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L’identité

Dans le document L’automate spirituel Spinoza, Ethique II (Page 117-120)

B. Des inassociables à l’absolu

4. L’identité

C’est dans II, 7 et démonstration qu’est bouclée la réduction de la théorie de la connaissance à une ontologie, qui passe par la négation de la spécificité de la pensée.

II, 7 est l’expression dédoublée de la proposition II, 4, qui était la première expression d’une identité fondamentale. Ce qui va changer est la

façon d’appréhender cette identité : en II, 4 elle était désignée par le mot

« Dieu » ; ici va se préciser ce que Spinoza entend par-là.

Voici la démonstration mise à plat :

La connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause et l’enveloppe. C'est-à-dire que connaître une chose, c’est savoir de quoi elle est l’effet. Et réciproquement, en tant que l’on connaît une chose, on a l’idée enveloppée de sa cause (on ne tient jamais l’un sans l’autre : un effet conçu sans sa cause n’est pas conçu).

Donc, pour avoir l’idée d’un effet, il nous faut avoir l’idée de la cause.

C'est-à-dire que l’idée de la cause a pour effet l’idée de l’effet.

Autrement dit, la cause de l’idée de l’effet est l’idée de la cause de l’effet.

Il y a une réversibilité des choses et des idées : la cause de l’idée et l’idée de la cause sont une seule et même chose (c'est-à-dire bien sûr un seul et même rapport).

Donc les idées s’enchaînent, et les choses s’enchaînent, selon le même enchaînement (causalement).

Ce qui remplace Dieu ici, c’est l’identité de la chaîne (la relation cause-effet est identique à soi quelle que soit sa forme). Il ne s’agit plus de réunir sous un même concept des réalités distinctes comme dans I, 11 (dont le propos revient à dire que, finalement, on n’a qu’à appeler toute substance du nom de Dieu), mais de dévoiler le noyau dur de leur identité : leur structure.

En définitive il s’agit surtout d’un déplacement de focale : l’identité est moins rapportée à la substance qu’aux modes. Le début du scolie opère explicitement ce passage. C’est toujours la même identité à soi de la substance que l’on affirme. Mais au lieu de la concevoir comme unie et lisse (de concevoir l’identité d’une chose, autrement dit d’une substance réifiée) on la conçoit désormais comme l’identité à soi non d’une chose mais d’une chaîne, c'est-à-dire d’un rapport.

Conséquence de tout cela : « aussi longtemps qu’on considère les choses comme des modes de penser, nous devons expliquer l’ordre de la nature tout entière (…) par le seul attribut de la pensée (…) ». Ainsi s’ouvre une possibilité d’explication infinie sous quelque attribut que ce soit. Cela signifie deux choses : d’une part, l’autonomisation des discours, d’autre part, l’extension de leurs champs de pertinence. L’un n’a rien à voir avec l’autre parce qu’ils sont des perspectives conceptuelles incompatibles. Chacun est donc un filon qui s’exploite à part. Cela signifie qu’on ne butera jamais sur l’intervention de la pensée quand on a affaire aux corps ; nous ne pouvons buter que sur notre ignorance. Notamment, les difficultés de la médecine ne témoignent pas de l’insuffisance de la puissance explicative (ou causale) de l’étendue. Inversement, et de manière beaucoup plus cruciale dans le projet de Spinoza, si l’on choisit de se situer sous la pensée, le reste suivra : c’est la possibilité de la cure par la seule méditation qui s’ouvre ici. Ce n’est pas parce qu’un affect naît en nous d’une cause physique (d’un corps), qu’on ne peut pas y apporter remède par un travail intellectuel : l’efficacité de la pensée n’est pas limitée par le corps (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas limitée). Spinoza tente la voie de l’Esprit pour réaliser la béatitude. Bien entendu il a ouvert simultanément les deux voies, les deux méthodes ; mais celle dans laquelle il s’engage est résolument celle de l’intellect : la Vème partie a pour titre et objet

« la puissance de l’Intellect ».

Deuxième conséquence : en plus de l’autonomisation des discours, extension de leurs champs de pertinence. Par la considération d’un seul attribut on accède à l’infini. La thèse était déjà contenue dans II, 1, scolie, mais elle apparaît ici sous la forme de l’efficacité épistémologique : d’une cause à l’autre, nous pourrons parcourir tout le réel. C’est naturellement la condition pour qu’on se lance dans l’entreprise de l’Ethique, à savoir le bonheur par la pensée. Avec la pensée on doit pouvoir tout expliquer, avec l’étendue de même.

La première question qui se pose à partir de ces considérations est la suivante : puisqu’il faut se tenir à une seule ligne explicative (se placer sous un

seul attribut et s’y tenir), comment va-t-on faire pour franchir les lacunes laissées par notre ignorance ? On ne sait pas tout décrire en termes de pensée, ni en termes de corps… Or Spinoza est explicite : nous ne devons pas changer de repère. Premier problème.

Deuxièmement, si toutes les voies de connaissance (concevoir les choses sous un attribut ou l’autre) mènent à l’infini, cela signifie aussi bien qu’elles mènent à une régression à l’infini ; autrement dit, on ne terminera jamais aucune explication. Comment pourrait-on avoir une connaissance adéquate autre que locale (A est la cause de B, mais j’ignore la cause de A).

Or, si elle est locale, elle est inadéquate… Nous n’accèderons jamais à la nature tout entière.

Dans le document L’automate spirituel Spinoza, Ethique II (Page 117-120)