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Condamnées à être mères ?

Les membres de l’équipe du centre maternel ne semblent pas exactement sur la même longueur d’onde quant à l’appréciation à avoir des questions de responsabilité individuelle. Ce faisant, ils ne font qu’exprimer des sensibilités présentes dans la société dans son ensemble, entrainant parfois des attitudes différentes envers les groupes en difficulté.

Pour Louisette le fait que les jeunes femmes soient devenu mères est l’expression d’un choix, au moins implicite. Certaines «pour la plupart faire un enfant n’était pas un projet» et par conséquent ni elles ni les pères n’étaient prêtes. Comment pourrait-il en être autrement quand on a que seize ans, comme le petit-ami d’Elodie ? «A seize ans on est pas prêt pour être père». Certes au début, ces jeunes garçons et filles ne «pensaient pas faire un enfant, mais juste faire l’amour». Mais ils avaient le choix de ne pas se retrouver dans cette situation de parents. D’abord ils auraient pu utiliser la contraception, ce qu’ils ont refusé. Sinon, «au pire la jeune femme aurait pu avorter». Et si elle ne l’a pas fait c’est qu’elle «voulait» de l’enfant. A partir de ce moment elle assume volontairement une responsabilité. Et souvent, «les pères disparaissent quand la fille est enceinte, peut-être parce qu’ils ne sont pas prêts» (entretien B). Le rôle de mère, même s’il n’est pas assumé correctement au quotidien, est donc avant tout un choix personnel.

Ce qui peut choquer, c’est que le fait que donner naissance à un enfant soit in fine le choix de la mère puisse dispenser pour tout ou partie le père de ses responsabilités. Maryse note que des progrès ont été faits puisque désormais une pension alimentaire est exigible des pères qui ont reconnu l’enfant. Et surtout, si l’enfant est reconnu par son père, l’administration pousse à des démarches de demande de pension alimentaire auprès du Tribunal de Grande Instance en supprimant l’allocation de solidarité spécifique si elles n’ont pas été faites. On va donc vers une tentative de responsabilisation des pères, au moins financière. Mais elle reste souvent sans suite, ceux-ci n’étant pas solvables dans le cas des jeunes pères de milieux populaires. Mais pour certains travailleurs sociaux, «on est encore trop légers envers les pères» et il conviendrait «leur imposer de

s’occuper un minimum de leur enfant» ou tout au moins «essayer de les faire s’impliquer un peu plus». Car «il y en a qui pourraient faire mieux que donner de l’argent» (entretien D).

Mères, les jeunes du centre maternel le sont sans aucun doute. Et elles le sont avant toute autre chose car elles y arrivent le plus souvent enceintes ou avec des enfants en bas âge dont elles ont à s’occuper quotidiennement. D’ailleurs c’est bien pour les observer, elles inquiètent, et les aider à apporter les soins élémentaires à leurs enfants qu’elles sont orienter vers une institution aussi spécifique. Pour autant, l’équipe veille à ce qu’elles ne soient pas que des mères et a un regard bienveillant, leur disant qu’elles ont le «droit de craquer» mais aussi celui d’agir comme des jeunes filles et des êtres autonomes, «de sortir pour elles, de se faire du bien». Elles ne sont pas que mères et surtout «elles ne sont pas toutes seules» (entretien D).

Enfin, au bout du compte, le statut des jeunes femmes changera vraiment «le jour où elle auront un travail», car le travail «c’est ce qui donne un place dans la société» (entretien A).

Un certain consensus existe dans l’équipe du centre maternel sur le fait que les hommes eux aussi devraient prendre toute leur place dans l’éducation des enfants. «Parce que l’enfant ils l’ont fait à deux» (entretien D) et que si «les gosses ça se fait à deux, on devrait assumer à deux et éduquer les enfants à deux» (entretien E). Mais la réalité quotidienne entre en contradiction avec cette conviction partagée.

«C’est paradoxal parce qu’on prétend être dans une société moderne, mais on se rend compte que la société elle est pas aussi moderne que ça. On revient toujours aux vieilles images d’avant, de la guerre, de l’avant-guerre et de l’après guerre ou ça doit être la maman qui doit élever et éduquer l’enfant et le papa on le met de côté en fait.» (entretien C)

Marwa voit dans les «origines patriarcales de la société française» l’origine de ce phénomène. Jadis c’était la mère qui avait le rôle de nourricière, de pourvoyeuse d’affection et de soins aux enfants. Mais la société a changé et le père peut désormais tout aussi bien remplir ces différents rôles. Mais l’homme n’apportera pas les soins «de la même manière» ce qui pose la question de l’instinct maternel, de l’inné et de l’acquis :

«Il y a une touche maternelle qui fait que l’enfant a une relation avec sa mère que le père n’a pas. Mais le père a d’autres choses, complémentaires. Après est-ce que c’est normal ou pas ? Je ne sais pas. C’est un héritage inscrit dans la société. Finalement c’est assez traditionaliste, la manière dont on voit les choses» (entretien F).

Il y aurait finalement un décalage entre les traditions sociales et la volonté des pouvoirs publics, ceux-ci prenant acte d’une situation avec laquelle ils ont à composer. «On s’adresse aux femmes parce que c’est elles qui ont décidé de garder leur enfant». En mettant en oeuvre des politiques sociales dédiées, l’Etat ne fait que prendre en compte «des moeurs ancrées depuis bien longtemps et selon lesquelles c’est à la femme d’élever l’enfant durant les premières années». Mais les mentalités évoluent peu à peu. Une publicité récente pour une marque de couches mettait par exemple en scène un père. Et on voit que les pouvoirs publics «s’adressent de plus en plus aux hommes». Ainsi, de petite avancée en petite avancée, on peut imaginer que dans une dizaine d’années les centres anciennement «maternels» s’adresseront également aux pères. Enfin, pour l’instant on s’adresse aux femmes car la société considère qu’il leur revient de s’occuper du jeune enfant. «En même temps, c’est quand même plus simple, ce sont elles qui allaitent (rire)» (entretien G).