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Antoine Moreau

Artiste, Copyleft_Attitude

Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes, et on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme4.

L’art va dans le décor quant il n’est fait que pour la forme ; pure formalité administrative. Fait par d’ssus la jambe, cette forme n’a pas la forme, pas la santé, elle n’opère pas l’esprit, elle n’ouvre pas à l’inimaginable, ell’n’pointe pas plus loin qu’le bout d’son nez. Car l’esthétisation des productions de l’esprit est une occultation de ses capacités opératoires, capacités techniques, via la forme, d’ouvrir au delà du jugement critique. Entendu que l’esthétique est la fin de l’art, c’est-à-dire un genre d’accomplissement où l’art est relégué dans notre représentation, loin d’affirmer sa nécessité effective et de s’assurer une place de choix, comme il le faisait jadis. Ce que suscite en nous une œuvre artistique de nos jours, mis à part un plaisir immédiat, c’est un jugement, étant donné que nous soumettons à un examen critique son fond, sa forme et leur convenance ou disconvenance réciproque5.

Ce n’est pas qu’il n’y ait plus d’art, c’est qu’il y en a plus ; tant et plus qu’il ne peut se réaliser que par ses à-côtés ou via sa décréation qui consiste à

faire passer du créé dans l’incréé6. III. Forme

Ce que font le numérique et l’Internet, c’est d’acter le fait accompli de la saturation d’art dans la vie quotidienne. à nous d’agir en conséquence : l’art est un mouvement en constante évolution, sa forme n’existe qu’en transit, en transition, en transmission, diffuse et insaisissable en réalité.

[...] il n’y a pas de forme, puisque la forme est de l’immobile et que la réalité est mouvement. Ce qui est réel, c’est le changement continuel de forme : la forme n’est qu’un instantané pris sur une transition7.

Il est certain que l’art repose sur le perfectionnement de la forme. Mais vous - c’est votre seconde erreur cardinale - vous croyez qu’il consiste à créer des œuvres parfaites sur le plan formel ; ce processus universel et infini

L’art de rien mine de tout

de la création de la forme, vous le réduisez à la production de poèmes ou de symphonies ; et vous n’avez même pas été capables de jamais sentir et expliquer à autrui le rôle énorme que la forme joue dans notre vie. [...]

Ô puissance de la Forme ! Par elle meurent les nations. Elle provoque des guerres. Elle fait surgir en nous quelque chose qui ne vient pas de nous.

Si vous l’ignorez, vous ne pourrez jamais expliquer la sottise, le mal, le meurtre. C’est elle qui commande nos plus infimes réactions. C’est elle qui se trouve à la base de la vie collective. Mais pour vous Forme et Style restent des concepts purement esthétiques, pour vous le style n’existe que sur le papier, c’est celui de vos récits. Messieurs, qui donnera une tape sur le cucul que vous osez présenter aux gens quand vous vous agenouillez devant l’autel de l’art ? Pour vous, la forme n’est pas quelque chose de vivant, vous vous livrez dans le vide à des stylisations abstraites. Au lieu de vous servir de l’art, vous le servez et, doux comme des moutons, vous le laissez entraver votre évolution et vous enfoncer dans un enfer indolent8.

IV. Action

Aussi, s’agit-il de retrouver la grande santé formante de la forme, son formidable élan de création infinie. Ce que des artistes ont mis en œuvre en s’inspirant du logiciel libre avec la Licence Art Libre9. Licence copyleft, à l’image de la General Public License du projet GNU10, elle autorise, dans le respect des droits de l’auteur, la copie, la diffusion et la transformation des œuvres. Elle protège la création mise en commun en interdisant l’appropriation exclusive. Ce qui est à chacun est à tous, ce qui est à tous est à chacun. Elle est recommandée par la Free Software Foundation11 et peut être utilisée dans les 164 pays signataires de la Convention de Berne12.

Le vrai art il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt.

[...] Alors, personne ne le reconnaît. Il se promène partout, tout le monde l’a rencontré sur son chemin et le bouscule vingt fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l’idée que ça pourrait être lui monsieur Art lui-même dont on dit tant de bien. Parce qu’il n’en a pas du tout l’air13.

---Notes

1 Witold Gombrowicz, Moi et mon double, Ferdydurke, introduction à « Philidor doublé d’enfant », Quarto, Gallimard, 1996, p. 332.

2 E. J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes, Éditions Complexes, 1994, p. 669, 670.

3 Didier Méreuze, envoyé spécial à Avignon, au sujet du spectacle de Renaud Cojo ( festival off), « Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust ». La Croix, 24/07/09, http://www.la-croix.com/arti-cle/index.jsp?docId=2385516&rubId=5548

4 Arthur Cravan, Cravan vous parle, « Salon des Indépendants », Paris, 1914, http://www.parousia.fr/Textes/

Tsimtsoum/n1/SalonIndependants.htm

5 Hegel, Esthétique, textes choisis par Claude Khodoss, PUF, 2004, p. 23.

6 Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Plon, 1988, p. 81.

7 Henri Bergson, L’évolution créatrice, PUF, 2006, p. 302.

8 Witold Gombrowicz, op. cit., p. 334, 335

9 Rédigée en 2000. Voir le site Copyleft Attitude http://artlibre.org

10 http://gnu.org

11 « We don’t take the position that artistic or entertainment works must be free, but if you want to make one free, we recommend the Free Art License. » http://www.gnu.org/licenses/licenses.html

12 http://www.copyrightfrance.com/hypertext/berne2.htm

13 Jean Dubuffet, L’homme du commun à l’ouvrage, Gallimard, 1973, p. 91.

L’art de rien mine de tout

Chapitre VI