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CHAPITRE 2: LA KUNSTWISSENSCHAFT

2.2 KUNSTWISSENSCHAFT :

2.2.2 L’EPISTEMOLOGIE :

Cette partie tente de situer la Kunstwissenschaft dans les courants philosophiques et/ou esthétiques qui ont cours aujourd’hui, et qui sont parfois fort divergents.

Il y a d’abord ceux qui comme Ludwig Von Mises considèrent la Kunstwissenschaft comme l’exemple d’une activité scientifique ayant l’irrationnel pour champ d’analyse [VON 2005]. Au sein de cette première vision, la Kunstwissenschaft ne peut prétendre à un statut scientifique. Elle ne peut être autre chose qu’une simple histoire de l’art, des artistes et des techniques artistiques car il ne peut y avoir de théories universelles des valeurs artistiques. Ce que les critiques peuvent en dire n’exprime que leurs vues personnelles. Une certaine ‘compréhension’ de l’œuvre d’art basée sur des données irrationnelles qui ne peuvent en aucun cas être qualifiées de scientifiques. Cette approche reconnaît aux œuvres d’art des qualités esthétiques intrinsèques et totales qui sont ‘cassées’, au sens propre du terme, par le processus de décomposition induit par leur analyse pseudo scientifique. Cette qualité esthétique ne peut exister que dans le tout et pas dans les parties. La Kunstwissenschaft ne peut que tourner autour de l’art et des œuvres d’art sans jamais le saisir. Son véritable rôle étant de

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Emery, Stephen A.. "Dessoir, Max". In Encyclopedia of Philosophy. Vol. 2, p. 355. Macmillan (1973). Cité par Sublime (philosophy) From Wikipedia, the free encyclopedia

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Ces notions connurent un grand declin durant la période moderne pour renaître durant la période post-moderne.

rendre accessible la compréhension des œuvres d’art tout en se drapant d’un peu de leur splendeur [VON 2005].

Arasse s’attarde un peu plus sur le statut scientifique de l’histoire de l’Art [ARA2001]. Il établit d’abord une distinction fondamentale entre histoire de l’art et science de l’art : « l’histoire de l’art n’est pas la “ science de l’art ” (traduction imparfaite de l’allemand Kunstwissenschaft) » [ARA2001], Confusion délibérée ou non qui semble graviter autour de cette notion. En revanche, si elle doit être comptée au nombre des sciences humaines, elle est la “science des comportements artistiques humains ”, une science des pratiques artistiques ” dont les critères de scientificité sont loin d’être établis. De plus, il met en évidence le rôle de l’historien de l’art qui ne se limite pas à une simple contemplation de l’oeuvre. Il s’agit, au contraire d’une observation, d’une analyse qui n’est en aucun cas neutre puisqu’elle transforme les conditions de perception des œuvres d’art par la mise au point de techniques, de dispositifs spécifiques pour l’étude scientifique des œuvres d’art qui apportent à l’historien des informations parfois décisives sur l’histoire matérielle des œuvres, sur leur authenticité ou leur genèse, dissimulée dans l’œuvre finale : « Conditions muséales d’exposition et reproduction photographique permettent en particulier d’observer les œuvres de la distance à laquelle elles ont été réalisées et de percevoir des éléments qui n’ont pas été peints pour être vus, peints pour ne pas être vus » [ARA 2001] .

En plus des conditions matérielles du renouvellement des conditions de la perception, l’historien élabore des discours descriptifs critiques qui ouvriraient « la possibilité d’une histoire de la relation intime de l’artiste à son travail et de ses modes d’expression dans l’œuvre. Ainsi, l’historien imprime à la perception de l’œuvre d’art sa propre vision que le spectateur subit à son insu » [ARA 2001]. L’avènement de l’esthétique analytique64, en explorant l’art et l’esthétique par le biais de la connaissance, logique ou empirique, tente de mettre un terme à la confusion entre esthétique et critique. Cette thèse de l’esthétique analytique exposée par Château [CHAte 2000] est à son tour rejetée par Rochlitz [ROC 2000]. La thèse de la rationalité de l’art a pour lui un caractère circulaire : « à

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Inspirée de la pensée anglo-saxonne, notamment de N. Goodman : Goodman, Nelson (1906-1998), important philosophe américain qui s’est intéressé à la logique des langages et à la théorie de la connaissance.

quelle aune mesurer cette rationalité si l’Art gère lui-même sa rationalité en se déclarant rationnel ? ».

Tous ces questionnements sur l’art et l’esthétique continuent à se poser de nos jours dans un caractère polémique [OLI 2001]. Olivier nous présente un panorama des ouvrages concernés par ce débat d’actualité : « trois des principaux traducteurs de N. Goodman : J.-P. Cometti65, J. Morizot, R. Pouivet. cherchent à écrire un livre « d’esthétique », qui se distingue par son caractère non polémique: l’esthétique analytique n’a plus à batailler, elle a su se rendre indispensable. Juste avant, E. During présente la « philosophie de l’esthétique » de J. Rancière [RAN 2001], en explicitant les deux emplois que ce dernier fait du terme « esthétique » et en résumant ainsi sa proposition: « une histoire des régimes de pensée des arts qui ne se confond ni avec l’histoire de l’art, ni avec la philosophie de l’art, et qui à défaut d’une confrontation directe avec le champ des questions esthétiques contemporaines, a déjà commencé à indiquer en creux quelques unes de celles qui ne pourront plus se poser. Bégot [BEG 2000] met en exergue, une citation de Panofsky qui s’achève par ces mots : « Nous avons pu percer quelques trous dans la porte d’une chambre close, mais nous n’en avons pas trouvé la clef. » [PAN 1975].

En revenant à la théorie de la Kunstwissenschaft, en remettant en perspective ses textes fondateurs, tous ces auteurs témoignent de son actualité et de sa pertinence même à l’heure actuelle.

Dans sa tentative de déterminer l’essence de l’art en une approche inséparablement historique et théorique, Escoubas fait référence à Wincleman et à Wölfflin qui ont tout deux traités cette question [ESC 2000]. Même si Escoubas pense que le traitement systématique de l’histoire de l’art de Wölfflin ne fait pas à proprement parler une « science de l’art », dont le modèle serait plutôt à chercher dans L’Esthétique de Hegel. Les références à Hegel sont, bien sûr, nombreuses aussi bien pour la Kunstwissenschaft que dans des démarches plus nouvelles comme l’approche scientifico-théorique de J.-M. Besse66 qui prend le contre-pied

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« L’ensauvagement de l’art », p. 452-466, in A.-F. Penders, En chemin, le land art, t.1 Partir, t.2. Revenir, Bruxelles, La Lettre volée, 1999

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(« Art et nature : l’esthétique à la croisée des chemins », in J.-M. Besse, Voir la Terre. Six essais sur le

paysage et la géographie, Arles, Actes Sud, ensp/Centre du paysage, 2000, 162 p., et J.-L. Brisson (dir.), Le Jardinier, l’Artiste et l’Ingénieur, Besançon, Les Editions de l’Imprimeur, 2000, p. 467-481.) cité par [OLI

2001].

de la thèse moderniste de l’autonomie esthétique67 grâce au concept de plasticité qui, selon C. Malabou68, est un concept clé du hégélianisme.

Au sein de ce débat philosophique, la question qui nous importe est de savoir comme où situe notre propre questionnement. À ce titre, une distinction fondamentale est à faire dans cette appréciation de la rationalité de la philosophie esthétique entre les différents champs qu’elle embrasse : jugement des valeurs, historiographie, étude sociologique et conception. La position de la science envers les valeurs esthétiques est celle qu’elle adopte envers tous les autres types de valeur. Elle ne peut qu’adopter une démarche neutre descriptive et taxinomique. L’histoire et la sociologie de l’art ne présentent pas de différences fondamentales. La seule distinction entre les deux est que la sociologie, en tant que discipline théorique, s’efforce de déduire des lois universelles de comportements rationnels alors que l’histoire présente le cours temporel d’événements de manière objective sans tenter d’imposer des valeurs. Ces deux disciplines peuvent donc qualifiées de rationnelles car elles s’intéressent à des domaines irrationnels avec des moyens rationnels [VON 2005].

Ce n’est pas le propos de ce travail de s’immiscer plus dans ce débat épistémologique sur les différents aspects de la rationalité de la philosophie de l’esthétique.

Nous nous situons du point de vue de l’histoire de l’art et plus précisément de l’art urbain comme élément déterminant dans le processus de conception.

À ce titre, le débat ne concerne ce travail que du point de vue de la dimension de la conception où la rationalité du processus réside dans le fait d’utiliser des moyens scientifiques pour la réalisation de valeurs esthétiques données. Une autre donnée déterminante est qu’en matière d’art urbain, les valeurs ne sont pas seulement esthétiques mais présentent une dimension d’usage à travers le niveau albertien de la commoditas. C’est cet aspect qui donne sa spécificité à la scientificité de l’art urbain et en particulier de la Kunstwissenschaft.

Si la préoccupation majeure de la Kunstwissenschaft apparaît donc comme

étant l’essai d’objectivation de l’œuvre d’art évoluant progressivement du

discours purement philosophique et artistique vers des champs

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O. Schefer, en proposant de lui donner un avenir, au-delà de la clôture de la fin de l’histoire,

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« Plasticiens, arts plastiques, plasticité », in C. Malabou (dir.), Plasticité, Paris, Editions Léo Scheer, 2000, p. 540-550. cité par [OLI2001].

disciplinaires plus précis, c’est sans doute l’esthétique urbaine qui lui offre

encore les conditions les plus favorables à son élaboration.

2.2.3 ESTHÉTIQUE ET ART URBAIN :