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1.2 Enjeux socioprofessionnels de la recherche

1.2.2 Les formations d’ingénieur, une grande diversité

1.2.2.4 La filière spécifique du Cnam

1.2.2.4.1 Le Cnam, un peu d’histoire

Dans ce paysage des Écoles d’ingénieurs, il convient de présenter une autre tradition française, ancrée dans l’Esprit des Lumières. Cette tradition issue des soubresauts de la Révolution française a été décrite longuement dans l’étude de Bouffartigue & Gadea (1997, 307). Les auteurs définissent ladite tradition comme consistant à « observer, décrire et conserver les savoirs techniques et les machines pour en faire connaître le maniement à des artisans et à des ouvriers ».

C’est donc là où se situe l’origine du Conservatoire national des arts et métiers, que nous nommerons sous sa forme simplifiée le Cnam. Fondé, à l’instigation du député et abbé Grégoire, par un décret de la Convention du 10 octobre 1794, le Cnam a pour mission de « distribuer un enseignement supérieur à des personnes déjà engagées dans la vie professionnelle, de devenir ainsi un carrefour du savoir et permettre à l’artisan qui n’a que son atelier, de sortir de son isolement » (Sillau-Avisseau, 2012, 257).

Dans son rapport remis à la Convention le 29 septembre 1794, l’abbé Grégoire justifie en ces termes le projet de l’établissement : « Il est beau d’ouvrir des asiles à l’industrie et d’assembler tous les éléments dont se compose la félicité nationale : cette marche est vraiment celle du législateur ; car, entre les peuples comme parmi les individus, le plus industrieux sera toujours le plus libre. C’est donc pour calculer en politique que d’ôter tout prétexte à l’ignorance, à la fainéantise, et de faire en sorte que rien ne soit à meilleur compte que la science et la vertu ». Avec le Cnam, trois autres écoles voient le jour entre septembre 1794 et mars 1795 : l’École Polytechnique, l’École normale supérieure et l’École spéciale des langues orientales. Chacune associe « un projet éducatif novateur à un projet politique plus vaste qui s’appuie sur elle » (Caspar, 2011, 157).

Le Cnam partage ainsi avec les prestigieuses Écoles Polytechnique et normale supérieure, établissements typiquement français, le titre d’École de l’An III scientifique. Lors de son

discours à la Convention, l’abbé Grégoire (Mercier, 1994, 20) proclame qu’il convient « d’éclairer l’ignorance qui ne connaît pas et la pauvreté qui n’a pas les moyens de connaître ». Attardons-nous sur les deux premiers articles du décret fondateur. L’article premier indique qu’il « sera fondé à Paris, sous le nom de Conservatoire, un dépôt de machines, modèles, outils, dessins, descriptions et livres de tous les genres d’arts et métiers. L’original de tous les instruments et machines inventés et perfectionnés sera déposé au Conservatoire ». C’est là l’origine du Musée des arts et métiers. L’article 2 précise, quant à lui, qu’il y sera expliqué « la construction et l’emploi des outils et machines utiles » (Caspar, 201l, 157).

Deux principes régissent la création du Cnam. Tout d’abord, il s’agit de la réunion, en un lieu unique, de toutes les « innovations techniques » ainsi que de l’offre d’enseignements desdits modèles assurée par « des démonstrateurs ». C’est encore le cas aujourd’hui avec le principe des médiateurs culturels du Musée des arts et métiers qui proposent aux visiteurs la démonstration du pendule de Foucault sous la voûte de l’ancien prieuré clunisien de Saint-Martin-des-Champs. Ensuite, une intention pédagogique plus vaste est mise en œuvre, intention

que Caspar (Ibid.) décline en trois dimensions : la pratique de l’alternance à savoir que « les

arts et les métiers s’apprennent dans les ateliers » où est enseignée « la construction des outils et des machines les plus accomplies » ; les enseignements articulant théorie et pratique ; la

reconnaissance et la valorisation des acquis de la science. L’auteur (Ibid., 158) souligne

également la dimension politique de l’établissement. Le Cnam contribue « à la compétitivité nationale en offrant le libre accès à tous à une culture technique, en préservant d’abord le patrimoine industriel ». Le Cnam perfectionne « l’industrie nationale en expliquant concrètement aux artisans le fonctionnement » des innovations de l’époque et en « démontrant

leur utilité et leurs potentialités aux entrepreneurs » (Ibid., 156).

Caspar (Ibid., 158) insiste encore sur « le rôle attribué à la connaissance et au nombre des

connaisseurs, pour développer la prospérité physique et morale de la République » et offre ainsi à tout citoyen « sa subsistance par l’exercice d’un art ». Dans le contexte révolutionnaire, au lendemain de la Terreur, il s’agit d’assurer à la jeune République une liberté et une indépendance en matière de commerce international en repoussant ainsi la « concurrence » de l’industrie étrangère. Cette domination est à l’époque principalement anglaise : il convient donc de réduire « l’anglomanie » avec la baisse de l’importation des objets manufacturés tels que vaisselles, rasoirs, ressorts, etc. Le projet politique porté par l’abbé Grégoire faisant la part

belle à la recherche appliquée et à l’innovation technologique témoigne d’une audacieuse modernité : « avec les mots d’aujourd’hui », celui-ci contribue à « équilibrer notre balance

extérieure », « accroître notre compétitivité » et « développer notre indépendance » (Ibid.).

C’est en 1796 que les premiers enseignements démarrent au Cnam. Le 25 novembre 1819, une ordonnance du roi Louis XVIII contribue à la création des trois premières chaires de l’établissement : mécanique, chimie appliquée aux arts et économie industrielle. A l’origine les enseignements sont fixés en début d’après-midi mais ils sont rapidement reportés le soir permettant ainsi aux ouvriers et aux artisans de les suivre. Dès 1854, la durée d’un cours est fixée à une heure trente. Le nombre de chaires enseignées au Cnam passe de 10 en 1848, à 18 en 1882 et à 40 en 1950. L’année 1902 voit l’apparition des premiers diplômes. A cette époque, 73 000 auditeurs y suivent des cours. En 1952, le savoir se décentralise en province avec la création de Centres Régionaux Associés ou CRA contribuant à faire du Cnam un réseau ; ces derniers deviennent financièrement autonomes à partir de 1982.

Le Cnam aujourd’hui est constitué de 29 centres régionaux et de 158 centres d’enseignement qui accueillent 62 500 auditeurs. Il propose une offre de formation de près de 5 900 enseignements en présentiel, 1 300 enseignements à distance et 700 en formation hybride, formation complétée par 14 MOOCs (acronyme pour Massive Open Online Course) ayant recueilli en 2015 163 400 inscriptions. Le Cnam délivre 1350 diplômes et certificats répartis comme suit : 1510 par la validation des études supérieures (VES), 758 par la validation des acquis professionnels (VAP) et 579 par celle des acquis de l’expérience (VAE).

Le Cnam demeure le premier acteur de la formation continue en France, consacrant son activité pédagogique et de recherche à la formation professionnelle des adultes : en 2015, cela représente 93 % de l’activité pédagogique du Cnam, les 7% restant étant dédiés aux apprentis et étudiants des filières historiquement liées au Cnam telles que l’École supérieure des géomètres et topographes (ESGT).

Ces données statistiques sont issues de l’étude de l’Observatoire des études et carrières du

Cnam (2016, Les chiffres clés, Synthèse). Le lecteur intéressé peut retrouver l’ensemble détaillé

Mais c’est également un réseau à l’étranger réparti en quatre centres, une dizaine d’antennes et une trentaine de partenariats. L’ensemble du maillage international accueille 7 674 auditeurs dont voici quelques chiffres-clés. Ces statistiques sont issues des inscriptions de 2013-2014 ; elles sont consultables sur le site du Cnam sous l’onglet intitulé Cnam international (cf. Sitographie, Cnam, « International »).

Répartition dans le monde Nombre d’auditeurs inscrits

Allemagne, Espagne, Grèce, Hongrie, Roumanie, Russie 500

Algérie, Maroc, Tunisie 877

Liban 3 239

Côte d’Ivoire, Sénégal 2 209

Brésil, Canada, Haïti 150

Chine, Vietnam, Malaisie 150

Madagascar 549

Tableau 1 Réseau international du Cnam

Le Cnam constitue le plus grand établissement supérieur technique et de promotion sociale en France placé sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de la Recherche. Il est reconnu et célébré pour sa tradition et sa vocation à promouvoir la formation et le perfectionnement d’adultes engagés dans la vie professionnelle. Il propose 300 parcours de formation à finalité professionnelle dont celui menant au titre d’ingénieur présenté dans ce qui suit.