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L’exposition de la population générale aux pesticides est très peu et mal mesurée

A. Les effets aigus

3) L’exposition de la population générale aux pesticides est très peu et mal mesurée

L’INSERM, chargé par l’AFSSET d’établir un bilan des connaissances sur les liens entre l’environnement et cancer, a réuni, pour réaliser cette nouvelle expertise, deux groupes de chercheurs ayant des compétences dans les domaines de l’épidémiologie, de la toxicologie, de la clinique, de la médecine du travail et de la quantification des risques. Les résultats publiés en octobre 2008 font état du classement par le CIRC, en ce qui concerne les pesticides, de l’arsenic comme cancérogène certain, du captafol et du dibromure d’éthylène comme cancérogènes probables (groupe 2A) et de dix-huit molécules, dont le DDT, comme cancérogènes possibles (groupe 2B).

L’INSERM souligne que près d’un millier de molécules ont été mises sur le marché en France et que les risques liés à ces molécules ne peuvent être évalués faute de données toxicologiques et épidémiologiques suffisantes.

Cependant, l’INSERM indique que :

- « Les expositions professionnelles aux pesticides ont été plus particulièrement mises en cause dans les hémopathies malignes lymphoïdes. Des études en populations agricoles suggèrent leur implication dans les tumeurs cérébrales et dans les cancers hormono-dépendants (cancers de la prostate, du sein, des testicules, de l’ovaire). » ;

- « Chez l’enfant, l’utilisation domestique de pesticides, notamment d’insecticides domestiques, par la mère pendant la grossesse et pendant l’enfance, a été régulièrement associée aux leucémies et, à un moindre degré, aux tumeurs cérébrales. » ;

- « La plupart des études souffrent cependant d’une forte imprécision sur l’exposition aux pesticides, souvent réduite à la notion d’utilisation ou non de pesticides ou des grandes familles telles que insecticides, fongicides, herbicides. La réalité de l’exposition en milieu agricole est beaucoup plus complexe, du fait de la diversité des secteurs, des cultures, des tâches et du matériel utilisé. » ;

- « Les pesticides sont retrouvés dans tous les compartiments de l’environnement et peuvent donc conduire à une exposition de la population générale par les aliments, l’eau de boisson, l’air intérieur et extérieur et les poussières de la maison. Les données sur les risques sanitaires liés à ces contaminations demeurent trop parcellaires pour pouvoir être prises en compte dans la définition des seuils dans les différents milieux ».

Selon l’OMS, la principale source d’exposition pour les non professionnels est l’alimentation. D’après les évaluations, l’alimentation contribuerait à 80 % de l’exposition contre 10 % pour l’eau. Néanmoins, l’utilisation de pesticides dans les maisons et dans les jardins doit aussi être considérée comme une source d’exposition non négligeable en population générale.

Pour calculer un risque il faut évaluer l’exposition. Cette évaluation de l’exposition est quasi inexistante en France. Il est très difficile de mesurer avec précision l’imprégnation de la population générale par les pesticides du fait même de la multiplicité des sources d’exposition (aliments, air, eau, sol).

La mesure de l’exposition par l’alimentation : une étude novatrice menée par l’AFSSA, l’étude alimentation totale (EAT)

En France, l’AFSSA mène une étude novatrice sur ce sujet afin de mieux évaluer l’exposition réelle aux pesticides par le biais de l’alimentation.

L’AFSSA, par le biais de sa direction de l’évaluation des risques nutritionnels et sanitaires, effectue une évaluation de l’exposition.

Une fois estimées, les doses quotidiennement ingérées sont comparées aux doses journalières admissibles (DJA) qui sont définies par des études toxicologiques ou épidémiologiques.

L’évaluation du risque doit être distinguée de la gestion du risque qui consiste à vérifier le non-dépassement des limites maximales de résidus dans les denrées. Celle-ci consiste en effet à comparer les doses quotidiennement ingérées à des valeurs toxicologiques de référence, c'est-à-dire, soit des doses journalières admissibles lorsqu’il s’agit d’expositions chroniques, sur de longues périodes, soit des doses de référence aiguës quand il s’agit d’expositions aiguës sur de courtes périodes. Évidemment, on vérifie la cohérence entre les LMR, qui sont fixées, entre autres, pour contrôler le non-dépassement des DJA, sachant qu’un dépassement de LMR n'est pas obligatoirement synonyme d'un risque, mais qu’il atteste d’un non-respect d’une bonne pratique agricole.

Pour évaluer a posteriori l’exposition des consommateurs, il faut connaître leurs apports en aliments – y compris l’eau, en particulier l’eau de distribution – de toutes les catégories de consommateurs, notamment ceux qui pourraient être les plus exposés, par exemple en raison de leurs pratiques alimentaires spécifiques tels les végétariens, forts consommateurs de fruits et légumes. Ces expositions permettent de caractériser le risque, c’est-à-dire de vérifier que les apports ne sont pas excessifs et ne dépassent pas les DJA et les doses de référence aiguës.

Pour mesurer l’exposition cumulée à tous les aliments, y compris l’eau, il faut cumuler les doses provenant de l’ensemble du régime alimentaire, ce qui suppose une très grande masse de données concernant à la fois les résidus dans les aliments et les consommations alimentaires. Ce calcul est réalisé au niveau individuel et pour la totalité des populations pouvant être concernées.

Les plans de surveillance et de contrôle interviennent en amont dans la chaîne alimentaire, soit au niveau de la production, soit au niveau de la commercialisation des denrées.

Les plans de surveillance portent à la fois sur les denrées produites sur le territoire national et sur celles qui sont importées. La part des fruits et légumes est assez importante dans l’exposition humaine, laquelle provient souvent de produits importés. Il s’agit donc de disposer aussi de données sur les résidus dans ces produits.

Dans le cadre de l’ORP, l’AFSSA a rassemblé l’ensemble des résultats 2006-2008 issus des différents plans de surveillance de la DGCCRF et de la DGAL, soit environ 1 700 000 résultats de dosage dans différentes denrées, ce qui a exigé de faire entrer toutes ces informations dans les bases de données qui, auparavant, n’étaient pas stockées de façon centralisée.

Le but de « l’étude de l'alimentation totale française » est de mesurer des données sur les aliments consommés, c’est-à-dire au bout de la chaîne alimentaire, dans les assiettes. Cette deuxième EAT doit permettre de disposer de données sur la présence de résidus, non dans les produits commercialisés, mais dans les produits

consommés. Une telle étude est plus réaliste que celle fondée sur les aliments tels que commercialisés.

Les premiers résultats montrent que 58% des échantillons présentent au moins un résidu de pesticide quantifié, et 74% présentent une détection (51 substances différentes dont 15 prioritaires). Les valeurs restent très largement inférieures (facteur 10 à 100) aux LMR communautaires entrées en vigueur le 01/09/2008.

Aucune des autres études disponibles n’a fait état de dépassement des DJA. Une étude effectuée sur des substances prioritaires qui a priori pouvaient avoir les niveaux d’exposition les plus élevés comparativement aux DJA, a mis en évidence des apports réels très nettement inférieurs aux DJA. Cela s’explique par les marges de sécurité adoptées pour les aliments lors de l’évaluation des risques. S’il existe relativement peu d’études au niveau national, nombreuses sont celles qui, au niveau européen, aboutissent à peu près aux mêmes résultats.

L’étude de faisabilité de l’ORP de 2004 a fait apparaître que les méthodes analytiques utilisées pour les contrôles et la surveillance des administrations comme la DGCCRF ou la DGAL n’étaient pas suffisamment précises pour les études d’exposition. Celles-ci visent principalement à vérifier le non-dépassement des limites maximales de résidus alors que les techniques analytiques ne permettent pas de déceler des valeurs extrêmement faibles. Si l’on utilise ces données en études d’exposition, on surestime cette dernière, les limites de quantification étant trop élevées : quand on a une valeur qui est inférieure à la limite de quantification, on va, par précaution, considérer qu’a priori le niveau est à la limite de quantification. On a donc besoin de disposer de données plus réalistes pour quantifier plus finement les doses quotidiennement ingérées, avec des limites de quantification beaucoup plus basses.

Le volet environnemental de l’étude ENNS (étude nationale nutrition santé) L’étude ENNS, confiée en 2006 à une structure mixte composée de l’InVS, l’université Paris XIII et la CNAM, fait suite à un plan national nutrition santé mis en place en 2001. Cette étude de recherche-surveillance de santé publique vise à fournir une information descriptive de l’alimentation, de marqueurs nutritionnels et d’activité physique d’un échantillon représentatif de la population française. C’est une enquête transversale qui procède à un moment donné à l’examen de personnes au moyen de questionnaires alimentaires et d’examens clinico-biologiques (sang, urine et cheveux).

A cette étude ENNS, a été greffé un volet environnemental qui comprend outre les métaux (plomb, mercure, cadmium et arsenic), les pesticides. Conformément aux recommandations du Grenelle et du deuxième plan national santé-environnement (PNSE2), un programme national de biosurveillance a été mis en place ; un comité de pilotage réunit les représentants des ministères de la santé, du travail et de l’environnement, et ceux des agences sanitaires. L’enjeu est de décrire l’imprégnation de la population à l’ensemble des polluants de l’environnement et d’identifier les groupes à risque, afin d’informer les citoyens et d’aider au pilotage des politiques publiques. Il s’agit notamment, dans le cadre de l’harmonisation européenne, de concevoir des alertes visant les polluants émergents, de dégager des tendances, de mesurer l’impact des mesures de réduction des expositions.

2000 adultes sont suivis pour les métaux, 400 pour les pesticides et 1600 enfants pour le mercure.

Le volet environnemental comporte trois ensembles de pesticides étudiés : les organochlorés, les organophosphorés et les pyrétrinoïdes. Il faut en effet distinguer parmi les pesticides, les pesticides à demi vie longue (qui restent longtemps dans l’organisme) que l’on appelle les POP (essentiellement les organochlorés, produits très lipophiles) comme le DDT, l’hexachlorobenzène, la dialdrine, le lindane… et les pesticides qui sont moins persistants tels que les fongicides.

L’InVS souhaite connaître l’exposition, l’imprégnation de la population aux pesticides à partir d’indicateurs biologiques, un peu à la manière de l’étude de type NNS (étude de surveillance américaine) en s’interrogeant sur les facteurs d’exposition (agriculteurs, travailleurs, femmes enceintes…), et mettre en place une biothèque avec des valeurs de référence pour comparer et évaluer les risques (prélèvement conservés plusieurs mois ou années).

Pour ce qui est de la mesure de l’exposition de la population générale, la connaissance est donc encore embryonnaire. Le docteur Eilstein, responsable du département santé-environnement à l’InVS, a ainsi déclaré lors d’une audition qu’« en cette matière, la seule chose dont on soit certain est notre ignorance ».