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PARTIE II : CADRE THEORIQUE

Chapitre 3. Les représentations du risque et les savoir-faire professionnels

4.5. L’Objet Intermédiaire mobilisé en ergonomie comme « facilitateur de dialogue »

4.5.1. En ergonomie, pour la conception

De nombreux travaux en ergonomie ont mobilisé l’OI afin de rendre compte de différents types de support permettant de faciliter les interactions entre acteurs lors de projet de conception, mais plus rarement en prévention

Béguin (1994), parle de l’objet intermédiaire (OI) comme d’un point d’articulation entre le travail individuel et le travail collectif. D’une part, l’OI doit pouvoir s’inscrire dans l’activité individuelle et permettre une médiation entre le concepteur et l’objet en cours de conception, d’autre part, il doit être également un instrument du collectif.

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Garrigou et al. (2001) s’intéressent à la contribution de l’ergonomie aux processus de conception et aux enjeux de la coopération entre concepteurs. Ils rappellent la dimension collective et les interactions au sein du processus de conception et soulignent le rôle de traduction des OI. Dans le cadre des recherches de ces auteurs, les OI permettent des interactions structurées entre les différents acteurs et sont transformés à la suite de ces interactions.

Broberg, Andersen, Seim (2011) ont montré qu'introduire la notion d'objet-frontière (au sens de Star et Griesemer, 1989) permettait de mieux comprendre le rôle des objets dans l'ergonomie participative relative aux processus de conception. Les auteurs soutiennent que la sélection d’objets-frontières dans les processus d’ergonomie participative est essentielle car les objets facilitent la participation et l’implication de différents acteurs, donc une conception collaborative. Ils sont nécessaires pour créer un langage commun qui permet aux connaissances et aux idées de tous les participants d’être représentés. A partir de deux études de cas et à travers cinq objets présentés lors d’un processus de conception participative, 1/de l’utilisation de nouvelles technologies dans un atelier de fabrication et 2/de nouveaux espaces de travail dans la fonction publique, ils décrivent certaines caractéristiques des objets, leur contexte d’utilisation et ce qu’ils produisent :

- Ces objets sont créés à travers l’action des participants, fabriqués dans l’action (« objects- in-the-making »)

- Ils doivent être capables de suggérer leur propre utilisation (« built-in-affordance ») - Ils doivent être flexibles et malléables

- Leur utilisation requiert des règles et des instructions

- Un facilitateur doit accompagner leur utilisation (“a facilitator”), sélectionnant les OI, développant les règles et les instructions et guidant les ateliers de travail dans lesquels les objets sont utilisés.

- Ils sont utilisés et s’établissent dans un espace temporaire d’apprentissage au sein de l’organisation de travail (« temporary learning space »). Cette configuration facilite l’effacement temporaire des structures organisationnelles ainsi que le rôle auquel les participants sont astreints quotidiennement. Cet aménagement permet d’amorcer un processus d’apprentissage entre différentes communautés de pratiques (Wenger, 2000 cité par Broberg, et al., 2011)

- Le lieu (« location ») où les discussions se déroulent autour des objets doit être choisi avec attention. Il doit être le plus neutre possible, ne pas être habituel pour certains acteurs, s’il est singulier pour d’autres.

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- La finalité de la mise en œuvre de ces objets est concrète. Elle a pour objectif de prolonger la démarche participative. Ces objets doivent pouvoir circuler au sein de l’organisation et servir de supports physiques à présenter aux autres acteurs (« materialized and circulated »).

Les objets intermédiaires peuvent également être mobilisés lors des processus de conception de modules de vie et de travail sur les plateformes offshore (Conceição et al., 2012). L’objectif de ce projet de recherche était de construire un support permettant de soutenir des analyses, des discussions, des suggestions et des validations entre différents acteurs. Au départ de ce processus, il s’agissait d’identifier des situations d’action caractéristiques, par l’analyse de situations de référence, en fonction des activités existantes et mises en œuvre ainsi que d’isoler les activités qui se déroulaient au sein des différents espaces présents sur les modules offshores. Les auteurs ont pu ainsi recenser les principales activités, l’emplacement, les paramètres d’utilisation, les équipements nécessaires pour chaque espace. Ce projet a également permis de soulever la question de la mise en forme des données de l’analyse ergonomique pour son transfert aux concepteurs et montre que les OI ont été conçus de façon participative, qu’ils représentent ceux qui les ont développés et qu’ils sont responsables du travail de partage, de prévision et d’attente des acteurs au regard du résultat futur.

Les auteurs soulignent que la présence d’un ergonome dans le processus de conception est essentielle tant pour l’efficacité de la communication que pour prévenir les conflits entre différents acteurs. Les OI ne remplacent pas une catégorie d’acteurs, ils ont pour finalité d’aider aux dialogues entre les concepteurs et les ergonomes en améliorant le transfert d’expérience, de l’usage à la conception.

Hall-Andersen et Broberg (2014) montrent le rôle des objets intermédiaires dans l’intégration de connaissances ergonomiques dans les processus de conception. Une situation de conception technique a été analysée en utilisant les concepts théoriques des objets frontières et des objets intermédiaires. Dans ce projet, les objets frontières étaient des plans d’aménagement ajustables qui ont eu un impact positif sur le dialogue entre un ergonome et des designers. L’objet intermédiaire était représenté par un document d'orientation ergonomique. Lorsque ce guide ergonomique a circulé au sein du processus de conception, seules certaines orientations ont été retenues. Ces auteurs reconnaissent aux objets frontières des fonctions de facilitation de la collaboration entre différents domaines de connaissances et attribuent aux objets intermédiaires plutôt une fonction de circulation des connaissances, ce qui explique que l’effet produit est plus lointain.

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Les auteurs considèrent que les objets frontières, définis par Star et Griesemer, permettent à des acteurs appartenant à des groupes sociaux différents de travailler ensemble. Ces objets aident à établir un contexte partagé qui permet une compréhension commune du sujet traité. Ils mettent en avant le concept d’OI (en se référant principalement à Vinck et al., 1996 ; Broberg et al., 2011) comme permettant une circulation de connaissances dans un processus de conception lorsque les acteurs ne sont pas en mesure de se rencontrer physiquement.