• Aucun résultat trouvé

L’hypothèse du centre parental

4°) réponse à la problématique

4.3 L’hypothèse du centre parental

Selon Frédéric Van der Borght, directeur du centre parental Aire de Famille. «un nombre significatif de jeunes mères accueillies avec leur bébé en centre maternel veulent vivre avec le père de leur enfant : 70 % environ des femmes hébergées en centre maternel sont en couple»187.

Cette affirmation, qui sous-tend la valorisation de la modernité que représenteraient les centres parentaux par rapport à des centres maternels démodés et destructeurs de familles mérite qu’on s’y attarde un peu. On ne connait pas la source selon laquelle «70 % des femmes hébergées en centre maternel» seraient en couple. A la lumière des observations réalisées lors de la présente étude, on voudra bien admettre que la majorité des résidentes du centre maternel ont une relation amoureuse plus ou moins stable. Rien de plus normal et logique d’ailleurs. Le problème est que le raccourcis opéré par Frédéric Van der Borght laisse à penser que ce serait avec le père de leur enfant. Et là on ne peut apporter qu’un démenti des plus formels. Comme exposé plus haut moins du tiers des jeunes femmes interrogées sont en couple avec le père de leur(s) enfant(s), le quart si l’on prend en compte celles qui n’ont pas été interrogées pour des raisons déontologiques. Il reste ensuite à savoir l’ampleur du «nombre significatif» de résidentes de centres maternels qui voudraient vivre avec le père de leur enfant. Parmi les personnes interrogées, deux aurait pu être intéressées par un centre parental, mais il est douteux que cette solution ait pu se réaliser, les compagnons étant l’un comme l’autre des étrangers en situation irrégulière (entretiens n°1 et n°10). Une autre voit là une éventuelle opportunité d’impliquer davantage le père dans l’éducation de sa fille «pour qu’il s’occupe un peu plus d’elle». Aurait-il accepté ? «Oui, enfin parce que je lui aurais pris la

185 DONATI, P. «Identités de mères ou de femmes ?» Informations Sociales 1996 ; 55 : 103-9

186 DONZELOT Jacques, Op. Cit., p. 98

187 Contribution pour la réunion du groupe de travail «Familles vulnérables, enfance, éducation» du 18/10/2012 http://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/Contribution_de_Frederic_Van_der_Borght__adf_.pdf

tête» (entretien n°11188). Mais cet aspect des choses n’est pas la priorité des mères qui reçoivent des

visites quasi-quotidiennes de leur compagnon et le fait d’habiter séparément peut avoir ses avantages, même si la possibilité offerte au compagnon de dormir au centre aurait son intérêt :

«Moi personnellement je préférerais qu’il reste chez ses parents et qu’on ait notre vie de couple en dehors du centre maternel. Comme je l’ai déjà avec lui. Mais quelques fois... La semaine... (Rires). Moi je veux bien passer des nuits avec lui la semaine. En gros ce serait bien un moment chez ses parents et un moment où il pourrait venir ici. C’est pour ça en fait...» (Nataliya - entretien n°8)

Interrogées sur des formules d’hébergement de type «centre parental», les professionnelles sont perplexes. La situation concrète du public accueilli ne montre pas de besoin spécifique. Pour autant, la volonté d’égalité entre les sexes qui est celle des membres, toutes féminines, de l’équipe suscite un désir que les choses puissent évoluer dans ce sens. Mais c’est une représentation d’ordre idéel189,

quelque chose dont on aimerait qu’elle advienne mais dont les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui. La réalité prosaïque, ce sont des couples brisés, généralement dès l’annonce de la grossesse ou des jeunes hommes qui se tiennent à prudente distance de la prise de responsabilités. Pire, même si ce n’est jamais dit ouvertement par les mères, les professionnels se doutent qu’un certain nombre d’enfants ont été uniquement conçus pour permettre un maintien d’étrangères sur le territoire et une prise en charge par les services sociaux.

On se raccroche donc avec espoir à des situations laissant à penser que les choses pourraient se passer autrement. Il y a en particulier celle de Marivon et Kilian, parents de la petite Solen. Ce sont des jeunes sans domicile fixe, originaires de Bretagne et à la relation compliquée et parfois violente. Leur fille a donc été placée en pouponnière à la naissance et sa mère n’a pu la récupérer que sous condition d’accepter de résider en centre maternel, loin du père. A peine arrivée elle apprenait à l’équipe que le couple s’était rabiboché et que Kilian, était désormais arrivé en région parisienne. Au départ, Kilian se montre très agressif et menaçant envers l’équipe du centre maternel. Mais celle-ci accepte de le laisser venir et réussit peu à peu à l’apprivoiser et à instaurer une relation

188 Ayant quitté le centre maternel pour retourner vivre chez sa mère, Sheila y est revenue à peu près un an après l’entretien. Elle venait d’accoucher d’un deuxième enfant, du même père, mais avait rompu avec lui. 189 GODELIER Maurice, Op. Cit.

cordiale. Elle plaide son cas auprès de l’Aide sociale à l’enfance de Bretagne et des visites quotidiennes sont autorisées. Alors que Marivon se montre débordée et exaspérée par sa fille, au risque de dérapages, Kilian sait être patient et attentionné. La référante sociale de Marivon investit énormément la situation sur un plan émotionnel. Pour elle, c’est - enfin - la démonstration que le père peut parfois «prendre les choses en main». Kilian, «est en errance, il a pas de stabilité, mais est-ce qu’on peut pas imaginer que ce monsieur s’il avait un logement, il pourrait pas s’occuper tout seul de sa gamine, parce que la mère n’est pas, disons, très douée pour s’en occuper ?» (entretien C) . Mais ces espoirs seront déçus. Quelques mois plus tard, le couple se sépare à nouveau et le père ne vient plus du tout au centre maternel, même pour prendre des nouvelles de sa fille, et n’appelle plus. Comme observé dans d’autres cas, son investissement auprès de l’enfant était avant tout lié à son espoir de rétablir une relation stable avec la mère.

Dans d’autres cas où l’on pourrait penser une vie commune possible, on s’aperçoit que ce sont les femmes qui n’y tiennent pas. Au delà de ce que peuvent dire les personnes à un moment donné, les intentions réelles s’expriment clairement au moment où les hébergées remplissent avec les travailleurs sociaux les dossiers en vue de leur relogement à la sortie du centre maternel. Elle là elles choisissent toujours de demander quelque chose pour elles seules, avec l’enfant. «Elles ne veulent pas des messieurs chez elles». Pourtant, certaines, comme Kadidia, acceptent volontiers les visites du père au centre et sont en couple avec lui. Mais elles veulent garder leur indépendance : «Avoir le pouvoir de dire «oui tu viens» ou «non tu viens pas» ça l’arrange». Le règlement du centre maternel donne un pouvoir sur le père et «elles en jouent beaucoup». Une fois sorties, elles souhaitent avant tout la stabilité avant d’envisager une vie commune. Elles se disent «quand je serais bien, quand j’aurais tout ce qui faut, alors peut être que je vivrais avec quelqu’un». Dans le cas de Kadidia, de nationalité française mais en couple avec un étranger dépourvu de titre de séjour, la volonté d’indépendance va jusqu’au refus affirmé que son fils soit un «bébé papiers». Elle a déclaré à sa référante que si le père voulait être avec eux, il allait «bien falloir qu’il fasse ses preuves». Elle a peur qu’il la quitte et «du coup l’enjeu de pouvoir est très présent». Pour Maryse, travailleur social, «elles veulent être femmes, libres, autonomes et que le mec il soit un peu l’option si ça se passe bien. Mais on a pas de demande de couples» (entretien D).