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3° Femmes accueillies et professionnelles face à l’absence des hommes

3.1 Le regard des mères

D'abord nous évoquerons la manière dont sont survenues les naissances et l’existence de projets parentaux. Nous examinerons ensuite la situation actuelle des couples et l'effet de l’arrivée d’un enfant, l’implication des pères aux côtés de la mère et les relations entretenues avec l’enfant depuis sa naissance. Nous croiserons enfin ces résultats avec quelques éléments concernant les origines familiales et culturelles des personnes.

3.1.1 Projets parentaux ou «bébés surprise» ?

Les quinze entretiens réalisés lors de la présente enquête concernent seize enfants. Sur l’ensemble, trois étaient le fruit de projets parentaux et treize des «bébés surprise», pour reprendre le joli terme utilisé par la psychologue de l’établissement lors des entretiens d’admission.

Kadidia, toujours en couple avec le père de l’enfant, affirme très nettement que «c’était prévu» (entretien n°10). Léopoldine, séparée depuis, exprime comme à regret : «on le voulait en fait» (entretien n°4).

Et il y a ces deux enfants, issus d’un même couple, dont l’un a été désiré et pas l’autre :

«Thomas c’était un accident et Léa un projet commun. Une fois qu’on a eu un enfant, on a envisagé plein de choses ensemble. Et du coup vu qu’on pensait vivre ensemble, se marier etc., on a voulu avoir un deuxième enfant. Et voilà. Tout ne s’est pas passé comme prévu...» (entretien n°2)

Parfois le projet ne semble pas tout à fait partagé, en tous cas pas d’une manière équivalente entre les deux parents, séparés : «C’est moi qui ai voulu (...) il était d’accord et tout ça, mais là...» (entretien n°12)

Au moment où l’enfant est conçu, les jeunes parents se fréquentent mais ne vivent pas encore ensemble. Un membre du couple est en foyer et l’autre chez des amis (n°10), ou l’un chez ses parents et l’autre chez des amis (n°12), d’autres enfin cohabitent chez les parents d’un des deux («j’habitais chez sa mère» n°2) ; « moi j’étais chez ma mère et il était avec son cousin» entretien n° 4).

Ces projets parentaux sont formulés alors que chacun des membres du couple vit dans des conditions d’extrême précarité quant au logement. Ils n’ont de plus aucune autonomie financière et vivent soit des aides publiques soit le plus souvent de la solidarité familiale. On ne s’étonnera guère que les couples résistent difficilement à ces conditions de vie. Nous y reviendrons.

Mais dans la plupart des cas, il s’agit bien de «bébés surprise», survenus sans que les jeunes parents l’aient souhaité et encore moins envisagé. Il y a un non-dit général sur les questions de contraception, celle-ci n’étant utilisée par aucun des couples. Ce point n’a pas été évoqué explicitement lors des entretiens et mériterait à lui seul une étude. Les observations réalisées dans le centre maternel laissent néanmoins apparaître des réticences à la proposition du préservatif si elle vient de la femme et une très large méconnaissance des moyens de contraception. Comme par exemple cette jeune femme qui ne semblait pas comprendre comment elle était tombée enceinte ; ou cette autre qui disait aux travailleurs sociaux «prendre la pilule» alors qu’elle ne la prenait... qu’après d’éventuels rapports.

Les bébés arrivent donc, à l’impromptu. «C’était pas prévu» (entretien n°3). Ils surviennent parfois comme par enchantement : «Il est arrivé comme ça» (entretien n°9). Mais on reconnait aussi les choses de manière plus prosaïque : «Bon, c’était un accident» (entretien n°6). Ce terme d’accident est repris dans les entretiens n°4, 11 et 14. L’idée de cette fatalité est acceptée mais la mère précise parfois qu’elle s’est reprise immédiatement pour faire face à cette nouvelle situation : «En fait c’est un accident mais j’ai assumé» (entretien n°14).

Car l’option de ne pas garder l’enfant, de procéder à une interruption volontaire de grossesse est rejetée : «Je voulais pas avorter» (entretien n°14). Elle n’est parfois même pas envisagée : «A aucun

moment, non, pas du tout. Dès que je l’ai su, je me suis dis «je le garde direct». J’ai même pas pensé à avorter. C’était hors de question» (entretien n°13).

Cette opposition à l’avortement se base parfois sur des motivations religieuses : «Ben en fait, comme je suis croyante, c’est pour ça» (entretien n°11)

Dans la plupart des cas, il semble qu’il n’y ait guère eu de débat dans le couple, la mère étant la seule à prendre la décision. Il n’y a que deux exceptions. La première vient d’une femme qui est d’ailleurs toujours en couple avec le père de l’enfant :

«C’était un accident, mais j’ai décidé de le garder. Parce que lui il m’avait dit que non, c’est pas pour le moment. Lui il voulait qu’on l’enlève. Mais moi j’ai dit «non, je veux garder ma fille». Après on s’est mis d’accord entre nous» (entretien n°1)

Dans l’autre cas le couple (rapidement séparé) était opposé à l’avortement mais a dû faire face à l’interférence paternelle, d’autant plus prégnante que la jeune femme était mineure :

«Un projet commun ? Au départ non, non. Moi personnellement je ne voulais pas et lui non plus. Mais maintenant il était là ; eh ben on a assumé. Au départ c’était un accident mais vu qu’il était là dans le ventre et moi je ne voulais pas avorter et lui il était contre les avortements et bien on a préféré le garder. Contre l’avis de mon père qui ne voulait pas le garder» (entretien n°8)

Dans le cas de cette jeune marocaine, l’avortement a bien été envisagé. En l’absence de réelle discussion avec le père de l’enfant, elle se tourne vers sa mère pour un avis féminin et de quelqu’un disposant en sus à ses yeux d’une légitimité éthique et religieuse :

«C’était pas voulu. J’avais envie de faire un enfant, la vérité. Mais pas comme ça. Je voulais pas faire un enfant comme ça. C’était pas voulu comme ça, mais après quand je.. Quand je suis tombée enceinte j’étais pas contente. J’étais choquée. Parce que c’est pas comme ça. Pas pour mes traditions. Je peux pas dire à ma famille «je suis enceinte hors mariage». Ca c’est hors de question. Mais bon j’ai parlé avec ma

famille. C’était ma mère c’est tout. Ben ma mère elle m’a compris. C’est une femme aussi. Elle m’a compris. J’ai expliqué «on a fait que le hallal95, on a pas fait l’acte de

mariage», si c’est possible que je laisse l’enfant ou non. Elle m’a dit «je peux pas de dire non, parce que c’est les deux haram96. Tu l’enlèves c’est pas bon. Tu le laisses

peut être qu’il va te pardonner Allah. Alors tu fais qu’est ce que tu veux» (entretien n °7).

Mais consultation ne veut pas dire soumission à l’avis de l’autre. Finalement ce sont des préoccupations toutes personnelles qui vont susciter la décision finale :

«Ben j’ai fait les démarches pour l’enlever. Mais au dernier moment j’ai changé d’avis parce que je sentais le bébé qui bouge. C’est bon, je peux pas. J’arrive pas. J’ai fait le rendez vous avec l’hôpital de Norier. J’ai fait tout pour que j’enlève mais après j’ai arrêté. Le dernier jour j’ai changé d’avis. J’ai appelé et j’ai dit «je veux pas venir» (entretien n°7)