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L ES INTERACTIONS ARGUMENTATIVES ET LES MECANISMES

DANS LES DIALOGUES ENTRE APPRENANTS

L ES INTERACTIONS ARGUMENTATIVES ET LES MECANISMES

INTERACTIFS D

APPRENTISSAGE

Comprendre les relations entre interaction argumentative et apprentissage nécessite la mise en relation de deux champs de recherches relativement distincts, sur les interactions verbales et sur les apprentissages. Pour cela j’ai adopté une démarche double : d’une part, j’ai élaboré de nouvelles méthodes d’analyse des interactions adaptées à ce problème de recherche, et d’autre part, à partir d’une recherche bibliographique, j’ai identifié des mécanismes d’apprentissage potentiellement mis en œuvre dans les interactions argumentatives.

La démarche est la suivante : à partir des mécanismes potentiels d’apprentissage, il est possible de dégager des processus interactifs qui pourraient leur correspondre ; inversement, l’analyse des processus interactifs permet de chercher des mécanismes d’apprentissage qui pourraient leur correspondre. Autrement dit, il s’agit de « creuser un tunnel en partant des deux côtés », de l’apprentissage vers l’interaction, de l’interaction vers l’apprentissage.

Par exemple, si le mécanisme d’apprentissage associé à l’interaction

argumentative évoque les processus « d’explicitation » des

connaissances, il s’agit de déterminer dans quelle mesure les apprenants explicitent véritablement dans les interactions leurs connaissances liées au problème à résoudre. Si cette démarche ne constitue pas une validation expérimentale (au sens étroit du terme) des hypothèses portant sur l’apprentissage, elle permet néanmoins de raffiner les mécanismes hypothétiques de départ, afin qu’ils soient plus pertinents aux situations d’interaction. Une recherche ultérieure serait nécessaire pour déterminer le degré de stabilité, au travers un ensemble de situations plus large, des apprentissages survenus lors de l’interaction même.

Dans ce cadre, j’ai identifié les quatre mécanismes d’apprentissage suivants, associés potentiellement à l’interaction argumentative :

L’explicitation des connaissances

Dans des situations expérimentales de résolution individuelle de problèmes, M.T. Chi et ses collègues (par ex. Chi, Bassok, Lewis, Reimann & Glaser, 1989 ; Chi & VanLehn, 1991) ont démontré « l’effet de l’auto-explication » (the self-explanation effect). Les sujets qui s’expliquent, ou explicitent, davantage les raisonnements sous-tendant leurs résolutions de problèmes montrent des apprentissages nettement accrus. Autrement dit, « celui qui explique » peut tout autant bénéficier sur le plan cognitif que « celui qui reçoit l'explication ». Il se peut que ces processus puissent opérer dans les interactions argumentatives, où la nécessité de défendre un point de vue contre une critique oblige l’apprenant à expliciter ses raisonnements sous la forme de justifications ou de défenses argumentatives, déclenchant une réflexion (métacognitive) accrue, et éventuellement une restructuration des connaissances. De même, Crook (1994) propose que la nécessité de défendre son point de vue pourrait au moins amener le locuteur à élaborer un discours plus cohérent sur la question.

Les changements d’attitudes épistémiques

Du point de vue de la rhétorique classique, argumenter c’est vouloir susciter l’adhésion de l’auditoire, ou transformer ses opinions. Dans les interactions argumentatives entre apprenants, de telles transformations pourraient également avoir lieu. Par exemple, quand la thèse d’un apprenant est réfutée, par accord commun, quelles seraient les relations entre le déroulement de l’interaction, l’issue du débat et de degré d’engagement de cet apprenant vis-à-vis de sa thèse ? Plus subtilement, il

se peut que le fait même de débattre une question puisse ébranler les certitudes initiales des protagonistes. De tels changements seraient à étudier dans la poursuite de l’interaction. Ils peuvent, dans une certaine mesure, être étudies en relation avec les recherches sur « la révision des croyances » en intelligence artificielle (par ex. Gardenförs, 1992) et philosophie du langage (par ex. Harman, 1986)28.

La co-élaboration de nouvelles connaissances

Toute interaction produite en situation de résolution de problèmes peut être le lieu de la co-élaboration de connaissances nouvelles, sur le plan des solutions proposées, connaissances qui seraient appropriées par les interlocuteurs dans la suite de l’interaction. Dans le cas des interactions argumentatives, une hypothèse de travail serait qui la « pression » interpersonnelle imposée par le conflit verbal obligerait précisément les apprenants à mettre en œuvre de tels processus, pendant l’interaction argumentative ou bien lors de l’issu du débat (combinaison de propositions afin de trouver des « compromis »).

Le changement conceptuel

Les études sur l’argumentation ont décrit les nombreuses façons dont l’interaction argumentative fonctionne sur le plan de la transformation ou la

reconceptualisation de l’univers de référence. Par exemple, Naess (1966)

propose que l’argumentation n’est pas tant un échange de « coups argumentatifs » qu’un processus qui oblige et qui permet de préciser la question débattue. De même, Walton (1989) décrit la façon dont les questions débattues se transforment et « s’approfondissent » tout au long

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En relation avec cette question, j’ai participé à l’ouvrage à un numéro spécial de la revue Psychologie de l’Interaction, sur le thème « Révision, cognition et interaction » (sous la direction de P. Marquis et C. Brassac).

de l’interaction (par exemple, une discussion commençant sur la question de l’obligation de laisser des pourboires dans les restaurants aux États-Unis s’approfondit graduellement en une discussion sur le rôle que devrait jouer l’état dans la régulation des échanges commerciaux). Enfin, les travaux princeps de Perelman et Olbrechts-Tytéca (1958/1988) décrivent les arguments par l’association et par la dissociation, opérant sur l’arrière-fond conceptuel du débat (c.f. également les arguments de « recadrage » chez Breton, 1996). Toutes ces opérations peuvent être mises en œuvre dans les interactions argumentatives entre apprenants, effectuant une reconceptualisation dans le domaine de résolution de problèmes, ce qui peut être vu comme un processus d’apprentissage potentiel spécifique. Ma méthode d’analyse, décrite ci-dessous, une fois mise en œuvre sur des corpus, permet d’examiner la pertinence de ces mécanismes hypothétiques : dans quelle mesure les apprenants en situation d’interaction, explicitent-ils leurs raisonnements, changent-ils d’attitudes, élaborent-ils de connaissances nouvelles et reconceptualisent-ils l’univers de référence ?

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ANALYSE DES PROCESSUS DE CO

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ELABORATION DE