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Une analyse des échelles mobilisées dans deux projets d’agriculture urbaine

Marion Ernwein, Département de géographie et environnement, Université de Genève - Marion.ernwein@unige.ch

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Résumé.

L’agriculture urbaine est un terme générique qui désigne un ensemble de pratiques culturales émergentes qui participent à repenser la relation ville-agriculture. Accoler ces deux termes généralement conçus comme antinomiques ne va pas de soi. En effet, dans le contexte ouest-européen, le discours sur la ville s’est historiquement construit sur une opposition forte entre la ville malsaine et destructrice, et la campagne bénéfique (Salomon Cavin, 2005, 2012). La construction du terme d’agriculture urbaine porte donc un enjeu de vocabulaire important, qui dénote un changement radical dans le mode de pensée sur la ville et sa relation à l’agriculture, et

in fine, sur la nature de la ville et de l’agriculture. En effet, que deviennent la ville et l’agriculture dès lors qu’elles se font ensemble ? Ce

terme pose au demeurant problème aux acteurs sur le terrain, en témoigne le cas genevois : la Direction Générale de l’Agriculture (DGA), cherchant à développer une politique d’agriculture urbaine dans l’agglomération genevoise, a développé un "lexique genevois sur l’agriculture urbaine", à destination des urbanistes et des agriculteurs. Celui-ci a fait un tollé dans ces deux milieux, les uns contestant l’idée que l’agriculture puisse se pratiquer en zone urbaine, les autres refusant d’être associés à la ville. Rapidement, la DGA a réagi en changeant la dénomination du lexique en "production agricole d’agglomération", évitant l’écueil d’accoler deux termes encore opposés dans l’imaginaire de nombreux acteurs.

Dans cette communication, je m’interroge sur la manière dont la dimension urbaine de l’agriculture est mobilisée voire revendiquée par les acteurs qui portent des projets dits agriurbains. Assument-ils voire revendiquent-ils nécessairement leur dimension urbaine ? Comment l’échelle (urbaine, infraurbaine, régionale…) mobilisée pour définir leurs pratiques et le public qu’ils souhaitent toucher est- elle conçue et quels enjeux cela porte-t-il ? Je fais l’hypothèse que pour comprendre l’enjeu de la dimension "urbaine" de l’agriculture urbaine, il ne faut pas s’arrêter à la question de la localisation, intraurbaine ou périurbaine, des exploitations agricoles, ou des relations réciproques entre l’agriculture et la ville (voir Fleury & Donadieu 1997), ni même aux pratiques des espaces agricoles par les citadins (voir Nahmias & Le Caro, 2012). Je postule qu’il importe également de voir si et comment l’urbain est mobilisé par les acteurs engagés dans de tels projets, avec quelles définitions et au sein de quels discours. Par ailleurs, s’intéresser à la relation entre les agriculteurs dits urbains et les acteurs institutionnels permet de voir comment le cadrage d’un projet et la définition de sa portée spatiale sont influencés par les relations de pouvoir inter-acteurs. Cette perspective permet de resituer les projets d’agriculture urbaine dans leur contexte micro-politique.

Je fais ici référence au corpus des politics of scale (Herod & Wright, 2002), qui a pour objet la construction sociale des échelles spatiales. Ce courant s’intéresse, d’une part, à la manière dont les acteurs, lorsqu’ils construisent des projets, mobilisent des réseaux à différentes échelles, généralement pour obtenir du soutien et une crédibilité. On parlera alors d’échelle de référence ou d’engagement. D’autre part, il s’agit de comprendre comment la définition d’une échelle à laquelle le projet souhaite agir – en d’autres termes sa portée spatiale – est un enjeu et fait l’objet de relations de pouvoir. On parlera d’échelle d’action. Aborder l’agriculture urbaine de cette manière permet de voir si et comment la ville est mobilisée et définie par les acteurs engagés dans les projets agriurbains, et de laisser apparaître d’autres référents spatiaux de pratiques qui peuvent être pensées à différentes échelles et au sein de multiples réseaux, formels ou informels.

Le cas mobilisé dans cette communication est celui du parc Beaulieu, à Genève. Ce parc présente une particularité : celle d’accueillir un plantage – version Suisse du jardin partagé – et un projet d’agriculture urbaine. Ce parc historique se situe dans la partie centrale de la ville, et il n’est pas anodin que deux projets ayant trait à l’agriculture urbaine s’y soient installés : ils s’y constituent en vitrine de l’agriculture urbaine. Le plantage est un projet municipal, mis en place par l’Unité d’Action Communautaire du quartier dans le but principal de favoriser le lien social et l’intégration par le biais du jardinage, alors que le projet d’agriculture urbaine est porté par le Collectif Beaulieu, regroupement d’associations ayant toutes en commun de se préoccuper d’agriculture. Le Collectif porte un discours militant et est inséré dans des réseaux d’action et des mouvements paysans tels que la Via Campesina. En plus de leur proximité spatiale, ces projets sont liés par une relation financière, puisque le Collectif Beaulieu dépend de subsides municipaux ; par ailleurs les porteurs des deux projets collaborent dans le cadre du "projet Beaulieu", qui vise à réaménager le parc, et notamment à repenser le lien spatial et fonctionnel entre les deux projets agriculturaux.

Cette communication vise à identifier comment les acteurs de ces deux projets construisent et négocient leurs échelles de référence et d’action, notamment à travers la définition de leur public, et comment la relation de pouvoir inégalitaire entre eux engendre des reconfigurations scalaires dans leurs discours et leurs pratiques. Je montre que la mobilisation de la ville se fait de différentes manières, et que la définition d’une échelle de référence et d’action se fait à travers des jeux de pouvoir, qu’il est nécessaire d’identifier et de comprendre pour saisir les nuances dans l’appellation "urbaine" de l’agriculture urbaine.

Le cas de Beaulieu constitue une des études de cas de la thèse de doctorat que je mène sur les pratiques de jardinage en ville. Sur ce terrain, cinq entretiens ont été menés auprès d’acteurs institutionnels et associatifs impliqués dans le plantage, dans le Collectif Beaulieu ou au niveau de la municipalité ; par ailleurs, de l’observation participante est menée auprès d’une des associations membres du Collectif Beaulieu.

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Références bibliographiques

Fleury A., Donadieu P., 1997. De l’agriculture péri-urbaine à l’agriculture urbaine. Le Courrier de l’environnement, 31.

Herod A., Wright M. (eds), 2002. Geographies of power. Placing scale. Blackwell.

Nahmias P., Le Caro Y., 2012. Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes

spatiales. Environnement urbain / Urban environment, 6, 1-16.

Salomon-Cavin J., 2005. La ville, mal-aimée. Représentations anti-urbaines et aménagement du territoire en Suisse : analyse, comparaisons, évolution. PPUR, Lausanne.

Salomon-Cavin J., 2012. Entre ville stérile et ville fertile, l’émergence de l’agriculture urbaine en Suisse. Environnement urbain / Urban environment, 6, 17-31.

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