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Grassi [2001] pose la question : « Qui prend aujourd’hui le risque d’ouvrir sa porte à un inconnu,

à un étranger ? » Pour Gouirand [1991] l’hôtellerie est le gardien de la tradition antique

de l’hospitalité privée et les particuliers se sont déchargés sur les hôtels de toutes leurs obligations. Mais, nous discernons des gestes d’hospitalité destinés aux touristes dans des cadres privés. Cette partie étudie donc l’hospitalité monastique, l’accueil de vacances, les chambres chez l’habitant, les maisons d’hôtes, le couchsurfing et l’échange de maison. Dans chaque cas, la question est de savoir s’il s’agit vraiment d’un « partage

du “chez soi” ».

Hospitalité monastique

L’hospitalité monastique est une forme d’hospitalité touristique domestique puisque, aujourd’hui encore, les moines et les moniales accueillent dans leur résidence – même s’ils ne sont pas propriétaires de celle-ci – des pèlerins et des retraitants.

L’hospitalité monastique n’est pas née avec le monachisme chrétien. Dans l’Égypte ancienne, le pastophorium était une annexe d’un temple où l’on recevait temporairement, moyennant paiement, les fidèles qui venaient se soumettre aux épreuves de l’initiation, accomplir un pèlerinage ou une période de retraite [Lafaye, 1877]. Près du temple de Sérapis, vivaient des katochoi, des reclus plus ou moins volontaires, dont le mode de vie auraient inspiré les premiers chrétiens d’Égypte [Westermann, 1955, p. 55].

Le monachisme chrétien est le fait d’hommes et de femmes qui veulent mener une vie entièrement consacrée à Dieu : ils choisissent soit l’érémitisme, comme saint Antoine, au IVe siècle, soit le cénobitisme [Dubois, 1985, p. 5]. Saint Pacôme, au IVe siècle, créa

un monastère à Tabennisi, en Égypte. Les bâtiments communautaires comprenaient une hôtellerie pour les étrangers [ibid., p. 6]. Les principes du monachisme furent définis par saint Basile de Césarée (329-379) qui créa un monastère dans le Pont (Turquie actuelle). Il rédige des principes de vie ascétique, les Grandes Règles et les Petites Règles, qui

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régissent la vie des moines d’Orient aujourd’hui encore. L’hospitalité fait partie des œuvres de bienfaisance prévues. Élu évêque de Césarée en 370, saint Basile crée une petite ville comprenant une église, des logements, un hospice, des écoles et une hôtellerie pour les voyageurs et les pèlerins [Bricout, 1925, p. 664].

Dans les monastères d’Occident, c’est la Règle de saint Benoît de Nursie, inspirée de celle de saint Basile, qui prévaut. Le chapitre 5373 de cette règle, intitulé « Des hôtes à

recevoir », commence par : « Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car il dira

un jour : “J’ai été votre hôte et vous m’avez reçu”. À tous on rendra les égards qui leur reviennent, surtout aux frères dans la foi et aux pèlerins. Dès qu’un hôte sera annoncé, le supérieur ou des frères iront à sa rencontre avec l’empressement requis par la charité. » Puis sont précisés les rapports

que la communauté doit entretenir avec les hôtes : prière commune, baiser de paix, salut, jeûne, lavement des mains et des pieds des hôtes, lecture de la Parole de Dieu, repas, élaboration des repas des hôtes, rencontre. Saint Benoît a tenu à rappeler : « C’est

surtout en recevant des pauvres et des pèlerins qu’on montrera un soin tout particulier, car, en eux plus qu’en d’autres, c’est le Christ qu’on reçoit. Pour les riches, en effet, la peur qu’ils inspirent porte d’elle- même à les honorer. »

José Seydoux [1983, p. 74-75] s’est intéressé particulièrement à l’hospice du Grand- Saint-Bernard. Celui-ci est situé à 2 473 mètres d’altitude, sur la route, construite en 12 avant J.-C., du col qui relie le Valais (Suisse) au Val d’Aoste (Italie). C’est saint Bernard de Menthon qui entreprit l’édification de l’hospice vers 1050 afin de sécuriser le passage74. Il s’agissait d’assurer le « service des voyageurs » et le « service de la

montagne ». Dans les anciennes règles de la maison était précisé : « Chaque jour, des guides

s’en iront de chaque côté de la montagne, jusqu’à la distance d’environ une lieue, plus loin si la nécessité se fait sentir. Ils apporteront avec eux la nourriture habituelle : le pain, le vin, le fromage, comme on l’a toujours fait. Après une nuit passée à l’hospice – ou plus, s’il y a tempête – les guides repartiront avec les voyageurs jusqu’à ce qu’ils soient sortis des périls de la neige » [ibid., p. 75].

73 La Règle de saint Benoît [en ligne]. Disponible sur : <http://www.abbaye-montdescats.fr/public/spiritualite/

st_benoit_sommaire.php>. (Consulté le 26-9-2010).

74 MAILLARD Anne-Marie. L’hospitalité, œuvre de miséricorde. Congrégation du Grand-Saint-Bernard [en ligne].

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Aujourd’hui encore, de nombreux monastères continuent d’accueillir des hôtes dans ce qu’ils appellent toujours une « hôtellerie ». Une lecture flottante [Bardin, 2009, p. 126] des pages Web de 28 monastères (cf. Annexe 2, p. 275) montre que l’hospitalité monastique s’adresse d’abord à des pèlerins et des retraitants :

« La paix, la prière et la Parole de Dieu […] sont proposées en sorte qu’ils puissent se ressourcer et prendre un nouvel élan spirituel. » (Abbaye Notre-Dame de Saint-Joseph-d’Ubexy –

Trappistines)

« Le monastère est un lieu ouvert à tous, à tous les âges de la vie, à tous ceux qui recherchent une coupure dans leur vie, une pause de réflexion, de retour à une vie intérieure souvent masquée et par le rythme des activités quotidiennes. » (Monastère Sainte-Trinité – Bénédictines)

Cette hospitalité n’est pas entièrement gratuite. C’était déjà le cas au Moyen Âge : les voyageurs fortunés se faisaient un devoir de verser des oboles [Pérol, 2004]. Mais tous les voyageurs n’avaient pas les moyens d’en verser et les frais d’hospitalité représentaient une lourde charge pour les monastères, d’autant plus que la durée du séjour n’était pas limitée [Gouirand, 1987, p. 409]. Aujourd’hui, le prix est adapté.

« Les frais du séjour s’élèvent à 30 euros par jour (nuit, petit déjeuner et deux repas). Si ces frais s’avéraient être un obstacle pour votre présence parmi nous, n’hésitez pas à en parler avec le frère hôtelier. » (Abbaye Sainte-Marie-du-Désert – Cisterciens)

« Les frais de séjour : leur montant est laissé à la libre appréciation de chacun, selon ses moyens. Nul ne doit être arrêté par une difficulté financière. Votre participation nous permettra de couvrir les frais, et votre générosité nous permettra d’accueillir les personnes sans revenu. .» (Abbaye

Saint-Benoît d’En Calcat – Bénédictins)

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Mais l’hospitalité monastique, comme l’hospitalité des premiers chrétiens75, a un but

missionnaire affirmé :

« L’hôtellerie est ce lieu de rencontre d’hommes et de femmes en recherche d’un lieu de silence et de paix, d’un lieu où se poser et poser ses questions. » (Monastère Saint-Dominique –

Dominicaines)

« Notre hôtellerie monastique n’est ni une pension de famille ni un hôtel, nous recevons des personnes désirant avant tout ce qu’offre un monastère vivant selon la Règle de saint Benoît, et la possibilité de participer aux Offices Liturgiques. » (Abbaye Sainte-Marie-de-Boulaur –

Cisterciennes)

L’hospitalité monastique constitue donc bien une forme d’hospitalité touristique domestique, même si elle répond aux besoins de touristes particuliers.

Accueil de vacances

Une autre forme d’hospitalité touristique domestique est celle pratiquée par des familles qui, dans le cadre d’associations charitables, reçoivent des enfants de milieux défavorisés qui ne partiraient pas en vacances autrement.

Ainsi en 2010, le Secours Catholique a permis à 3 000 enfants (22 000 journées) d’être accueilli dans des familles76. L’Accueil Familial de Vacances consiste à mettre en relation

des enfants et des familles d’accueil qui les reçoivent pendant leurs vacances77.

De son côté, le Secours populaire français organise diverses actions pour permettre aux personnes en difficulté d’avoir accès aux vacances78. En 2007, 2 935 enfants ont été

accueillis par une famille bénévolement.

75 cf. Hospitalité judéo-chrétienne (p. 36).

76 Message du Secours Catholique. Juillet-août 2010, n° 648, p. 3 et 6.

77 Accueil familial de vacances (AFV) [en ligne]. Disponible sur : <http://www.secours-catholique.org/pour-

agir/benevole/les-domaines-du-benevolat/accueil-familial-de-vacances-afv.html>. (Consulté le 27-9-2010).

78 Les vacances, ce n’est pas du luxe [en ligne]. Disponible sur : <http://www.secourspopulaire.fr/

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Ce type d’hospitalité est peu médiatisé. Le Secours populaire français communique beaucoup plus sur les Journées des oubliés des vacances. Pour approfondir le sujet, il faudrait interroger des enfants et des familles d’accueil.

Chambres chez l’habitant

Les chambres chez l’habitant sont une pratique d’hospitalité domestique ancienne. Au Moyen Âge, dans les grandes villes comme Paris, Londres ou Prague, les voyageurs, suivant leur rang, pouvaient bénéficier, moyennant paiement, d’une chambre dans une maison bourgeoise ou chez un habitant plus modeste [Pérol, 2004].

Il faut distinguer la chambre d’hôtes de la chambre chez l’habitant. Il existe des maisons d’hôtes qui se rapprochent de l’hôtel du fait de la séparation très nette entre les locaux réservés au propriétaire et à ses proches d’une part et aux clients-hôtes, d’autre part. On est alors à la frontière entre l’hospitalité domestique et l’hospitalité commerciale. Cette question sera largement abordée dans la troisième partie dans laquelle est étudiée l’hospitalité des propriétaires de maison d’hôtes. Mais quand on songe aux chambres louées, dans les îles Britanniques, à de jeunes Européens en séjour linguistique, même si l’hôte invitant est rémunéré, on ne peut pas parler d’hospitalité commerciale, mais plutôt d’hospitalité domestique. Hepple, Kipps et Thomson [1990] suggèrent que la manière dont se fait le paiement a une influence forte sur l’expérience d’hospitalité : le jeune ne rétribue pas directement la personne qui le reçoit et ce sont même ses parents, en fait, qui paient l’organisateur du séjour.

CouchSurfing

Le couchsurfing, que Cova [2008] propose de traduire par « le fait de passer d’un canapé à

l’autre », est aussi une pratique d’hospitalité domestique. L’idée n’est pas nouvelle

puisque le réseau Servas79 existe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a été

créé par un mouvement pacifiste et permet « des rencontres directes entre personnes de différents

pays et diverses cultures ». L’Internet a facilité le développement de ce type de réseau.

79 Une autre idée du voyage. Servas France [en ligne]. Disponible sur : <http://www.servas-france.org/

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Schéou [2009] en recense deux principaux : Hospitality Club créé en Allemagne en 2000 et Couchsurfing, né en 2004 aux États-Unis.

Les couchsurfers n’hésitent pas à ouvrir leur porte à l’étranger et donc à partager leur « chez- soi ». À leur tour, en surfant sur un site Internet communautaire de couchsurfers, ils pourront trouver un canapé (couch en anglais) lors de leurs déplacements touristiques : je t’héberge, tu m’héberges. Cependant, dans certains réseaux comme Servas, les membres peuvent être hôtes, voyageurs ou hôtes et voyageurs. Schéou [ibid.] a montré que les motivations des uns et des autres sont asymétriques et multiples : certains sélectionnent les gens qu’ils vont recevoir ou chez qui ils vont aller et d’autres non ; certains aiment recevoir pour se divertir et d’autres pour communiquer et tisser des liens avec des étrangers ; certains voyageurs instrumentalisent la pratique puisqu’ils cherchent d’abord à diminuer leurs frais de séjour tandis que d’autres espèrent avoir plus de contacts avec la population locale. Pour Schéou, en dehors des raisons pécuniaires, les motivations des couchsurfers « procèdent plus ou moins de la même logique : il

s’agit d’une certaine manière de lutter contre un manque (quantitatif ou qualitatif) de relations sociales ». Il évoque des pratiques dévoyées : certains membres sollicités orientent vers

des hébergements clandestins payants ou font payer à partir de la deuxième nuit. Dans la même veine, le réseau social Livemyfood met touristes et résidants « en relation

autour du repas chez l’habitant. Il permet à tous ceux qui le souhaitent de se rencontrer autour d’un repas, que ce soit durant un voyage à l’étranger ou dans votre propre pays.80 » Il est né de la volonté

de fuir les restaurants signalés par les guides touristiques et qui ne sont fréquentés que par des touristes. Mais la prestation n’est pas gratuite : le voyageur doit, en général, participer aux frais81.

Échange de maison

Grâce à l’Internet, l’échange de maison ou d’appartement durant les vacances s’est aussi beaucoup développé. À première vue, il pourrait sembler qu’il s’agit d’un geste

80 Le concept [en ligne]. Disponible sur : <http://www.livemyfood.com/index.php?action=concept>.

(Consulté le 19-3-2011).

81 GOUCHAN Simona. Connaissez-vous le food-surfing ? L’Express, Cahier n° 2, n° 3115, semaine du 16 au 22

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d’hospitalité domestique. Mais s’il y a bien un « chez l’autre », il n’y a pas de chez-soi puisque le propriétaire est absent. Pour Godbout [1977] « dans l’hospitalité, l’esprit du

donneur – et même sa présence physique – est une partie du don ».

L’hospitalité touristique domestique prend donc des formes diverses : hospitalité monastique, chambre chez l’habitant, maison d’hôtes, couchsurfing. Quantitativement, elle ne représente pas beaucoup de nuitées sauf si l’on ajoute l’hébergement chez des proches ou amis dans le cadre du tourisme affinitaire. Mais s’agit-il d’hospitalité ou de réception ? Lorsque l’on reçoit un proche chez soi, est-il vraiment étranger ? Nous ne le pensons pas.

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OSPITALITÉ TOURISTIQUE COMMERCIALE

Pour de nombreux chercheurs anglo-saxons dans le champ des tourism studies, il n’y a aucun doute : les cafés, hôtels et restaurants sont des entreprises d’hospitalité commerciale. Ainsi, selon Sandoval-Strausz [2007, p. 143], l’hôtel constitue simplement un nouveau paradigme pour l’hospitalité, par rapport à l’auberge familiale. Mais Lockwood et Jones [2000], qui opposent hospitalité domestique82 et hospitalité

commerciale, reconnaissent que, lorsqu’elle est commercialisée, l’hospitalité diminue et devient moins authentique ; le client peut donc être un peu déçu. La générosité qu’implique l’hospitalité et la recherche de la rentabilité semblent antinomiques [Heal, 1990, p. 1 ; Lashley, 2000 ; Telfer, 2000 ; Hemmington, 2007].

La question est donc de savoir si, lorsqu’une organisation commerciale reçoit des clients pour les héberger, les sustenter ou les abreuver, il s’agit d’accueil, de service ou d’hospitalité ? Une clarification de ces concepts s’impose. Ce chapitre commencera par poser la question de l’hospitalité dans les hôtels et restaurants avant de distinguer hospitalité, service et accueil.