• Aucun résultat trouvé

L’espace thymique et le mouvement d’un rapport au monde 109!

Chapitre 4 La structuration du vécu par/dans le mouvement 109!

1. Ludwig Binswanger et les modalités spatiales de l’expérience 109!

1.1. L’espace thymique et le mouvement d’un rapport au monde 109!

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

129 Caroline Gros-Azorin, préface et traduction in Ludwig BINSWANGER, Le problème de l’espace en

Partie 2 – Les structures de la présence ! Chapitre 4 – La structuration du vécu par/dans le mouvement

Le sens du rapport au monde, dont traite Ludwig Binswanger dans son projet de Daseinanalyse, s’organise autour de trois éléments : le corps (Leib), la tonalité affective (ou humeur, ou encore disposition thymique selon les traductions (Stimmung)) et l’espace (Raum). L’espace selon lui, et c’est là où nous le rejoignons, ne peut prendre sens que s’il est envisagé au même titre que le corps et la tonalité affective, et dans l’ouverture d’un rapport au monde qui survient de cette conjugaison. Dans la construction de sa pensée, s’il le définit au début comme relation du corps et de l’espace en énonçant : « Ce qui nous préoccupe au premier chef, c’est l’étayage de la théorie de l’espace du corps propre (Leibraum) et de l’espace ambiant en tant qu’une totalité fonctionnelle et l’élargissement du concept du corps propre à travers l’introduction du concept d’espace propre (en tant que contraire de l’espace étranger) qui montre de façon tout à fait exacte combien "labile" est l’espace orienté à l’égard de sa

coordination au je et au monde. »130; il complète son propos sur le rapport au monde avec la

tonalité affective pour s’exprimer finalement en termes d’« espace thymique ». Quelle que soit l’action entreprise, Ludwig Binswanger explique qu’il s’agit d’un projet en direction du monde extérieur et qu’a lieu un mouvement vers les choses et/ou autrui. Et le sens qu’a ce projet en direction du monde dépend de la thymie, c’est-à-dire de la disposition affective du passant. Il dit à ce propos : « "Le monde" de la disposition thymique et de l’être- thymiquement-disposé a, à son tour, comme chaque secteur du monde, non seulement sa propre temporalité, mais aussi ses propres caractéristiques d’espace et de mouvement, ses propres formes d’expression spatiales dont émanent des exigences propres au vécu spatial. », en poursuivant que « dans ce monde de l’être thymique, (…) [il est question] d’un espace où il ne s’agit plus de buts et de fins pratiques et logiques, mais au contraire, comme on peut

parfaitement le dire, d’un Dasein sans finalité, mais non moins riche et profond »131.

Mais, pour accéder à un tel entendement du vécu, Ludwig Binswanger insiste sur la médiation

des « directions de sens » ou « directions de signification »132. Caroline Gros-Azorin

rappelle à ce propos que « Ces significations dévoilent le sens de notre rapport-au-monde, son

inscription qui est tout à la fois corporelle, thymique et spatiale. Leib, Stimmung et Raum, à

savoir le corps, la disposition thymique et l’espace sont en quelque sorte les "radicaux

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

130 Ludwig BINSWANGER, Le problème de l’espace en psychopathologie, Éditions Presses Universitaires du Mirail

(PUM), collection Philosophica, 1998, pp 61-62.

131 Ibidem, pp 88-89.

132 À propos des expressions « direction de sens » ou « direction de signification » proposées par les différents

existentiels" que toute Daseinsanalyse devra identifier. »133 Et c’est en cela que les directions

de sens sont identifiables, à la croisée de cette triade. Pour expliciter sa conception, Ludwig Binswanger illustre dans ses écrits celles qui lui semblent primordiales dans l’expérience existentielle, à savoir la chute et l’ascension ainsi que l’ampleur et l’étroitesse.

Comme le rappelle Michel Foucault en introduction de Le Rêve et l’Existence, Ludwig

Binswanger s’est attaché à démontrer le fonctionnement de ces directions de sens selon un axe vertical et la façon dont ce dernier prévaut à tout autre axe dans tout rapport existentiel, pour toute considération en tant que rapport au monde : « il faut rejoindre la dimension verticale pour saisir l’existence se faisant, dans cette forme de présence absolument originaire où se définit le Dassein. Par là, on abandonne le niveau anthropologique de la réflexion qui analyse l’homme en tant qu’homme et à l’intérieur de son monde humain pour accéder à une réflexion

ontologique qui concerne le mode d’être de l’existence en tant que présence au monde. »134 La

nuance et la précision quant au mouvement est dans cette expression, saisir l’existence se faisant, et c’est en cela que le mouvement dans l’approche de Ludwig Binswanger peut se différencier du mouvement orienté d’un corps selon un axe horizontal s’effectuant dans le registre du proche et du lointain par exemple, ou de l’immobilité tenant le sujet à distance, en position de recul, d’observation, sans qu’il ne participe de ce qui l’entoure. Cela rappelle « [c]ombien dans l’espace "thymique", je et monde forment maintenant une unité, ou en

d’autres termes, combien l’individualité est ce que le monde est en tant que son monde »135.

Le mouvement existentiel se distingue en cela que les directions de sens – entremêlant corps, espace et tonalité affective – marquent d’une part une extériorisation, une rencontre et un partage, des variations dynamiques, des impulsions ; et d’autre part qu’elles sont liées à un système de relations qui ne se limite pas à un corps en tant qu’un ici absolu, mais qu’il s’agit bien d’un mouvement entre les choses.

1.2. La chute : un changement soudain de la spatialité dans la