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Philippe-Charles Nestel

Ethnométhodologue, fondateur de babelweb.org, professeur

Présenté en procédure d’urgence, le projet de loi Création et Internet, instaurant une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet fut adopté le 30 octobre 2008 par la quasi totalité du Sénat qui avait examiné en une seule journée quelques 200 amendements5. Principalement visée par ces mesures pédagogiques : les jeunes générations. « L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale », déclara la Mme Catherine Morin-Desailly, Sénatrice de la Seine-Maritime, Membre du groupe Union Centriste, lors de séance du 29 octobre 20086.

M. Serge Lagauche, Sénateur du Val-de-Marne (Ile-de-France), Membre du Groupe Socialiste, renchérit : « Je suis satisfait que certains de mes collègues aient permis, par leurs amendements, l’ajout d’un volet éducatif en prévoyant la sensibilisation des collégiens aux phénomènes de téléchargement illicite et de peer to peer. ».

M. Michel Thiollière, rapporteur proposa donc de compléter l’article L. 312-9 du code de l’éducation, qui prévoit actuellement que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique » par l’article 9 bis du Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet qui fut votée au Sénat : « Dans ce cadre, ils reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et Internet des collégiens, sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés ».

En mars 2009, le texte fut soumis à l’Assemblée nationale. Six amendements7 à l’Article 9 bis, proposés par des députés de la majorité parlementaire furent présentés, dont celui de Mme Marland-Militello, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, qui proposa dans la foulée de modifier l’article L. 312-6 du code de l’éducation concernant les enseignements artistiques.

L’Hadopi dans l’éducation

Le 26 mars 2009, l’April, Association pour la promotion et la défense des logiciels libres publia un communiqué de presse8 où l’on put lire : « Alors que le projet de loi Création et Internet est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, l’April tient à souligner combien le contenu de l’article 9 bis constitue un manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l’école. Cet article, qui condamne le téléchargement dans l’absolu, méprise le foisonnement d’œuvres en partage. Il désigne les technologies comme une menace, s’appuyant sur la vision partiale et biaisée d’industries n’ayant pas su s’adapter au numérique. »

Dans ses présupposés idéologiques le projet de loi Hadopi1 présentait, de façon partiale et manichéenne, le droit d’auteur sur Internet en opposant la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles « nuisible » à la création artistique, à une « offre légale » accessible sur un « catalogue des œuvres protégées » permettant de rémunérer cette création. Ce faisant, les promoteurs de la loi Hadopi occultaient tout simplement la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres qui constituent pourtant une offre légale abondante.

D’après des estimations minimales, 250 millions d’œuvres9 et documents sous licences Creative Commons étaient recensées en juillet 2009.

Une technologie neutre - le téléchargement - y était diabolisée alors même que la notion d’échange d’informations via un protocole de communication sur un canal de transmission constitue une notion informatique de base qui devrait être intégrée au sein de l’enseignement technologique en collège, au même titre que le modèle client/serveur sur lequel s’appuie l’architecture du réseau Internet.

De nombreux adolescents pratiquent ces technologies tous les jours sans en comprendre les principes sous-jacents.

Dire le droit et informer les jeunes générations des sanctions pénales encourues par le téléchargement illicite, ne doit pas se transformer sous l’égide du ministère de l’éducation nationale en propagande. Il importe que les enseignants soient formés, que de réels contenus soient institués au sein d’un véritable enseignement, expliquant le droit d’auteur, les licences, y compris celles sous copyleft, afin que les adolescents soient informés de ce qui est licite et de ce qui ne l’est pas. Il n’est pas tolérable de présenter les seuls intérêts du lobby de l’industrie du divertissement comme la seule alternative d’une offre légale au

téléchargement illicite, au mépris de la neutralité scolaire et commerciale de l’école : « le service public d’enseignement doit en effet répondre à l’intérêt général et aux missions qui lui sont dévolues. Les établissements scolaires n’ont par conséquent pas vocation à effectuer des opérations commerciales »(10).

à l’Assemblée, quelques députés comme Martine Billard ou Jean-Pierre Brard, déposèrent des sous-amendements, pour défendre la neutralité scolaire, afin que l’Article 9 bis prenne également en compte l’existence des licences libres et ouvertes. Ainsi, Mme Martine Billard, pour soutenir le sous-amendement n° 527, déclara :

« L’article 9 bis prévoit que les élèves recevront une information sur les dangers du téléchargement pour la création artistique dans le cadre du brevet informatique et Internet des collégiens. Soit, mais comme nous ne disposons toujours pas du rapport prévu par la loi DADVSI, le débat reste ouvert sur le bilan de celle-ci. C’est la raison pour laquelle ce sous-amendement vise à prévoir que l’information sera « neutre et pluraliste » – ce n’est pas encore une réalité – et qu’elle présentera « également la diffusion légale des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres ». Si j’insiste sur les licences du type Art Libre ou Creative Commons, c’est qu’elles sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers. »(11).

Ces sous-amendements furent discutés mais rejetés suite à l’avis défavorable du rapporteur Franck Riester (UMP).

Occultées par la loi Hadopi, dans la présentation qui devait être donnée aux collégiens, les œuvres sous licences ouvertes et libres constituent une excellente alternative au téléchargement illégal. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels, ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et la transformation des œuvres.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adapté au monde de l’éducation.

Inspirées du mouvement pour le logiciel libre, elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, l’album Ghosts I-IV de Trent Reznor, distribué sous licence de libre diffusion sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plate-forme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

L’Hadopi dans l’éducation

La France n’est pas en reste. Un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons. Plus de 30 000 œuvres musicales sur la plate-forme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, réunis au sein de la coopérative Libre Accès pour fournir un cadre économique assurant une juste rémunération aux artistes.

La création et la diversité sont les fruits de la multiplicité des échanges libres entre populations, ce qui est exactement l‘inverse de ce que tente d’imposer l’Hadopi. L’école a tout intérêt à travailler sur des ressources libres, mais également sur des logiciels libres qui constituent une forme d’éducation à la citoyenneté.

Lors des débats sur Hadopi2, M. Brard et Mne Billard proposèrent l’amendement 181 qui stipulait(12) :

« L’article L. 312-6 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles, sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. ».

Dans sa dernière version, Hadopi 2 ne fait plus aucune référence à la modification du code de l’éducation. Reste posée la question de l’exception pédagogique.

3 L’Académie en ligne : Conditions d’utilisation du site

http://www.academie-en-ligne.fr/MentionsLegales.aspx

4 Conseil Constitutionnel : Décision n° 2006-540 DC - 27 juillet 2006 http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540/2006540dc.htm

5 Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence le 30 octobre 2008.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1240.asp

http://www.senat.fr/seances/s200810/s20081030/s20081030020.html

6 Sénat : séance du 29 octobre 2008 (compte rendu intégral des débats).

http://www.senat.fr/seances/s200810/s20081029/s20081029010.html

7 Amendements à l’article 9 bis, déposés à l’Assemblée nationale : Amendement n° 23, Amendement n° 95, Amendement n° 96, Amendement n° 197, Amendement n° 198.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000023.asp http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000095.asp http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000096.asp http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000197.asp http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000198.asp

8 Hadopi : propagande anti-libre à l’école ?

http://www.april.org/fr/Hadopi-propagande-anti-libre-a-lecole

9 Creative Commons, Approximate Minimum Total CC Licensed Works as of July 2008. À noter la croissance exponentielle : 20M en 2005, 50M en 2006, 90M en 2007, 130M mi-2008, 250 M en juillet 2009.

http://wiki.creativecommons.org/Metrics

10 Article L. 511-2 du Code de l’éducation : « Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ».

http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=6B98E0BCF0359004A4A3C83AFB03248F.t pdjo13v_3?idArticle=LEGIARTI000006525120&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20090313

11 Sous-amendement n° 527 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000527.asp

11 La neutralité commerciale sur le site Eduscol.

http://eduscol.education.fr/D0028/03_neutralite.htm

12 Amendement n° 181, présenté par M. Brard, Mme Billard

http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1841/184100181.asp

L’Hadopi dans l’éducation

O

n peut lire de-ci de-là l’absurdité des prétentions de la loi Création et Internet. Faudra-t-il fermer les points d’accès à Internet que l’on peut trouver aujourd’hui dans les jardins publics comme dans les aéroports ? Ou bien faudra-t-il limiter cet accès à des sites prédéterminés ? Et que fera-t-on de l’accès sauvage à l’Internet de son voisin, par le même moyen des connexions sans fil ? Ou faudrait-il interdire ce moyen ? D’ores et déjà les logiciels multipliant les problèmes juridiques sont en libre circulation sur le net, et risquent fort de se répandre bien plus vite que les tentatives d’application de la loi. Avant même que le décret soit signé tous seront devenus d’habiles pirates…

Ne faudrait-il pas s’en féliciter ? Par son imbécillité, le législateur incite la population à s’emparer des moyens de la modernité à bouchées redoublées.

Il n’est pas sûr toutefois qu’il faille en vouloir aux parlementaires dans cette affaire. N’ont-ils pas rejeté cette loi une première fois ?

Il faut se remémorer comment le Président de la République a pu exprimer alors son mécontentement personnel. Le Conseil constitutionnel a retoqué le texte une deuxième fois – et cela n’aura pas empêché qu’une troisième tentative soit faite, sous le nom d’Hadopi 2.

Celle-ci devait passer au Parlement fin juillet, à l’heure des mauvais coups, quand citoyens, journalistes et militants sont en vacances, supposés hors d’état de réagir. L’an dernier, à la même saison passait une modification de la loi sur la durée du travail, portant de 35 à 48 heures la durée de travail hebdomadaire – sans susciter, en effet, la moindre réaction.