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Contestation et mobilisation du monde pastoral face au retour des loups en France

Antoine Doré, Inra-Sad, UMR Agir, Toulouse – antoine.dore@toulouse.inra.fr

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Résumé.

Avant même que les loups ne s’attaquent aux troupeaux, il est admis pour de nombreux acteurs alliés des loups que les solutions techniques efficaces contre la prédation sont disponibles et les dommages aux troupeaux s’expliquent principalement par des "facteurs culturels" qui entravent les capacités d’adaptation des professionnels de l’élevage et leurs prédispositions à l’acceptation de la présence des loups. D’une manière plus générale, l’hostilité à la présence des loups (lycophobie) est souvent interprétée comme la réminiscence des "conflits originels" entre les hommes et les loups.

Cette contribution de vise pas à remettre en cause la réalité des affrontements bien documentés qui ont opposé des hommes et des loups pendant des siècles. Néanmoins, l’ensemble des matériaux compilés et analysés au cours de mes enquêtes réalisées tout au long de mon travail de thèse auprès de différentes personnes hostiles à la présence de ces animaux (entretiens semi-directifs ; corpus documentaires) nous amène à ne pas en faire d’emblée une variable explicative privilégiée de l’émergence d’une défiance envers ces prédateurs. En effet, une rétrospective historique doublée d’une analyse sociologique des représentations ne nous apprend pas grand- chose sur les conditions d’émergence et de circulation de la trajectoire actuelle des "loups menaçants". Au contraire, cela conduit à minimiser, voire à nier, les spécificités contemporaines des modes de confrontation entre des loups et des éleveurs d’une part, et des conditions de recevabilité publique de la dénonciation des modes de présence de ces animaux d’autre part. Ainsi, cette contribution propose plutôt de concentrer l’analyse sur les modalités concrètes de constitution des publics lycophobes à partir des enseignements tirés de l’écologie de pratiques (Stengers, 2006) et de l’analyse sociologique de la forme affaire (Boltanski, 1990 ; Offenstadt & al., 2007). Il s’agit alors de considérer que la trajectoire des "loups menaçants" est amorcée par un certain nombre d’expériences concrètes, vécues par un certain nombre d’éleveurs, qui déstabilisent l’"agencement écologique" (Stengers, 2006) des pratiques pastorales et qui suscitent l’expression publique d’un mécontentement où "ceux qui protestent le font parce que leur sens de la justice

a été offensé" (Boltanski, 1990 : 20).

À une période où les représentants de l’État et certains défenseurs de la nature croient connaître d’avance les modalités techniques d’une cohabitation pacifique entre les loups et les professionnels de l’élevage, des manifestations d’hostilité émergent sur les territoires colonisés par les prédateurs et gagnent progressivement l’espace public. L’indignation des victimes de la présence des loups se propage. La lycophobie s’établit alors comme une forme d’idiotie (au sens deleuzien du terme) qui vient compliquer considérablement les conditions de possibilité de paix là où elles apparaissent si simples pour ses artisans de "bonne volonté". Contrairement à la figure culturaliste du lycophobe pétri de représentations archaïques issues d’affrontements ancestraux entre les hommes et les prédateurs, la figure de l’idiot - qui structure l’analyse proposée dans cette contribution - permet de prendre au sérieux le travail politique accomplie et suscité par une certain nombre d’éleveurs confrontés à la présence des loups. Les "loups menaçants" ne constituent pas seulement une figure généalogique dont la trajectoire publique s’opèrerait par filiation symbolique. Ils apparaissent aussi et surtout comme des entités agissantes, affectant concrètement des éleveurs pour qui un quelconque "processus de paix" importe moins que la préservation des conditions d’exercice de leurs pratiques.

Comment se propage progressivement une reconnaissance étendue des conséquences indirectes des dommages liés à la présence des loups ? Comment passe-t-on d’une multitude d’expériences vécues singulières à une connaissance partagée par l’ensemble des personnes affectées ou potentiellement affectées directement par la menace ? Comment enfin cette connaissance sort-elle du champ professionnel concerné pour gagner des publics élargis ? En tentant de répondre à ces questions, nous verrons comment la politique de gestion des loups devient l’objet de sérieuses remises en cause et comment le statut d’"emblème intouchable" de ces prédateurs s’érode progressivement pour aboutir au plan nouveau "plan d’action national-loup 2013-2017" autorisant la destruction de quelques individus. ───────

Références bibliographiques

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Boltanski L., 2009). De la critique. Précis de sociologie de l'émancipation. Gallimard.

Dewey J., 2003 [1927]. Le public et ses problèmes. Publications de l'Université de Pau.

Doré A., 2011. Des loups dans la Cité. Eléments d'écologie pragmatiste. Thèse de doctorat ; Institut d'Etudes Politiques de

Paris et Université de Liège.

Gusfield J., 2009 [1981]. La culture des problèmes publics. L'alcool au volant : la production d'un ordre symbolique.

Economica.

Mauz I., 2005. Gens, cornes et crocs. Quae.

Offenstadt, N., Van Damme S. (eds.), 2007. Affaires, scandales et grandes causes. De Socrates à Pinochet. Stock.

Rémy C., 2009. La fin des bêtes. Une ethnographie de la mise à mort des animaux. Economica.

Rémy J., 1987. La crise de professionnalisation en agriculture: les enjeux de la lutte pour le contrôle du titre d'agriculteur. Sociologie du travail, 4, 415-441.

Roux J., 2002. Où se loge la collectivité d'un risque collectif ? L'exemple de la pollution industrielle des sols. In Gilbert C.

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Stengers I., 2006. La vierge et le neutrino. Les scientifiques dans la tourmente. Les Empêcheurs de penser en rond.

Thévenot L., 2001. S'associer pour composer une chose publique. In Chopart J.N. et al. (eds.), Actions associatives, solidarités et territoires. Publications de l'Université de Saint Etienne, 267-274

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