles et confrontations collectives afin de passer du discours général sur le travail à une verbalisation plus précise sur la nature et les mobiles qui guident les différentes actions. La restitution collective des images et des paroles singulières de chaque opérateur permet à chacun de trouver la légitimité de sa parole individuelle. C’est dans cette confrontation du singulier au pluriel, que progressivement s’élabore cette parole « du dedans », pour devenir une parole collective qui peut se faire entendre à l’extérieur de ce collectif. Cette méthodologie vise à construire un point de vue collectif sur les conditions de travail (Ribert-Van de Weerdt & Baratta, 2016). La temporalité de sa démarche, qui conjugue plusieurs formes d’entretiens, permet également de laisser le temps aux opérateurs de construire et d’énoncer leurs propres savoirs sur le travail et favorise la posture réflexive.

C’est dans cette pluralité de points de vue sur l’utilisation de la vidéo que la méthodologie ergotoxicologique (Garrigou, 2011) propose de coupler des images de l’activité à des mesures physiologiques (fréquence cardiaque, par exemple) ou physiques (concentrations de certains composés) en mettant en œuvre différents outils qui permettent la synchronisation des mesures avec des observations vidéo ou méthode qualifiée de VEM pour Video Exposure Measurement. Les premières utilisations de la VEM ont été faites par les hygiénistes du travail au milieu des

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années 1980, pour améliorer l’interprétation de leurs mesures et répondre à une problématique de compréhension des expositions (Rosén et coll., 2005). En effet, certains résultats de mesures présentés sous forme de courbes ne permettaient pas de comprendre une exposition et surtout de la corréler avec différentes phases du travail. Actuellement, plusieurs logiciels permettent de synchroniser, sur la même base temporelle, des observations d’une situation de travail et des mesures. Par exemple CAPTIV© (Centrale d’Acquisition de la Pollution au Travail Informée par Vidéo), un outil développé par l’INRS (Martin et al., 2011), permet le couplage des données de mesures et d’observation et le codage des observables vidéo pour une analyse fine de l’activité. La présentation de la vidéo synchronisée avec des mesures joue un rôle déterminant pour des actions de prévention (Judon et al., 2016). Visualiser son exposition à des pics de concentration chimique tout en visionnant son activité, permet à l’opérateur une autre approche du risque chimique. La mesure est alors considérée comme un moyen de réinterroger cette activité (Garrigou, 2011 ; Kloestler et al. 2015). Au niveau collectif, cette méthodologie permet de réaliser une mise en débat des pratiques et pourrait mener à une transformation des représentations associées aux activités de travail comme l’envisageait Garrigou (2011).