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Fluctuations et contradictions dans l’application des politiques publiques

4°) réponse à la problématique

4.1. Fluctuations et contradictions dans l’application des politiques publiques

L’ensemble des évolutions du droit vont dans le sens de la limitation du pouvoir paternel et d’avancées vers une égalité hommes-femmes plus complète. Depuis la loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale rompant avec la «puissance paternelle», le «droit-fonction»133 s’étend

progressivement. La coparentalité s’impose, prenant en compte la banalisation des divorces et l’apparition des «nouvelles familles», recomposées et désormais potentiellement de même sexe.

Mais ces avancées génèrent un certain nombre d’effets pervers134 dans les milieux populaires. Elles

sacralisent la puissance de la mère alors que ce n’est pas la figure du père mais celle de la mère qui est centrale dans le milieux ouvrier135. C’est elle qui gère le quotidien, centralise l’argent et contrôle

les désirs de chacun.

La problématique s’inverse et pour les pouvoirs publics il n’est ici pas tant question de développer davantage le pouvoir des femmes que de réussir à impliquer les hommes. On le voit dans le cas des actions de «soutien à la parentalité» dans les quartiers marqués par l’échec scolaire et la délinquance juvénile136 (voire maintenant la «radicalisation»), mais également dans les dispositifs

de l’Aide Sociale A l’Enfance s’adressant principalement aux femmes comme les centres maternels. Dans les deux cas, les hommes sont peu impliqués, si ce n’est absents.

133 BOSSE-PLATIERE Hubert, L’autorité parentale après la loi du 4 mars 2002, Informations Sociales, 2003, n° 105, pp. 62-75

134 ASSOGBA Yao, «La sociologie de Raymond Boudon», 1999, Université du Québec à Chicoutimi, Les Classiques des sciences sociales [en ligne], consulté le 13 janvier 2015. URL http://classiques.uqac.ca/ contemporains/assogba_yao/sociologie_raymond_boudon/sociologie_raymond_boudon.pdf

135 JAMOULLE Pascale, Des hommes sur le fil, la construction de l’identité masculine en milieux précaires, La Découverte, 2013, p. 47

136 SAS-BARONDEAU Martine, «Les malentendus de la parentalité», dans MARTIN Claude (dir), «Etre un

Les centres maternels sont, nous l’avons évoqué, des établissements relevant de la protection de l’enfance et à ce titre de l’article L222-5 du code de l’action sociale et des familles. Stipulant que les établissements sont destinés aux femmes enceintes et mères isolées, il précise que «ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les établissements ou services qui accueillent ces femmes organisent des dispositifs visant à préserver ou à restaurer des relations avec le père de l'enfant, lorsque celles-ci sont conformes à l'intérêt de celui-ci».

Nous avons vu que l’orientation en centre maternel d’un certain nombre de femmes en couple avec le père de leurs enfants est validée par les services de l’A.S.E. Et nous avons eu l’occasion d’évoquer en introduction la prégnance du discours sur la coparentalité. Dans le même temps, non seulement les orientations nationales ne sont pas transmises dans l’établissement, mais les différents inspecteurs de l’A.S.E et services départementaux prennent des positions contradictoires sur le sujet. Le flottement est total.

Il semble que ce flottement aille bien au delà de la question évoquée ici puisque l’Etat opère une «reprise en main»137 de la protection de l’enfance dans sa globalité. Dans son intervention lors

d’une journée d’études de l’ONED le 22 janvier 2016, la secrétaire d’Etat Laurence Rossignol138

s’est dit «frappée par les inégalités territoriales, le besoin de cohérence et de repères des acteurs, ainsi que les difficultés d’articulation des interventions liées aux différences des cultures et des approches professionnelles»139. Un des éléments avancés par conséquent dans le projet de loi

relative à la protection de l’enfance a été de rétablir un Conseil national de la protection de l’enfance.140

137 ESCUDIE Jean-Noël, Protection de l’enfance : le gouvernement réaffirme et assume une reprise en main par l’Etat, Localtis.info, mis en ligne le 27.01.2016, URL http://www.localtis.info/cs/ContentServer?

pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250270200742&cid=1250270198997 138 Ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des Femmes depuis le 11 février 2016

139 «Protection de l’enfance : le gouvernement réaffirme et assume une reprise en main par l’Etat»,

Localtis.info, 27 janvier 2016, mis en ligne à http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/

LOCActu/ArticleActualite&cid=1250270198997. Consulté le 27 janvier 2016

140 «L’Assemblée rétablit le Conseil national de la protection de l’enfance», Localtis.info, 1er février 2016, mis en ligne à http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/

L’institution et la place du père, théorie et pratique

Alors que les textes appellent à «préserver ou à restaurer des relations avec le père de l'enfant» pour certains inspecteurs de l’Aide sociale à l’enfance, le fait que la femme soit en couple n’est pas considéré comme un point d’appui pour l’éducation de l’enfant et l’insertion mais tout simplement comme un motif d’exclusion immédiate du dispositif.

Ainsi l’équipe a indiqué dans un «rapport de situation» que Cassandra s’était mariée avec un jeune homme sans emploi et vivant encore chez ses parents. La réponse écrite de l’inspecteur a été une demande de fin de prise en charge car son lien avec l’enfant s’était amélioré et «de plus Madame

n’est plus considérée comme une mère isolée, étant mariée récemment».

L’aîné des enfants d’Aminata devant avoir trois ans (âge maximum pour une prise en charge dans l’établissement) les professionnels se sont adressés à divers services pour chercher un hébergement. Ils ont été appuyés par l’assistance sociale de la personne, s’adressant en particulier à un service du conseil départemental spécialement dédié au logement des mères en difficulté. En retour, l’assistante sociale a répercuté à l’équipe toute une série de questions posée par le dit service sur la situation de la jeune femme au regard du père de son plus jeune enfant, âgée de six mois seulement :

«Je viens d’avoir [...] au téléphone. Aucune proposition ne pourra être faite à Madame [...] tant que nous ne fournirons pas les informations suivantes concernant le père de [...] :

- quand et comment Madame a rencontré cet homme ?

- quelles relations entre Madame et Monsieur et entre Madame et sa fille ?

- Madame a t-elle un projet de vie de couple avec Monsieur ? Pourquoi ?

- Monsieur, depuis la naissance de sa fille, participe t-il à son éducation / à son entretien ?»

Le caractère extraordinairement intrusif de ces questions n’est pas sans poser problème. Sa logique, explicitée oralement est la suivante : chercher à savoir si une quelconque relation entre le père et la

mère ou les enfants existe. Parce que dans ce cas le service du conseil départemental se sentirait autorisé à refuser un autre hébergement à cette mère célibataire. Elle n’aurait alors plus d’autre solution que de recourir au «115».

Derrière cette position se profilent des enjeux assez éloignés de la prise en compte du bien être de la mère et de l’enfant mais de nature financière. Dans les deux cas évoqués, si la personne n’est pas considérée comme totalement isolée, le conseil départemental cherche à transférer la charge financière sur l’Etat, chargé lui des dispositifs d’hébergement des familles «à la rue».

Dans les deux cas évoqués, le discours public sur la coparentalité et sa déclinaison dans le champ de la protection de l’enfance ont été totalement balayés et tout au contraire, la présence voire la recherche du père n’ont pour fonction que de justifier des refus de prise en charge par les services concernés.

Le cas de Marivon et Killian est lui aussi intéressant. Comme il a été évoqué141 ce jeune couple est

originaire de Bretagne. Leurs épisodes de violence ont conduit au placement de leur fille en pouponnière. Pour pouvoir la récupérer, Marivon a du accepter un hébergement en centre maternel. Mais les services de l’ASE ont profité de ce moyen de pression pour rechercher une place en région parisienne. Il est rapidement apparu à l’équipe que la raison profonde de ce changement était de séparer le couple et par contrecoup de supprimer les contacts avec Monsieur, celui-ci étant considéré comme vindicatif voire dangereux envers les personnels de l’ASE concernée.

Dans ce cas également et pour des raisons différentes, se débarrasser d’un importun, on a pas hésité à pousser à la mise à l’écart d’un père. Quitte à assumer l’incohérence de l’octroi d’un droit de visite de 2h par semaine alors qu’il était SDF, sans ressources et à 500 km du centre maternel. Comme on pouvait s’y attendre, Kilian a alors «déménagé» en région parisienne. Et les services de l’ASE se sont trouvés cette fois totalement débarrassés des problèmes de «gestion» de cette famille.

4.2 Les professionnels, adhèrent t-ils aux idées et valeurs qu’ils doivent relayer