• Aucun résultat trouvé

bituur esztreym

Président & Co fondateur de Musique libre ! et de la plateforme Dogmazic.net

Hadopi, pauvre monstre législatif bafouant plusieurs principes fondamentaux, présomption d’innocence, inversion de la charge de la preuve, droit à un procès équitable, droit à la libre expression, sans parler de l’ignorance technologique ébouriffante - mais qui inquiète un peu - qu’elle révèle chez des politiques, industriels, et experts supposés sachant (et je ne parle pas ici du pare-feu Open Office du ministère de la Culture), Hadopi, ouf... pouf pouf... Hadopi est un syndrome révélateur des pulsions et cauchemars des pouvoirs dominants actuels, d’hier déjà.

Il est une chose oubliée : comment faisait-on avant la musique enregistrée, avant la domination d’un marché qu’elles ont créé, par des industries de production de supports de musique enregistrée ?

Tout simple : beaucoup, sinon tout le monde, jouaient de la musique, chantaient, tous partageaient la musique à tous moments de la vie familiale, communautaire, locale, urbaine, etc. C’était en nous. Ce n’est que progressivement, à la faveur des moyens externes de reproduction de la musique, que nous avons désappris à jouer, à vivre, à partager la musique.

Elle est au long du XXe comme de nombreux autres artefacts humains devenue objet, produit, marchandise, soumise de plus en plus à des exigences techniques, puis financières, requérant sa raréfaction (en même temps que sa diffusion / imposition omniprésente et addictive), pour qu’on désire la consommer, et paye pour en jouir fugitivement, ne sachant plus comment la vivre.

Mais « Et paf le chien » dirait un hacker facétieux (oui, je vous demande pardon, le hacker, le « Libre enfant du savoir numérique », non content de ne pas respecter la concentration industrielle, d’interpréter la censure comme un obstacle et de la contourner, le hacker est irrévérencieux et joueur), voilà survenir une époque, une technologie, le numérique, dont une des caractéristiques fondamentales est d’être essentiellement copie, copie innombrablement disponible, copie sans perte.

La musique retrouve, bien plus qu’elle n’acquière à cette occasion, sa qualité de bien public et non de rival. Nous ne savions plus la lire, plus la jouer, il n’y avait plus d’instruments dans nos foyers, nos lieux de vie, nous ne partagions plus cet art, comme art de vivre, comme pratique, comme partage et bien commun, et non comme loisir, divertissement, consommation ?

Voilà que nous pouvons la « lire » à tout moment à notre gré sur nos « lecteurs multimédias », la recomposer, en faire nos playlists, l’étudier, la remixer, la rediffuser, la partager, la rejouer. Voici que le partage nous est loisible, dans des proportions inconnues, ce qui à nous-mêmes, à nous tous, procure un certain vertige croyez bien, en même temps qu’une allégresse, et une fierté particulière.

Nous pouvons partager, avec les musiciens en premier lieu, entre musiciens en premier lieu, avec le public ensuite, avec nos proches, nos semblables, d’une manière qui ne nous était jamais apparue avant mais qui fait écho d’autant plus profondément à ce goût du partage, du don et contre-don, dont les anthropologues ne sont pas les seuls à savoir combien il est constitutif de ce que nous sommes.

Et nous irions, pour l’apaisement de la bile de quelques Danaés de fortune, devenues stériles, renoncer à recouvrer cette dignité du partage ? Parce qu’un modèle économique daté se voit mis en question, nous renoncerions à notre dignité, à des libertés fondamentales, nous éteindrions le soleil pour quelques fabricants de chandelles crevant de trouille : « ma cassette, ma cassette ! », tortillent-ils en geignant les plateaux de télévision, les antichambres de ministères et les estrades...

Hadopi passée, il y aura d’autres épisodes. Il y aura tout un moment où la

« nécessaire rémunération des artistes » obscurcira encore tous les sujets, alibi qu’utiliseront tous les tenants aigris d’un modèle obsolète de contrôle concentré de la distribution de la parole démocratique, de l’offre culturelle, selon l’uniforme modèle de la consommation massifiée consumant le désir qu’elle exploite. Il y aura, il y a déjà, qui gagnera, qui gagne déjà, la construction libre et improvisée, contributive elle-même, partagée, d’un modèle d’économie et de société de la contribution.

Nous là-dedans, la petite communauté grandissante au sein de laquelle j’œuvre, d’où je parle sans m’arroger le droit de parler en son nom, qui pratiquons depuis dix ans déjà ce partage, en le permettant et garantissant par l’usage de licences libres, qui offrent à tous la liberté de recevoir, copier, étudier, disséminer, modifier, redistribuer, sans se les réapproprier, les œuvres, expressions, créations appartenant ainsi intimement du même mouvement à son auteur et à tous, nous là-dedans, nous travaillons, nous partageons, avec la fierté du travail bien

La fierté du travail bien partagé

I. Introduction

Messieurs, il ne vous est pas possible de vous transformer soudain, d’un jour à l’autre, en maîtres accomplis, mais vous pourriez préserver dans une certaine mesure votre dignité en vous éloignant de cet Art qui vous cuculise et vous cause tant de soucis. Pour commencer, rejetez une fois pour toutes le mot « art » et le mot « artiste ». Cessez de vous plonger dans ces vocables et de les ressasser avec monotonie. Ne peut-on pas penser que chacun est plus ou moins artiste ? Que l’humanité crée de l’art non seulement sur le papier ou sur la toile, mais à chaque moment de la vie quotidienne ? Quand une jeune fille se met une fleur dans les cheveux, quand une plaisanterie surgit au cours d’une conversation, quand nous nous perdons dans le clair-obscur d’un crépuscule, tout cela n’est-il pas de l’art1 ?

II. Observation

Désormais, la création était essentiellement un travail de coopération plutôt qu’individuel, un travail technique plutôt que manuel. […] La nouveauté, c’était que la technologie avait saturé d’art la vie quotidienne, tant privée que publique. Jamais il n’aura été plus difficile d’éviter l’expérience esthétique.

« L’œuvre d’art » s’est perdue dans un flot de mots, de sons et d’images, dans un environnement universel de ce qu’on aurait autrefois baptiser du nom d’art2.

Aussi, les artistes, parmi les plus intéressants, auront-ils eu à cœur, depuis le début du XXème siècle, de n’être pas soumis à cette esthétisation généralisée.

On est troublé par tous ces gens qui se prennent pour des artistes3.