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Lucie Dupré, Inra-SAE2, UMR Sadapt, Ivry-sur-Seine - Lucie.Dupre@ivry.inra.fr

Jacques Lasseur, Inra-Sad UMR Selmet, Montpellier ; Julia Sicard,ESA, Angers

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Résumé.

Faisant écho à des débats excédant largement le monde agricole, l’autonomie de l’exploitation agricole, particulièrement en élevage d’herbivore, apparait comme un objectif de plus en plus affiché, à défaut d’être véritablement un mot d’ordre pour tous. L’autonomie d’une exploitation agricole renvoie à sa capacité à limiter l’achat de produits et de fournitures agro-industriels (Commissariat général du développement durable 2011). Elle s’y décline de différentes façons parfois combinées entre elles (autonomie énergétique, en intrants, fourragère, etc.) et s’adosse à la nécessité de sécuriser les exploitations, selon une réorganisation permettant tout à la fois, de limiter les dommages environnementaux, de réduire les coûts de production et les incertitudes concernant l’approvisionnement en fourniture "agro-industrielle". De fait, autonome rime souvent avec économe, et de ce point de vue-là, en agriculture tout au moins, la réflexion ne peut être qualifiée de "nouvelle". Le Rapport de Jacques Poly (1978) est là pour le rappeler. Dans les systèmes d’élevage ovin, développés notamment dans le pourtour méditerranéen, cette notion est d’autant moins nouvelle que l’autonomie est véritablement le ressort si singulier du "principe pastoral" réduisant le plus possible tout lien de dépendance avec des agents et des institutions extérieures à la société locale. En effet, la clé de voûte du pastoralisme est de reposer, complètement ou le plus possible, sur des ressources alimentaires prélevées directement par les animaux grâce au pâturage dans les différents espaces étagés du territoire. La mobilité non seulement quotidienne sur des parcours mais aussi parfois saisonnière (traditionnellement en estive) des hommes et des bêtes est l’une des façons de s’assurer de la disponibilité de ces ressources tout au long de l’année. Elle s’adosse à un rapport bien particulier aux bêtes, aux hommes et aux territoires et à leurs ressources naturelles fait d’ajustements permanents et d’adaptations qui ont caractérisé les sociétés pastorales méditerranéennes (Lenclud, Pernet, 1978). Si l’on ne peut plus guère continuer à parler de "sociétés pastorales", le pastoralisme reste une activé importante et structurante des territoires montagnards méditerranéens, qui se renouvelle dans un environnement politique, économique et social en pleine mutation avec lequel il doit composer.

Dans les Alpes du sud, pour améliorer leurs résultats économiques, les éleveurs ovins font schématiquement face à l’alternative suivante : faire du label (et se diversifier parfois) ou s’agrandir (et se spécialiser). D’un côté, les éleveurs ayant choisi de s’engager dans la démarche de certification label (qui s’accompagne pour être réellement rémunératrice d’un désaisonnement de la production) voient leur capacité à asseoir l’autonomie fourragère par le pâturage, très fortement limitée; de l’autre, le système de primes de la Pac qui a encouragé d’autres éleveurs à augmenter la taille de leurs troupeaux. Il ne s’agit donc pas ici, de devenir autonome mais de le rester lorsqu’on agrandit le troupeau et alors que la donne globale socio-économique et politique de l’élevage, des filières et des territoires ruraux a grandement changé, conduisant à une réorganisation des pratiques qui a été bien repérée, ailleurs, par les zootechniciens (Dedieu et al. 2008). Lorsque le troupeau augmente fortement, la valorisation économique s’accroit puisque le nombre d’agneaux augmente, mais les ressources pâturables doivent elles-aussi augmenter et le territoire alpin (alentour de l’exploitation + estives) n’y suffit plus : la pratique de la transhumance inverse (c'est-à-dire hivernale) vers les pâturages de plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône) ou du Var devient nécessaire (Sicard 2012) : c’est une autre façon d’exercer et de concevoir l’élevage qui prend forme et dont nous attacherons à saisir les figures, les discours, les pratiques et les moments décisifs. L’agnelage en est un particulièrement important car sa période repose sur des choix économiques précis en matière de valorisation du troupeau, qui sont autant de façons de s’inscrire dans des filières mais aussi dans des territoires - le calendrier d’agnelage allant souvent de pair avec le calendrier de pâturage.

A partir d’un matériau empirique constitué lors d’une enquête ethnographique conduite auprès d’une vingtaine d’éleveurs ovins du pays dans la haute vallée du Verdon (Alpes de Haute Provence) destinée à caractériser les pratiques d’élevage en lien avec l’exploitation des territoires et des ressources naturellement disponibles, nous montrerons comment l’autonomie fourragère, reliée avec la question de l’agnelage, repose sur la réorganisation du travail d’élevage et de sa distribution dans l’espace et dans le temps agricole selon des grandes séquences, et notamment sur une mise en cohérence des périodes de (re) production du troupeau et des disponibilités en fourrages dans les différents espaces mobilisés. Elle prend largement appui sur un réseau de relations sociales facilitant la mise en complémentarité de territoires pastoraux étendus et étagés, de plaine et de montagne, à distance ou à proximité, telle qu’elle caractérise parfaitement la figure extrême et très singulière de "l’herbassier" , l’éleveur itinérant par excellence (Labouesse 1982). Dans l’exercice de l’élevage s’opère alors un travail d’enrichissement, de mise en ordre et de coordination des grandes catégories culturelles qui soutiennent l’édifice pastoral "traditionnel" qui va de pair avec des déplacements et des réagencements importants : le haut vs le bas, le proche vs le lointain, le cultivé vs "le sauvage", le dedans vs le dehors… Nous serons particulièrement attentifs à la façon dont les éleveurs, en voulant rester autonomes et gagner en souplesse, redéfinissent leurs rapports aux ressources non cultivées dont le renouvellement est basé sur les seules dynamiques de végétation et aux territoires dans lesquels ils circulent (Lasseur 2006), pour certains avec désormais beaucoup d’amplitude. Ce faisant, nous montrerons comment la redéfinition de leurs activités d’élevage et de la place qu’ils occupent au sein des différentes communautés renvoie à la façon dont ils travaillent ce double attachement aux territoires et aux filières. ───────

Références bibliographiques

Poly J., 1978. Pour une agriculture pus économe et plus autonome. Inra éditions, 65 p + annexes.

Lenclud G., Pernet F., 1978. Gestion du milieu, gestion du troupeau et évolution sociale: Le cas de la Corse. Études rurales,

71/72, Campagnes marginales, campagnes disputées, 49-87.

Sicard J., 2012. Entre mobilité et sédentarité des éleveurs ovins. Débats autour des liens au(x) territoire(s) dans les élevages pastoraux, en Haute-Provence. Mémoire d’ingénieure, ESA. 67 p.

Labouesse M., 1982. La diversité du secteur agricole : approche et réflexions à partir d’une forme originale d’élevage

méridional. Série Etudes et Recherches, 68, 1-88.

Landais E., Deffontaines J.P., 1989. Les pratiques des agriculteurs. Point de vue sur un courant nouveau de la recherche

agronomique. Études rurales, 109, 125-158.

Lasseur J., 2005. Sheep farming systems and nature management of rangeland inFrench Mediterranean mountain areas. Livestock Production Science, 96, 87–95

Hellec F., Blouet A., 2012. "Technicité versus autonomie" Deux conceptions de l'élevage laitier biologique dans l'est de la

France. Terrains & travaux, 1(20), 157-172.

Dedieu B., Chia E., Leclerc B., Moulin C.H., Tichit M. (eds.), 2008. L’élevage en mouvement. Flexibilité et adaptation des exploitations d’herbivores. Quae.

Nouvelles formes d'agriculture

Pratiques ordinaires, débats publics et critique sociale

20-21 Novembre 2013 - AgroSup, Dijon ___________________________________________________________________

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