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2. L’homme-Christ beckettien, recrucifié pour finir encore

2.1 L’impasse de L’Enfant-Jésus

2.1.2 L’homme-Christ, vieil enfant

Un beau jeune homme à barbiche

Chez Beckett, la figure du Christ est souvent décrite comme dans le passage suivant :

lever les yeux chercher des visages dans le ciel des animaux s’endormir et là

un beau jeune homme rencontrer un beau jeune homme à barbiche dorée

264Ibid., p. 96. 265I, p. 133. 266AF, p. 39.

267Gilles Deleuze, op. cit., p. 10. 268I, p. 107.

vêtu d’une aube se réveiller en sueur et avoir rencontré Jésus en rêve269

Dans Premier amour, Jésus est aussi « un jeune homme barbu »270. Dans Malone meurt, le jeune homme barbu évoque à coup sûr le Christ : « Celui qui parlait était un

homme, naturellement, dans la fleur et la force de l’âge, […] et il portait une barbe galeuse destinée sans doute à renforcer sa ressemblance avec le Christ »271. Malone

suggère que les épreuves que Macmann subit peuvent être comparées à la Passion christique, en faisant savoir que Macmann porte aussi la barbe comme le jeune homme dont il reçoit l’éloge, qui considère le nom de Macmann comme un beau nom272: « Il [le jeune homme barbu] ajouta, après un silence, C’est un beau nom,

sans que l’on pût savoir au juste si cet éloge allait au beau nom de Moll ou au beau nom de Macmann »273. Comme nous l’avons vu, le jeune homme et Moll sont des

personnages qui portent des signes représentant directement Jésus-Christ. Macmann les remplace plus tard en tant qu’homme-Christ, dans la mesure où la mort de Moll lui abandonne l’éloge de la beauté et où le jeune homme devient méconnaissable. La question du directeur, « Où est le beau jeune homme à la barbe de Christ ? »274, et la

remarque suivante de Malone sur la barbe de Macmann, ouvrent la possibilité de considérer ce dernier comme porteur de la barbe du Christ. Bien que Macmann ne soit pas jeune, il possède deux éléments qui, chez Beckett, caractérisent le Christ, la barbe et la beauté, et qui le lient donc à Jésus.

Selon S. J. Ferdinand Prat, le type barbu et chevelu du Christ succède au type jeune et imberbe à partir du IIIe siècle, surtout dans les fresques, pour représenter

« le Christ docteur et juge »275. La barbe est alors un signe de la connaissance et de la

sévérité. Dans En attendant Godot, la barbe blanche est une clé, par laquelle Godot qui est un vieillard à barbe blanche, peut être pris pour Dieu que Lucky décrit comme

269CC, p. 70. Nous soulignons. 270PA. P. 14.

271MM, p. 137.

272Comme nous l’avons vu dans le sous-chapitre précédent, à condition que le nom corresponde

avec l’identité, un beau nom peut désigner un bel homme.

273MM, p. 138. 274MM, p. 184.

275S. J. Ferdinand Prat, Jésus Christ : sa vie, sa doctrine, son œuvre, tome II, Paris : Beauchesne

« Dieu personnel quaquaquaqua à barbe blanche »276. Chez Beckett, dans la plupart

des cas, la barbe est un attribut de la divinité, tandis que les poils en sont un de l’animalité : « il ne viendrait pas à moi j’irais à lui me blottir dans sa toison on ajoute qu’une bête ici »277. Dans Comment c’est, les poils révèlent bien l’animalité des

personnages qui rampent dans la boue : « je lui ai offert à manger écrasé contre la bouche perdue dans les poils la boue ma paume dégoulinante de foie de morue », et mettent en relief leur trivialité en les agglutinant en un corps unique : « sa bouche contre mon oreille nos poils emmêlés impression que pour nous séparer il aurait fallu les trancher »278. Dans cette situation, la barbe blanche qui symbolise le vieux Dieu le

Père, s’oppose à la « masse de poils tout blancs » qui prouvent le vieillissement et l’anomalie : « masse de poils tout blancs au toucher je suis fixé c’est un petit vieux nous sommes deux petits vieux quelque chose là qui ne va pas »279. Cette anomalie

qui est exprimée par « quelque chose là qui ne vas pas » provient de la synesthésie : à travers le toucher, le narrateur perçoit même la couleur. En revanche, en suivant Ahmad Kamyabi Mask qui estime que « “Dieu Le Père à la longue barbe blanche” est un cliché trop usé »280, ou Pierre Sadoulet qui réduit cette figure de Dieu à une

« référence précise à l’imagerie biblique populaire »281, la barbe blanche qui suggère

Dieu le Père chez Beckett, est plutôt banale, de sorte qu’ayant perdu le grandiose et le sublime, elle n’est qu’une caricature. Rappelons encore une scène de Premier amour où l’on trouve l’image d’« un jeune homme barbu », censé être Jésus, sur l’almanach pendu au mur des toilettes. L’almanach et les toilettes n’indiquent-ils pas la banalité ? En l’occurrence, la divinité que la barbe symbolise est dégradée, c’est-à-dire que la barbe du Christ ne signifie plus ni la connaissance ni la sévérité. Cette barbe sert alors plutôt de lien entre l’homme-Christ et Jésus banalisé, pour souligner la souffrance sans salut du premier par rapport à la Passion ou à l’impuissance du dernier, et

276EAG, p. 55. 277CC, p. 20.

278CC, p. 102-103 et p. 143. 279CC, p. 85.

280 Ahmad Kamyabi Mask, « Beckett en Iran », in Samuel Beckett Aujourd’hui : Présence de Samuel Beckett, édité par Sjef Houppermans, Éditions Rodopi, 2006, p. 423.

281 Pierre Sadoulet, « La fin de l’acte I de En attendant Godot : Effets de sens et microanalyse

discursive », in Création théâtrale : adaptation, schèmes, traduction, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2007, p. 333.

montrer ainsi la parodie du Christ, qui efface la distinction entre la trivialité et la sublimité.

Saint Augustin définit la beauté comme Dieu : « Dieu est la beauté éternelle, parfaite, immuable. Cette beauté éternelle nous a aimés la première, et il nous a aimés dans notre laideur et notre difformité, non pour nous y laisser, mais pour faire succéder à cette laideur une éclatante beauté », et il la rapporte alors à l’amour : « La mesure de votre amour sera la mesure de votre beauté, parce que la charité elle- même est la beauté de l’âme »282. Selon le théologien chrétien, la beauté du Christ,

qui est représentée par son amour de la charité, témoigne de l’union en Jésus-Christ de la nature divine et de la nature humaine. Suivant cette conception, nous pouvons dire que la beauté de Dieu n’existe pas pour les personnages de Beckett qui sont abandonnés dans la laideur et la difformité. Par exemple, Hamm – aveugle, toujours assis dans un fauteuil à roulettes parce qu’il ne peut pas se lever, ressentant de la culpabilité, se définissant comme le plus misérable du monde, et demandant sans cesse des calmants pour adoucir ses douleurs – s’écrie : « Le salaud ! Il [Dieu] n’existe pas ! »283. En effet, dans Fin de partie, le monde gris auquel l’aveugle Hamm

appartient, contraste avec la beauté : « HAMM. – J’ai connu un fou qui croyait que la fin du monde était arrivée. Il faisait de la peinture. […]. Je le prenais par la main et le traînais devant la fenêtre. Mais regarde ! […]. Toute cette beauté ! […]. Il m’arrachait sa main et retournait dans son coin. Épouvanté. Il n’avait vu que des cendres »284.

Tout d’abord, cette citation montre que Hamm garde la beauté dans ses souvenirs, si bien qu’il désire la voir encore à travers les yeux de Clov. Cependant, ces souvenirs soulignent plutôt l’absence de la beauté et font d’elle un paradis perdu. En outre, cette citation suggère que le monde réel de Hamm ressemble bien à celui que le fou a vu. En effet, Hamm, qui invente des histoires, est aussi créateur ou artiste que le fou, il ne peut que rester dans le noir, qui résulte de la perte de la vue, comme le fou demeure prisonnier du monde en cendres qu’il croit voir. Pour eux, la distinction

282 Augustin d’Hippone, Œuvres complètes de Saint Augustin (traduit par Péronne, Vincent,

Écalle et Charpentier), tome 10, Paris, 1869, p. 558.

283FP, p. 74. 284FP, p. 60-61.

entre la beauté et la laideur semble inutile et impossible, puisqu’il n’y a presque rien à comparer avec la misère qui domine leur monde, c’est-à-dire que la beauté en est absente : « Ce seront des histoires ni belles ni vilaines, calmes, il n’y aura plus en elles ni laideur, ni beauté, ni fièvre, elles seront presque sans vie, comme l’artiste »285.

Hamm essaie sans cesse de retrouver la beauté dans son monde. Il contraint alors Clov à regarder le monde à sa place, mais ce dernier écrase cette recherche de la beauté en constatant que le monde est gris, sans soleil : « CLOV. – Les flots ? (Il

braque la lunette.) Du plomb. […] HAMM. – Et le soleil ? CLOV (regardant toujours). – Néant. […] CLOV (de même). – Il fait gris. […] Gris ! […] GRRIS ! […] » ;

« HAMM. – Ce n’est pas un rayon de soleil que je sens sur mon visage ? CLOV. – Non »286. En outre, Clov renie l’amour et la pitié, auxquels Hamm le force : « HAMM.

– Tu ne m’aimes pas. CLOV. – Non. HAMM. – Autrefois tu m’aimais. CLOV. – Autrefois ! »287. Dans cette pièce de théâtre, la beauté appartient tout entière au

passé : « CLOV. – Nous aussi on était jolis – autrefois. Il est rare qu’on ne soit pas joli – autrefois »288. Il ne s’agit pas ici du passé au sens des expériences déjà vécues dans

l’ordre du temps chronologique, mais du passé mythique, du paradis perdu. À propos de la lumière, qu’il n’a jamais vue, Clov invente : « Je me dis que la terre s’est éteinte, quoique je ne l’aie jamais vue allumée »289. La lumière, qui représente la beauté, n’est

pas le passé qui a été présent pour Clov, mais le passé qui se réduit toujours à « autrefois », et qui donne seulement l’image abstraite de la beauté d’un temps immémorial. Ainsi la proposition « Autrefois tu m’aimais » appartient plus au passé mythique qu’au passé historique, dans la mesure où l’amour que Clov exprime comme un robot, avec l’attitude indifférente qu’indique la didascalie « regard fixe,

voix blanche », ne provient pas de son cœur, mais d’un mythe que d’autres lui ont fait

croire : « CLOV (regard fixe, voix blanche). – On m’a dit, Mais c’est ça, l’amour, mais si, mais si, crois-moi, tu vois bien que – »290. Dans cette situation, la beauté s’éloigne

285MM, p. 8. 286FP, p. 45-46 et p. 84. 287FP, p. 18. 288FP, p. 59. 289FP, p. 107. 290FP, p. 105.

sans cesse du monde gris, et l’existence sans salut (ou sans fin) de Hamm et de Clov devient éternelle.

Dans Oh les beaux jours, l’expression « Oh les beaux jours de bonheur ! » apparaît une fois à propos de souvenirs de Winnie, qui est de plus en plus enterrée dans le mamelon sous la lumière aveuglante du soleil, et qui se dit sans cesse dans le désert, bien qu’elle soit avec son mari Willie. Souvent elle s’écrie : « Oh le beau jour encore que ça va être ! »291. Cependant, comme Fin de partie, cette pièce de théâtre

finit par montrer la distance entre la beauté et la misère de l’existence de Winnie, et par faire entendre ses exclamations sur la beauté comme des antiphrases, et voir qu’elles ne sont que des mots vides.

L’exclamation « Oh le beau jour encore que ça va être ! » renferme un espoir messianique, dans la mesure où Winnie considère le beau jour comme celui où « la chair fond à tant de degrés et la nuit de la lune d’heures »292, et où se retrouve le

paradis perdu de ses souvenirs, qu’évoque « Oh les beaux jours de bonheur ! ». Pour ainsi dire, son beau jour signifie la fin de son existence misérable, c’est-à-dire le salut. Beckett semble prendre cet espoir messianique pour une tromperie de Winnie par elle-même. Il concentre donc l’attention sur son existence même, grise et misérable, sans beauté ni salut, en dévoilant la vacuité des éléments messianiques à travers l’ironie et l’humour.

Au début du premier acte, la prière de Winnie peut se rapporter aux mots inscrits sur le manche de sa brosse à cheveux : « prières peut-être pas vaines – (un temps, de

même) – matin – (un temps, de même) – soir – ([…] examine le manche de la brosse, lit) – solennellement … garantie … véritable … pure … »293. Bien que ce rapport en

arrive à révéler l’humour ironique, aussitôt que l’objet décrit est dévoilé comme simple soie de porc, les mots grandioses employés semblent au premier abord refléter le caractère de la promesse du salut de Jésus-Christ, que Winnie prie avant de commencer sa journée, et conforter son espoir messianique.

Avant de révéler que l’objet n’est que la « soie de porc », Winnie augmente la

291OBJ, p. 21, et dans le premier acte, p. 20, p. 41, p. 47 et p. 56 ; et dans le second, p. 75 et p. 76. 292OBJ, p. 23-24.

curiosité des spectateurs en répétant quelques mots écrits sur la brosse d’un ton très solennel, qui leur laisse imaginer qu’il s’agit de quelque chose de précieux. Cette situation est bien sûr faite par Beckett pour produire un effet comique. Henri Bergson écrit : « Parler des petites choses comme si elles étaient grandes, c’est, d’une manière générale, exagérer. L’exagération est comique quand elle est prolongée […]»294. Le

philosophe explique que cette exagération est un des moyens de la transposition, puisqu’« on obtiendra un effet comique en transposant l’expression naturelle d’une idée dans un autre ton »295. Beckett ajoute au comique de l’exagération une autre

transposition296, en suggérant un rapport entre les mots solennels sur la brosse et

l’espoir messianique de Winnie. Henri Bergson note que la dégradation est un des moyens d’obtenir le rire : « Le risible naîtrait “quand on nous présente une chose, auparavant respectée, comme médiocre et vile” »297. Dans la mesure où, après la

prière de Winnie à Jésus-Christ, se répètent l’expression de sa conscience de sa réalité, malheureuse, sa dénégation de ce malheur (ou ses distractions pour le cacher), ses rappels de la bonté de Dieu et sa lecture incomplète des mots vantant la soie de porc, ceux-ci paraissent soutenir ses « prières peut-être pas vaines ». Cette superposition du discours publicitaire et d’expressions religieuses ne dégrade pas seulement la divinité du Christ, mais aussi rend la possibilité du salut de Winnie – c’est-à-dire de la venue de son beau jour – douteuse. Ce faisant, comme nous l’avons aperçu, la comparaison entre le Christ et le porc (entre la barbe et la soie) se produit, et elle permet d’entrevoir la trivialité, l’ambiguïté et l’existence sans salut de l’homme-Christ. En bref, la double transposition comique, exagération et dégradation, révèle la vacuité de la prière et de l’exclamation de Winnie « Oh le beau jour encore que ça va être ! ».

Enfin, dans le second acte, le hiatus qui est dans les mots de Winnie désirant le salut, c’est-à-dire la beauté, devient plus explicite à partir de son aveu soudain : « Et

294Henri Bergson, Le rire : essai sur la signification du comique, Paris : Presses Universitaires de

France, 1991, p. 95.

295Ibid., p. 94.

296 « Les moyens de transposition sont si nombreux et si variés […]. D’ailleurs, sans aller aussi

loin, il est aisé de voir que si la transposition du solennel en trivial, du meilleur en pire, est comique, la transposition inverse peut l’être encore davantage », Ibid., p. 93-95.

pas un mot de vrai nulle part »298, dans la mesure où le hasard le plus malheureux la

frappe, puisqu’elle est cette fois enterrée jusqu’au cou. En effet, dans le premier acte, l’absence de la beauté ne s’exprime qu’implicitement. En s’occupant à se faire les lèvres et à se peigner, Winnie essaie de montrer la possibilité de la beauté (ou du salut), mais elle prend quand même conscience que la beauté s’est déjà éloignée : « […] quand j’étais jeunette et … follette … (la voix se brise, elle baisse la tête) … belle … peut-être … jolie … en un sens … à regarder », même si elle ne l’accepte pas en traitant cette conscience comme « bouillons de mélancolie »299. En revanche, dans le

second acte, comme le malheur l’empêche d’utiliser tous ses membres, Winnie exprime plus directement l’absence de sa beauté : « Je n’ai pas pu refaire ma beauté, tu sais »300. Cette absence en accompagne une autre : « Je priais autrefois. (Un temps.) Je dis, je priais autrefois. (Un temps.) Oui, j’avoue. (Sourire.) Plus

maintenant »301. Cet aveu marque en quelque sorte l’absence du nom de Jésus-Christ

qui est la beauté même et qui peut faire « succéder à cette laideur une éclatante beauté ». L’absence de la beauté devient ainsi explicite, et l’invocation de Winnie met davantage en relief la distance entre la beauté et sa misère.

Que le temps de la phrase « je priais autrefois », soit l’imparfait de l’indicatif exprimant le passé d’habitude, révèle que ce hiatus signifie aussi l’effondrement de l’ordre habituel, tel que Moran l’éprouve dans Molloy. Pendant son voyage, Moran perd ce qui compose son monde privé, qui est organisé et habituel : « Je m’y frayai un chemin, vers ce que j’aurais appelé ma perte si j’avais pu concevoir ce que j’avais à perdre »302, si bien qu’il n’observe plus ses habitudes, dominicales, hygiéniques ou

vestimentaires, qui garantissaient la joie et la paix de sa vie quotidienne. Michel Bernard exprime cette perte à l’aide du terme deleuzien de « la débâcle de Chronos303», en définissant le monde privé de Moran comme « un monde organisé,

298OBJ, p. 61. 299OBJ, p. 41. 300OBJ, p. 74. 301OBJ, p. 61. 302Mo, p. 227.

303 Selon Gilles Deleuze, Chronos, qui désigne le temps chronologique ou successif, est une de

deux lectures du temps ; et l’autre est Aiôn. Alors que Chronos est le présent qui remplit tout seul le temps et qui résorbe le passé et le futur, Aiôn est le passé-futur qui divise à chaque instant le

réglé par le temps de l’horloge »304.

Dans Oh les beaux jours, le changement de refrain de Winnie montre aussi cette débâcle. Winnie utilise souvent l’adjectif « vieux » à son propos, surtout dans le premier acte : « Vieilles choses », « Vieux yeux », « Vieux Brownie !», « Le vieux style !» (10 fois) et « Prie ta vieille prière, Winnie »305. Cet adjectif recouvre « toutes

les sottises – habituelles »306, reflétant l’existence toujours misérable de Winnie et sa

longue attente du salut, mais souligne que l’espoir ou la possibilité du salut (ou de la beauté) restent inchangés. Il est donc notable que l’adjectif représente le temps chronologique et successif, rendu par l’imparfait de l’indicatif. L’adjectif « vieux » soutient ainsi la présence de Dieu et l’avenir du salut, et rend Winnie « prévoyante »307à travers le raisonnement.

En revanche, dans le second acte, cet adjectif est de plus en plus remplacé par les adverbes « autrefois » (11 fois), « plus maintenant » et « soudain »308, et par l’adjectif

« vieux » d’une nature différente, puisque, si dans les autres occurrences il participe aux habitudes, il reste longtemps potentiel (ou refoulé) et monte finalement à la surface pour troubler ces habitudes309: « Chante. (Un temps.) Chante ta vieille

chanson, Winnie »310. Les adverbes qui indiquent l’expiration du délai du « vieux

style » de Winnie et sa réalité aléatoire, montrent le hiatus de ses habitudes et la fêlure de sa conviction : « Soudain une souris … (Un temps. Ton narrateur.) Soudain

présent, qui le subdivise à l’infini en passé et futur, dans les deux sens à la fois. Gilles Deleuze,

Logique du sens, p. 190-197.

304Michel Bernard, Samuel Beckett et son sujet : Une apparition évanouissante, Paris : Éditions

L’Harmattan, 1996, p.179.

305OBJ, p. 17, p. 39, p. 19, p. 23, p. 27, p. 28, p. 31, p. 38, p. 40, p. 50, p. 52 et p. 57. 306OBJ, p. 51.

307OBJ, p. 39.

308 OBJ, « autrefois » : p. 60, p. 61, p. 62 et p. 65 ; « plus maintenant » : p. 61, p. 62 et p. 63 ;

« soudain » : p. 67 et p. 71.

309 Gilles Deleuze distingue le mauvais Chronos du bon Chronos : « Le devenir-fou de la

profondeur est donc un mauvais Chronos, qui s’oppose au présent vivant du bon Chronos. Saturne gronde au fond de Zeus » (Gilles Deleuze, Logique du sens, op.cit., p. 192). En quelque sorte, dans la mesure où l’adjectif « vieux » du second acte qui suggère la profondeur interne de Winnie, remplace celui du premier acte qui montre le présent vivant de Winnie et qui lui donne la