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À travers l’étude de ses deux termes constitutifs, l’espace urbain et la théorie des ambiances, la problématique des ambiances urbaines se situe à la croisée de deux notions polysémiques qui en sont encore, sur de multiples aspects, à leur phase de gestation : l’espace urbain et la théorie des ambiances.

1.4.1 L’ESPACE URBAIN :

L’espace urbain dont ni les fondements théoriques ni les processus d’élaboration ne sont venus à bout des attentes intellectuelles, socio-économiques et environnementales qui lui sont posées continue d’être confronté à des questionnements de fond.

L’une des questions les plus importantes soulevée par cette analyse est le conflit ayant existé entre une conception infrastructurelle de la ville et une autre ayant trait aux modes d’édification de son tissu. Ce conflit, nous l’avons vu, a été à l’origine d’une discontinuité historique déterminante qui a exclus la notion d’espace du débat urbain.

En dépit de la réintroduction de la notion d’espace et d’architecture dans le processus de la ville, trois autres questions de fond demeurent posées. Il s’agit d’abord de saisir les implications sur la conception architecturale de l’espace urbain des différentes évolutions présentées dans cette analyse, qui vont de la taxinomie typo-morphologique à la dimension sensible de l’espace, sur le processus de conception en passant par les analyses séquentielles des parcours et cheminements urbains.

Cette analyse a mis en évidence certaines confusions existant souvent entre esthétique et sémiologie urbaines, entre préoccupation architecturale tridimensionnelle et préoccupation géographique étudiant la formation des tissus, entre extension spatiale et développement économique…

Il s’agit ensuite de prendre conscience de la nécessité de l’adaptation des échelles spatio-temporelles aux différents outils et approches de la

conception architecturale et urbaine. L’architecture urbaine même si elle à lieu à l’échelle fine du quartier ou de l’îlot, doit se situer non seulement dans la vision de la ville comme entité globale mais aussi dans les logiques mondiales qui l’irriguent50.

À cette imbrication des échelles spatiales s’ajoute une imbrication temporelle tout aussi importante : l’histoire et l’avenir de la ville. L’histoire nous interpelle sur le problème du patrimoine bâti non seulement en tant que contexte d’intervention mais aussi (et surtout ?) en tant que référence de conception assurant la synthèse entre patrimoine et modernité. L’interrogation sur l’avenir nous vient de la notion de développement durable, de son contenu écologique et surtout sur l’importance des conséquences à courts et longs termes de l’acte de bâtir [ADO 1998].

Il s’agit enfin de saisir les modes d’articulation et d’opérations de ces deux premiers niveaux dans le processus d’élaboration de la ville. Face aux nouvelles situations induites par des attitudes nouvelles d’une part et par des nouveaux savoirs ouverts et interdisciplinaires d’autre part, l’établissement des conditions intellectuelles et opératoires d’une recomposition des compétences mais aussi des tâches, de leur partage et de leur mode de coopération s’avère primordiale. Cela renvoie à la notion anglo-saxonne de ‘gouvernance’51.

Les notions floues et galvaudées de projet urbain et de composition urbaine doivent être clairement définies. Parmi les multiples définitions52 entre lesquelles a oscillé la définition du projet urbain, celle qui le définit comme étant « la déclinaison sur le plan spatial du projet de développement de la ville » [MAI 1992] nous semble le plus assurer la cohérence entre différentes échelles, actions et acteurs de la ville. Cette définition serait à notre sens incomplète si elle n’était suivie par celle de la composition urbaine qui permet de prendre en charge les préoccupations architecturales de ce développement urbain. L’exigence de composition urbaine, de “dessin” de la

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Voir P. Veltz, Mondialisation, Villes et Territoires, l’économie d’archipel, Paris, PUF, 1996.

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développée notamment par Jean-Pierre Gaudin, dans « Politiques urbaines et négociations territoriales ».

Revue française de sciences politiques, mai 1995.

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Projet tantôt politique, les élus se sont indûment emparés du terme à la place de politique urbaine selon philippe Panerai, tantôt social, économique et culturel se traduisant en stratégies urbaines selon Catherine Trautmann, tantôt purement architectural : une manière de produire la forme, selon Bernanrd Huet, cités par Mai [1993].

ville, devrait prendre dorénavant une importance croissante dans les démarches d’urbanisme, a mi-chemin entre la planification urbaine et l’architecture. Elle constitue une dimension clé de nouveaux projets urbains ou des politiques de requalification urbaine [PIN 1996].

1.4.2. LA THÉORIE DES AMBIANCES :

La polysémie de la notion d’ambiance provient non seulement de la complexité de chacun des registres pris à part mais aussi de leur interaction au sein d’une ambiance – simultanément lumineuses, thermiques, aérauliques, sonores et

À l’heure de l’émergence de notions comme le paysage sonore ou le milieu olfactif, la recherche sur les ambiances contribue à la réhabilitation des dimensions tactiles, olfactives ou sonores de l’architecture et de la ville, réhabilitation préalable à l’invention d’espaces architecturaux ou urbains plurisensoriels.

Cet élargissement des différents champs disciplinaires exige, évidemment, l’invention de nouvelles méthodes et démarches. Il suffit d’ailleurs de quitter le registre du visuel pour que les procédures traditionnelles de recherche, de conception et de pratiques professionnelles perdent leur pertinence.

Les recherches ont dérivé pour chaque registre de la notion de la nuisance vers celle de la maîtrise, puis de la qualité environnementale. En investissant la dimension sensible des ambiances dans ses aspects culturel et artistique, les approches qualitatives font appel aux sciences humaines et à la philosophie de l’esthétique. En considérant la pluralité des sens elles font appel aux modèles intégrateurs et aux approches multicritères53.

L’intégration d’ambiances plurielles – thermique, lumineuse, sonore, olfactive- donne naissance à l’ambiance singulière et globale.

Une ambiance équivaudrait donc à l’intégration de données distinctes et disparates qui invoquerait comme éléments unificateurs l’emploi des mêmes techniques pour maîtriser des modes ambiants distincts.

Cette affirmation relève, au stade actuel des différentes recherches, de la simple hypothèse. Entre chercheurs et praticiens, beaucoup de démarchent

53

Voir L. Adolphe et al. Projet AMACH : Approche multi-Acteurs du confort dans l’habitat, Rapport final, accord_cadre AFME –ARMINES, Centre d’énergétique de l’École des mines de Paris, mars 1993.

se profilent allant de la recherche fondamentale qui aborde la complexité des démarches conceptuelles posées à la pratique professionnelle qui souffre du divorce entre une vision passéiste de la maîtrise d’œuvre architecturale et l’intégration de nouveaux savoirs ouverts et interdisciplinaires sur les ambiances, en passant par une recherche appliquée qui évolue à coups de modélisations informatiques, de simulations et de simulations inverses.

Notre objet essentiel de recherche étant l’ambiance d’un espace urbain, c’est à ce niveau que nous avons examiné ces différentes questions.

1.4.3 LES AMBIANCES URBAINES :

L’intérêt d’une théorie générale des ambiances urbaines tient justement à l’approche transversale qu’elle offre dans son appréhension des problèmes d’intégration soulevés au sein des deux notions : l’espace urbain et la théorie des ambiances dans leurs dimensions conceptuelles et opératoires.

L’essor assez récent de ces sciences appliquées à l’architecture est évidemment un apport majeur à la démarche de projet. Dans cette logique d’application, le savoir (scientifique) « descend » au niveau de la démarche technique. Les enseignants-chercheurs du champ concerné jouent ainsi le rôle d’expert « au service du projet »[AUG 1998].

Les modélisations informatiques jouent un rôle central dans l’élaboration d’outils d’aide à la conception. Qu’elles soient visuelle, acoustique ou thermique, de nouvelles voies de modélisation sont ouvertes, allant de la synthèse d’images aux algorithmes génétiques54.

Par simulation, on entend l’examen du futur objet architectural sous un angle de l’ambiance à partir des éléments de l’environnement et du projet lui-même, qu’il soit de construction ou de réhabilitation.

La simulation inverse55 consistant à ‘démonter’ un objet en vue de son étude et sa reproduction a toujours fait partie dans le domaine de l’architecture, de

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Jean-Jacques Perrin et Isabelle Fasse proposent une approche de l’image de synthèse intermédiaire entre l’incrustation et le modèle à trois dimensions, très utile en phase amont du processus de conception –- Jean Philippe Mounier propose la construction déclarative d’un modèle d’un parcours humain –, ou une

modélisation pluridisciplinaire – Philippe Woloszyn et Daniel Siret définissent une ambiance comme une collection de simplexes, objets ambiants repérables dans un espace à trois dimensions espace-temps-perception.

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Le Reverse engineering est un processus surtout utilisé dans l’industrie et sur lequel s’est fondé le transfert de technologie, ‘plus ou moins légal’ entre le monde occidental et les pays asiatiques.

la méthodologie du projet. Le principe du recours à des jalons emblématiques de l’architecture qu’ils soient modernes ou historiques comme support des démonstrations et de référenciation ne s’est jusque là appuyé que sur la dimension visuelle du projet.

Dans ce contexte, une des tâches théoriques les plus pressantes consiste à en garantir l’extension à une dimension multisensorielle. Elle impose de donner corps à la notion de ‘références d’ambiances’ [PEN 1998]. Dans la logique de l’intégration des savoirs intuitifs en tant qu’outils pertinents d’aide à la conception, l’extension devrait également concerner l’architecture ordinaire.

Cet aspect de la problématique urbaine constitue la pierre angulaire de ce travail. Il en sera plus précisément question dans le chapitre suivant consacré à la Kunstwissenschaft et l’œuvre de Camillo Sitte.

Quelque soit l’extrême intérêt et les réelles possibilités que présente l’apport des sciences appliquées, on aura garde « de ne pas confondre l’instrumentation et l’objet traité ». La question essentielle est de savoir comment sont « articulés les éléments cognitifs et les éléments pragmatiques » [AUG 1998] dans l’acte architectural en vue de donner naissance à un lieu architectural et urbain. Il convient de rendre les savoirs acquis opératoires notamment lors de la phase de programmation. La recherche peut ainsi produire des prescriptions minimums, utilisables dès la phase de programmation en termes quantitatifs et qualitatifs. La recherche pourrait élaborer des critères de précision de la qualité des ambiances qui permettraient de faire évoluer les pratiques de programmation, des définitions frustes et coercitives habituellement rencontrés (température uniforme à 19° C, éclairement sur un plan de travail…) vers des performances qualitatives souhaitées, et, même jusqu’à des ouvertures laissées aux maîtres d’œuvre quant à la génération d’ « effets d’ambiance » [AUG 1998].

L’architecte disposera ainsi d’un programme compréhensible, avec des objectifs clairs, cahier des charges contextuels, le projet est alors soumis à son talent intégrateur.

Il nous reste à soulever deux questions qui nous semblent importantes. La première concerne la possibilité de l’existence d’un processus ascendant entre le projet architectural et urbain, les sciences appliquées et la recherche

fondamentale. La question étant d’examiner une possible capitalisation des dimensions empiriques et de la mise en situation de la démarche du projet dans l’orientation des questionnements théoriques.

Cette ambition souffre d’un trop grand divorce entre une pratique architecturale trop confinée dans sa dimension professionnelle et une recherche qui reste trop fondamentale. L’introduction d’une démarche équivalente à la recherche et développement qui existe notamment dans l’industrie, pourrait contribuer a instauré un processus de feedback ascendant pouvant s’ajouter à la démarche descendante existant actuellement.

La deuxième concerne l’enseignement du projet. Tant que la pédagogie des écoles d’architecture ne prendra pas en compte la nécessité d’intégrer au sein du projet (et non autour), des connaissances connexes, il sera difficile de prétendre appréhender la dimension pluridisciplinaire des ambiances urbaines. Là encore, une séparation nette existe entre le processus de recherche dans les écoles d’architecture et les procédures de projection enseignées au niveau des ateliers. Ce n’est qu’au prix de leur connexion qu’une véritable intégration de savoirs actualisés au sein du processus de conception sera réalisée.