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L’identité énonciatives’adosse aux travaux de Guibert (2007) et à ce qu’elle décrit comme « un

système représentationnel multidimensionnel et dialogique de l’écrit – une notion pour construire la relation de soi à l’autre ». Ce « dialogisme discursif » en référence aux travaux de Bakhtine (Guibert, 1998) privilégie deux catégories de relations : celle de soi à sa propre

production discursive et celle à ses lecteurs – tuteurs, directeurs de mémoire – et interlocuteurs

– pour la situation de soutenance –, eux-mêmes écrivants (Guibert, 2007). L’identité

énonciative englobe donc l’identité rédactionnelle ou les représentations que le sujet rédacteur

a de lui-même comme rédacteur/auteur – le soi rédacteur/auteur –, les représentations du texte

à produire et enfin les représentations de l’autrui rédacteur et lecteur.

Nous allons dans le détail définir ce que Guibert nomme notion multidimensionnelle. Guibert la qualifie de système parce que les représentations sociales du processus d’écriture sont constituées en un système de représentations liant les représentations de l’écriture, à celles du texte, à celles de soi comme auteur et à celles des autres comme auteurs et comme lecteurs. Mais Guibert constate elle-même une évolution conceptuelle dans ses travaux de recherche. L’auteur (Guibert, 2007, 157) inscrit cette notion d’identité énonciative dans une première

époque comme la représentation que des auteurs se font d’eux-mêmes en tant qu’énonciateurs de discours pour souligner, au-delà de la simple image de soi, la difficulté des étudiants ingénieurs « cnamiens » à prendre « leur place dans l’univers de discours, essentiellement celui des auteurs scientifiques déjà publiés ».

Puis ensuite, elle développe la notion de conception multidimensionnelle de l’identité énonciative. En reprenant la représentation de soi par rapport au texte et par rapport au processus d’écriture en plus de celle du rapport de l’auteur au lecteur, elle montre comment cette notion d’identité énonciative englobe en réalité quatre dimensions à savoir la dimension strictement énonciative, celle de l’identité rédactionnelle, celle de la représentation du texte à produire et enfin la dimension de l’identité professionnelle.

Nous présentons dans ce qui suit chacune de ces quatre dimensions.

3.3.1 La dimension strictement énonciative

La dimension de l’identité énonciative à savoir les représentations de soi comme énonciateur de discours, c’est-à-dire devenir capable de prendre place dans un univers de discours (Guibert, 2007, 154). Cette dimension provient de sa première recherche, celle issue de sa thèse (1989). L’identité énonciative, tout comme l’identité rédactionnelle, se construit en interaction et en comparaison mais il s’agit d’une comparaison plus complexe car elle suppose « non seulement des façons de faire » des autruis qui sont eux-mêmes rédacteurs mais également avec « leurs places, leurs positions et leurs postures énonciatives et des comparaisons avec les genres discursifs » (Guibert, 2007, 155).

3.3.2 La dimension de l’identité rédactionnelle

La dimension rédactionnelle renvoie au représentations que les sujets rédacteurs ont d’eux-mêmes comme rédacteurs – images de soi rédacteur « créatrice » et « artisanale » : ce sont les représentations des sujets quant à leurs « façons de faire », de les « affirmer », et de les « enrichir de nouveaux tours de main » renvoyant ainsi ces représentations à la notion de bricolage de Compagnon (1989). Guibert a mis ainsi en évidence une « fragilité identitaire » (Guibert, 2007,

149) c’est-à-dire la « représentation de soi comme ayant tendance à adopter avec plus ou moins de régularité et de bonheur telles ou telles façons de faire ».

En situant leurs propres productions parmi d’autres textes, et en dialoguant eux-mêmes dans leurs textes avec ceux des autres, les auteurs apprennent à se situer en tant qu’auteurs. L’identité rédactionnelle est définie par Guibert comme une représentation de soi comme ayant tendance, avec plus ou moins de régularité et de bonheur, telles ou telles façons de faire. Elle est plus explicite, plus ou moins affirmée, plus ou moins valorisée. Un rédacteur compare ses propres façons de faire pour rédiger un discours aux façons de faire des autres rédacteurs. L’identité créatrice et artisanale est citée par Guibert comme un style de comportement rédactionnel. Le sujet écrivant compare aussi ce qu’il fait dans cette situation de production de discours avec ce qu’il a fait dans d’autres situations. Guibert citant la notion de l’identité selon Lipianski (1992) évoque les trois éléments de cette identité rédactionnelle.

La comparaison avec d’autres, la « comparaison et la distinction sociales sont inhérentes à la notion même d’identité ».

La comparaison avec soi-même, c'est-à-dire la « perception de soi comme identique à soi-même à travers l’espace, le temps et les situations ».

La valeur accordée à la représentation de soi « distincte de celle conférée à autrui ». Chaque comparaison s’assortit plus ou moins explicitement de jugements de valeur.

3.3.3 La dimension de la représentation du texte à produire

Mais lorsqu’un sujet rédacteur situe ses propres productions parmi d’autres textes, et dialogue dans ses textes avec ceux des autres, Guibert évoque la dimension de la représentation même du texte à produire.

Pour ce faire, Guibert (2003, 49) convoque ainsi la définition de Jodelet (1989, 53) concernant les représentations comme « des reconstructions en décalage de leurs référents » entraînant alors plusieurs types de décalage des « distorsions, « des supplémentations » et des « défalcations ».

Dans sa thèse, que Guibert (1989) a consacrée aux étudiants du Cnam, l’auteur a ainsi identifié trois notions de défalcations, c’est-à-dire que ces notions n’apparaissent pas dans les représentations dont les écrivants envisagent leur texte :

- Les processus de lecture-écriture ;

- La matérialité du texte ;

- L’énonciation des discours.

Pour ces trois notions « défalquées », Guibert (2003, 50) a qualifié chacune de celles-ci par un type de représentation du texte à produire.

Le « texte-logorrhée » renvoie au fait que les écrivants se « figurent » que l’écriture « peut s’écouler « sans effort et sans à-coup », tels qu’ils s’imagent que les autruis doués et inspirés, comme les écrivains, rédigent. Ou les écrivants se (re)présentent comme des personnes qui ne

sont pas douées et le vivent comme un « manque, une incapacité » voire un « handicap » (Ibid.).

Le « texte-reflet » renvoie quant à lui au fait que l’écriture du mémoire constituerait le « reflet de la réalité », dimension particulièrement prégnante, concernant notre étude, pour les mémoires d’ingénieurs informaticiens qui renvoient leur écrit au texte scientifique à valeur de

preuve, la « vérité des faits » (Ibid., 51).

Enfin, le « texte-flottant » désigne un texte n’étant ancré dans « aucune situation d’énonciation » à savoir que tous se ressemblent, doivent avoir la même forme. L’écrivant dans ce cas évacue

la notion de « genre discursif » auquel renvoie leur mémoire d’ingénieur » (Ibid.).

Guibert a conçu, à partir de ces trois notions de défalcation du texte, des dimensions du texte à travailler dans ses ateliers d’écriture dont elle a été chargée dans le cadre de l’UE Information et Communication pour l’ingénieur au Cnam. Nous ne traiterons pas ici ces dimensions, ceci relevant d’un dispositif de formation. Nous ne conserverons pas non plus les distinctions, que l’auteur a précisées quant au produit de l’écriture, subséquentes de ces défalcations, ceci ne constituant pas l’objet de notre recherche.

Ainsi, Guibert (Ibid., 52) conserve le terme de « texte » mais elle réserve le terme d’ « écrit » à la « simple trace » et celui de « discours » pour souligner ainsi son « ancrage social ». Nous rappelons ici que notre étude n’a pas porté sur les mémoires rédigés des ingénieurs mais sur leur discours à propos de l’écriture de leur mémoire. Nous avons ainsi inscrit le « discours » des sujets de notre étude dans la tradition de l’analyse de discours, en référence à Mainguenau (2009) qui éclaire les distinctions devant être faites entre « énoncé », « énonciation », « discours », « parole » et « texte ». Nous avons traité de celles-ci dans le chapitre 6 dédié à la méthodologie.

3.3.4 La dimension professionnelle de l’identité énonciative

A travers l’identité énonciative, c’est souvent en effet dans les discours oraux ou écrits que l’identité professionnelle se constitue et s’affirme pour l’auteur et pour le lecteur. L’auteur définit alors l’identité énonciative comme la capacité à se situer et utilise alors le concept de

construction identitaire (Guibert, 1996). L’auteur avec l’exemple des candidats ingénieurs

« cnamiens » affirme que ces derniers arrivent en formation avec des idéologies fortes et qu’à travers des lectures théoriques, ils réexaminent et étayent leurs opinions pour les fonder par des enquêtes et des expérimentations.

Leur mémoire d’ingénieur de fin d’études leur permet ainsi d’acquérir de nouvelles

compétences qu’elle met en lien avec deux fonctions de l’écrit (Ibid.) que sont les fonctions

épistémique – sommet du développement de l’écriture, comme une pensée réfléchie – et communicative – calculée pour avoir un effet désiré sur un autrui. Les candidats ingénieurs « cnamiens » se constituent ainsi une identité professionnelle plus solide.

Nous notons que ce terme de compétences peut renvoyer dans le cadre de notre recherche au concept défini par Barbier (2011, 37) qui lui attribue « la propriété conférée à un sujet individuel (ou collectif) par attribution de caractéristiques construites par inférence à partir de son engagement dans des activités situées, finalisées, donnant lieu à attribution de valeur ». Barbier

(Ibid.) précise que ce concept de compétence, à mettre en lien avec celui évoqué par Wittorski

(2008) se développe dans des contextes sociaux qui associent activités et construction des sujets – ce qui est précisément le cas des sujets de notre étude, et joue un « rôle central dans le réseau sémantique qui caractérise les cultures de la professionnalisation ».