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Pour Daniélou [1951] « on peut dire que la civilisation a franchi un pas décisif et peut-être son pas

le plus décisif le jour où l’étranger, d’ennemi, est devenu hôte, c’est-à-dire le jour où la communauté humaine a été créée ».

Dans l’Antiquité

Dans la Grèce et la Rome antiques, l’hospitalité privée était une vertu et un devoir pour les citoyens riches. « Soyons bien convaincus que rien n’est plus sacré que les engagements de

l’hospitalité ; tout ce qui appartient aux étrangers est sous la protection d’un dieu qui vengera plus sévèrement les fautes commises envers eux qu’envers un concitoyen » (Platon, -346, livre Ve). Le lien

d’hospitalité entre un hôte étranger et un Romain était considéré comme plus sacré que les liens du sang ou amicaux [Smith, 1875, p. 621]. L’hôte est considéré comme un bien pour la maison . La mythologie rapporte des exemples d’hommes qui donnent l’hospitalité à des dieux : Philémon et Baucis reçurent Zeus et Hermès ; Thétis hébergea Dionysos. Les pratiques d’hospitalité privée sont fréquentes dans les pièces de théâtre de Plaute [Lécrivain, 1877].

Le citoyen romain avait l’obligation de recevoir chez lui l’étranger de même rang en voyage et de le protéger [Smith, 1875, p. 621 ; Grassi, 2001]. Il s’agissait d’une prescription à la foi civile et religieuse. La violation de la loi d’hospitalité était considérée comme un crime et une impiété [Lécrivain, 1877]. En Grèce, on pensait que Zeus Xenios et Athéna Xenia, veillaient au respect de la loi d’hospitalité (themis xeinon) et à Rome, c’était Jupiter Hospitalis qui était considéré comme le gardien de la jus hospitii [Smith, 1875, p. 621].

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Quels sont les rituels de l’hospitalité dans l’Antiquité ? L’hôte reçoit l’étranger avec un salut amical, lui serre les mains, lui fait apporter de l’eau pour ses ablutions et quelquefois un bain chaud, lui fait servir des aliments. Si l’étranger arrive au moment d’un grand repas, il est invité séance tenante ; s’il arrive le soir très tard, la réception solennelle est remise au lendemain. L’hôte invite l’étranger à rester le plus longtemps possible, sans toutefois l’importuner [Lécrivain, 1877]. L’étranger exprime, en arrivant, des souhaits de bonheur pour l’hôte et sa famille. Au début de la relation des cadeaux sont échangés. L’hôte est logé si possible dans une pièce spécialement dédiée voire dans une petite maison isolée. Il est généralement invité à dîner le premier jour et on lui fait aussi un cadeau lors de son départ. Les hôtes66 se doivent mutuellement protection et

se rendent à l’occasion des services [ibid.]. Le lien d’hospitalité était matérialisé par un

symbolon en Grèce ou une tessere d’hospitalité à Rome : un ensemble de deux pièces de

bois ou de terre cuite qui s’emboîtent et permettent de se reconnaître de génération en génération puisque le lien d’hospitalité est héréditaire [Smith, 1875, p. 621 ; Lécrivain, 1877 ; Pérol, 2004].

Il faut rester conscient que l’hospitium privatum n’était pas une hospitalité absolue et inconditionnelle comme celle rêvée par Derrida [1997b]. C’était plutôt une « admission

sous réserve » [Grassi, 2004a].

Hospitalité privée au Moyen Âge

Au Moyen Âge, l’hospitium privatum se perpétue pour les représentants et envoyés du roi, les seigneurs féodaux et les dignitaires ecclésiastiques. Ils peuvent demander voire exiger l’hospitalité aux églises, aux monastères, aux vassaux, aux paysans libres et aux serfs [Lesur, 2005, p. 24]. C’est alors une hospitalité obligatoire unilatérale [Gotman, 2001, p.32-33]. Les marchands trouvent dans les grandes places marchandes67 des confrères

qui leur offrent logement et boisson (mais rarement la nourriture) ainsi que des entrepôts pour les marchandises, moyennant une commission ou hostalagium [Pérol, 2004]. Les pèlerins sont hébergés dans les hôtelleries des monastères. À Rome, des

66 Hospes, en latin, désigne aussi bien l’hôte accueillant que l’hôte accueilli (cf. p. 21). 67 Provins, Avignon, Lucques, Plaisance, Vérone, Pavie, Milan, etc.

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quartiers se spécialisent dans l’hospitalité de pèlerins de telle ou telle origine. Ainsi, les Français se retrouvent autour de l’église et de l’hôpital de Saint-Louis [Lazard, 2001]. Au sein de la diaspora juive, dès le début du Moyen Âge, des institutions68 ont été mises

en place afin d’assurer l’hospitalité aux membres de la communauté en voyage, en particulier les étudiants [Bornet, 2004].

Au Japon, à partir du Moyen Âge (européen), les habitants des lieux saints d’Ise et des environs et des routes y conduisant offraient l’hospitalité : nourriture, logis, chevaux, palanquins, bateau pour traverser un cours d’eau [Kouamé, 2004]. De plus, les oshi69

accordaient l’hospitalité aux pèlerins, pas tout à fait gratuitement comme le reste de la population70, puisque les « fidèles-clients » devaient payer non pas les frais de leur

séjour, mais divers services religieux : entretien des chevaux sacrés, exécution des prières, danses sacrées [ibid.]. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, sur l’île de Shikoku,

l’hospitalité des personnes effectuant le pèlerinage des quatre-vingt-dix-huit lieux saints fut d’abord une pratique individuelle et spontanée puis, à mesure que les pèlerins se faisaient plus nombreux, une institution collective et une obligation sociale, comme à Rome et dans la Grèce antique [ibid.].

Hospitalité versus réception

Heal [1990] montre qu’en Angleterre, entre 1400 à 1700, l’hospitalité privée s’adressa de plus en plus exclusivement aux connaissances71 et la charité aux mendiants, malades

et faibles : aux uns, l’hôtel particulier ; aux autres, les auberges et hospices. Le partage de son chez-soi avec ses proches ou ses amis, est-ce un geste d’hospitalité ? Malina, 1986 ne le pense pas72. Ne s’agit-il pas plutôt d’une « réception » qui est l’occasion de « faire montre parfois de luxe et d’appartenance sociale ? » [Grassi, 2004a]. Ces réceptions sont

68 Comme les sociétés d’hospitalité (chevrat haknasat ‘orechim). Une taxe d’hospitalité devait régulièrement être

versée au profit de la synagogue afin de pourvoir à l’hébergement des pauvres et des étudiants [Bornet, 2004].

69 En français : « maîtres ». 70 cf. L’hospitalité privée (p. 49).

71 Amis, proches et personnalités officielles [Heal, 1990, p. 9]. 72 Voir sa définition de l’hospitalité dans le Tableau 2, p. 23.

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plus une « dépense sinon noble, du moins bourgeoise destinée à entretenir parenté, amitié et relations

sociales […] et contribuent à l’entretien du capital social. » [Gotman, 1977].