• Aucun résultat trouvé

De l’habitat à l’habiter : nouvelles perspectives d’implication pour les Parcs

des Parcs naturels régionaux

1.2. De l’habitat à l’habiter : nouvelles perspectives d’implication pour les Parcs

Le passage d’un habitat-fonctionnel tel que l’avaient observé les géographes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, à un habitat-marchandise marqué par la maison individuelle en série et le développement des grands ensembles conduit notre recherche à reconsidérer le contexte historique d’après-guerre. Dans Habitat et villes : l’avenir en jeu, somme de contributions réunies par Jean-Claude Driant en 1992, la psychosociologue Yvonne Bernard a présenté les raisons qui ont permis l’implication de la sociologie dans l’étude de l’habitat : elles étaient la conséquence des évolutions économiques et sociales de la société, dont elle dressait le portrait par ailleurs.

78 Boulanger (2008) dans Nemoz, op. cit.

79 Némoz, op. cit

60 Dès 1960, on assiste à une modification des comportements domestiques dans la société française, caractérisée par des transformations morphologiques de la famille. Les changements sont nombreux : diminution de la taille des ménages, décohabitation, recomposition de familles séparées, familles monoparentales, etc. Les modes de vie évoluent donc en conséquence et les demandes en matière d’habitat s’en trouvent modifiées. Cependant, Yvonne Bernard ne considère pas que ces transformations aient eu un impact direct sur les formes de logement, mais plutôt d’abord sur leur localisation. La diminution du temps de travail observée à partir des années 1970 va également modifier le rapport à l’habitat, sans pour autant produire de transformations majeures au sein de l’espace domestique. On peut cependant constater que le développement du temps consacré aux loisirs correspond au changement du rapport à l’espace et à l’environnement quotidien. Les espaces privatifs extérieurs, comme les jardins, vont progressivement devenir des éléments centraux du confort des populations qui démultiplieront leurs usages, au détriment des espaces collectifs. Selon l’auteur, l’amélioration de la condition féminine au sein de notre société a eu aussi des répercussions importantes dans le rapport qu’entretiennent les individus à l’habitat. Le développement du travail féminin, qui a réduit le temps de présence des femmes dans le foyer et, de ce fait, le temps consacré aux activités domestiques, engendra en effet plusieurs conséquences. Parmi elles, un partage des tâches domestiques entre l’homme et la femme, le développement de l’équipement électroménager et la simplification des tâches induites. Le rapport au logement et l’organisation des pièces de vie évoluèrent en conséquence. Par exemple, la cuisine, jusqu’alors considérée comme un espace féminin, deviendra un lieu de convivialité pour la famille.

Cette période marqua donc un tournant dans l’étude de l’habitat. Compte-tenu de ces évolutions majeures dans les modes de vies, les sociologues intégrèrent l’habitat parmi les préoccupations des sciences sociales81, mais essentiellement dans les villes. Par ailleurs, les principaux chercheurs intéressés par le sujet déploieront leur savoir sur les espaces urbains. C’est l’entrée en scène, à partir des années 1960, de nouvelles disciplines qui sont celles de l’aménagement et de l’urbanisme. Dès lors, « la préoccupation aménagiste prolonge une tendance déjà en place avant-guerre, qui éloigne l’étude de l’habitat urbain d’une approche morphologique, au profit d’une réflexion sur son rôle dans le développement urbain »82.

Dans ce contexte, les territoires ruraux et, par extension, les Parcs naturels régionaux, auront du mal à trouver leur place. En effet, ces territoires avaient perdu un temps l’intérêt des observateurs, au point que leur renversement démographique, dans les années 1970, provoqua la stupeur. Les campagnes avaient bien intéressé les ethnologues soucieux de l’évolution des modes de vie des agriculteurs, mais ils ne se soucièrent que rarement de l’arrivée pourtant précoce de néo-ruraux et du développement continu de l’habitat individuel non agricole.

81Ibid.

61 Cette section reviendra donc sur ces nouvelles considérations de l’habitat d’après-guerre, en s’intéressant à l’attrait socio-urbanistique, qui marqua un décalage entre préoccupations urbaines et rurales et au passage progressif de la notion d’habitat à celle de l’habiter, plus adaptée au contexte de Parc. Nous verrons comment les PNR s’adaptent ou non à l’une et l’autre de ces évolutions.

1.2.1. Vers une géographie de l’espace vécu

Les évolutions socio-économiques de la société ont fait pencher les chercheurs en sciences sociales vers deux modes de lecture de l’habitat : la compréhension de l’espace intime et intérieur et l’observation de l’habitant dans son environnement urbain.

La première façon d’appréhender l’habitat nous rapproche, dans la méthode, des pratiques d’avant-guerre, où l’on considérait la maison comme un « espace géographique à part entière »83

. Des sociologues et des anthropologues s’attelèrent à cette tâche à partir des années 60, tandis que les géographes et urbanistes s’appliquaient au second mode de lecture, qui nous intéresse plus particulièrement. L’habitat devint en effet un outil de mesure et d’analyse sociospatiale de la ville, en ne considérant plus cette dimension uniquement sous l’emprise de l’habitation :

« La notion d’habitat […] a permis d’élargir le regard porté sur le logement et d’étendre le champ descriptif en prenant compte, d’une part, les différentes

dimensions de la relation entre l’être humain et le lieu où il réside (usages pratiques, dimensions affectives et identitaires, normes et coutumes) et, d’autre

part, le contexte social et spatial dans lequel s’inscrit le logement. »84.

Les premiers travaux d’envergure concernant le rapport de l’homme à la ville furent produits par Xavier Piolle en 197985. Les résultats, bien que considérés comme fragiles par certains de ses pairs86, participèrent à la mise en place de nouvelles méthodes d’analyse de l’habitat urbain. Cela passa d’abord par la variété de sujets traités au sein de sa thèse : « le logement, les échelles d'organisation de l'espace et de la vie quotidienne, le commerce »87. La première partie de l’ouvrage Les Citadins et leur ville : Approche de phénomènes urbains et recherche méthodologique fut consacrée au logement, dont Piolle fit l’analyse morphologique. Il s’intéressa également au parcours résidentiel des populations et aux inégalités face à l’accès au logement. Dans la seconde partie, il s’interrogea sur le dimensionnement de l’espace quotidien vécu par les habitants, en jaugeant notamment la

83Ibid.

84 Lucas Pattaroni, Vincent Kaufmann, et Adriana Rabinovich, Habitat en devenir. Enjeux territoriaux, politiques

et sociaux du logement en Suisse (Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009).

85 Fijalkow et Lévy, op. cit.

86 Antoine Haumont et al., « Les citadins de Pau et leur ville : un livre en débat. Xavier Piolle, Les citadins et leur

ville. Approche de phénomènes urbains et recherche méthodologique », Revue géographique des Pyrénées et du

Sud-Ouest 52‑4 (1981): 533-46. Haumont critiqua le caractère fragile des théories avancées et l’absence de référence aux études sociologiques déjà établies sur le sujet.

62 validité de la notion de quartier. Enfin, l’auteur s’interrogeait sur l’accès aux commerces des habitants et aux effets ségrégatifs de la distribution résidentielle.

Ces travaux ont marqué un tournant dans l’étude de l’habitat en France. Ils ont notamment permis de lui donner une dimension spatiale bien plus large que celle du logement, en prenant en compte les différentes échelles de la ville. Dès lors, l’approche typo-morphologique de l’habitat conjugua une approche par la perception et les représentations de l’espace habité. Armand Frémont introduisit en outre la notion d’espace vécu, consistant à considérer l’espace non pas comme un simple support ou territoire de vie, mais en y intégrant la charge affective et les valeurs qui relient l’homme au lieu et le lieu à l’homme88

.

Cette évolution majeure dans l’interprétation de l’habitat représente un marqueur de l’écart profond qui se creuse encore aujourd’hui entre la considération de la ville et de la campagne. Alors que les collectivités sont souvent les seuls acteurs à organiser, produire ou permettre la production de l’habitat en milieu rural, elles n’ont que trop récemment eu accès à ce genre de méthode pluridisciplinaire pour accompagner leurs réflexions et leurs projets. En résulte des réalisations souvent appuyées sur un cadrage réglementaire élémentaire. En revanche, comme nous le montrera davantage la quatrième partie de notre thèse, les Parcs montrent aujourd’hui un intérêt certain dans ce rattrapage. Ils proposent pour bon nombre, dont le PNRA, des pratiques alternatives d’analyse territoriales, plus fines et plus sensibles permettant de changer certaines pratiques locales. Reste que pour le moment, ces méthodes, très récentes, n’ont pas abouti à de changements massifs sur leurs territoires mais pourrait bien, à long terme, prouver le contraire.

1.2.2. L’intérêt progressif pour la question de « l’habiter »

Le concept d’habitat, tel qu’il avait été engagé dans les précédentes décennies et exposé dans les premières lignes de ce chapitre, fini par devenir trop étroit pour percevoir la complexité de nos sociétés. Piolle en avait déjà dessiné les contours, mais les sociologues viendront le préciser. Dans cette mouvance sociospatiale, naquit alors un nouveau concept, celui de l’habiter. Ainsi trois disciplines majeures - la géographie, la philosophie et la sociologie - contribuèrent à son exploration, afin de mettre au point une connaissance scientifique des manières dont les êtres humains habitent. Une vision courante consiste à concevoir l’habiter en y questionnant « l’être dans l’espace ». Cet état de l’homme, dont les théories ont été développées par Heidegger dans les années 1920, prétend en effet que les individus entretiennent un rapport à l’espace qui valorise la proximité, l’enracinement,

63 l’immobilité et la fixité89

. Or, Stock, à la fin des années 2000 pointe une carence de cette théorie : elle ne prend pas en compte le caractère mobile de l’homme. En effet, la mobilité humaine accrue a radicalement changé les façons d’appréhender l’habiter, produisant un processus « d’extension

spatiale des pratiques »90. Stock y voit l’apparition d’un nouveau « mode d’habiter poly-topique ». L’auteur introduit alors un second point de vue dans le traitement de l’habiter, celui de « faire avec l’espace ». Habiter reviendrait à intégrer tout ce qui agit humainement en relation avec l’espace, au-delà des pratiques uniquement quotidiennes ou reliées au seul fait de résider. Il introduit par la même la notion de « pratique de l’attachement au monde ou pratique de relation au monde », développée notamment par Benno Werlen91.

Mais habiter implique également la notion de cohabitation. Pour Olivier Lazzaroti, « habiter reviendrait ainsi à se construire en construisant le monde, dans l’implication réflexive de chacun et de tous »92. Habiter consisterait à construire des relations humaines à partir et au travers de l’espace habité93. Dès lors, comme nous l’indique le schéma page suivante, la notion d’habiter peut être établie comme un processus circulaire entre savoir/représentations et pratiques de l’espace et une triangulation relationnelle entre l’habitant, les autres et l’espace habité.

Si ce concept n’est pas ordinairement explicité par les Parcs ni même revendiqué, on peut considérer qu’il est aujourd’hui intuitivement admis par une partie des syndicats mixtes. En effet, en tant qu’acteurs de proximité, ils s’impliquent généralement dans ce circuit et leurs façons d’intervenir coïncident avec cette relation habitant-territoire. En ce sens, les actions envers l’habitat vont, d’une part, significativement s’atteler à l’organisation des espaces habités, par des mesures d’aménagement et de planification ; d’autre part, s’orienter vers l’habitant, par des actions de sensibilisation et de pédagogie. Le premier agit directement sur les pratiques et le second sur les savoirs, apportant ainsi des clés de cohabitation. Ces deux modes d’interventions sont ainsi inscrits dans leurs missions principales : l’aménagement du territoire et l’accueil, l’éducation et l’information ; le Parc d’Armorique n’échappe donc pas à ce nouveau mode d’implication.

89 Mathis Stock, « Théorie de l’habiter. Questionnements », in Habiter, le propre de l’humain (Paris: La

Découverte, 2007), 103-25.

90 Mathis Stock, « L’habiter comme pratique des lieux géographiques. », Revue électronique des sciences humaines

et sociales, 18 décembre 2004, https://www.espacestemps.net/articles/habiter-comme-pratique-des-lieux-geographiques/.

91 Mathis Stock, « L’hypothèse de l’habiter poly-topique : pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à

individus mobiles. », Revue électronique des sciences humaines et sociales, 26 février 2006,

https://www.espacestemps.net/articles/hypothese-habiter-polytopique/.

92 Olivier Lazzarotti, « Habiter, aperçus d’une science géographique », Cahiers de géographie du Québec 50, no

139 (2006): 85-102.

64

Figure 6 : Habiter selon Olivier Lazzarotti. Source web, Géoconfluence

1.3. Appréhension systémique des espaces habités : une