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CHAPITRE 2: LA KUNSTWISSENSCHAFT

2.1 INTRODUCTION

Toute étude théorique fait appel à des démarches et des méthodes d’investigation dont les modalités sont définies aussi bien par la nature de l’objet étudié que par les visées théoriques qui lui ont été assigné au préalable.

Ainsi l’étude de la Kunstwissenschaft, doctrine esthétique viennoise du 19° siècle, semble devoir s’effectuer conformément à ce postulat.

Partant de la nature même de l’objet étudié, la Kunstwissenschaft sera abordée à travers les différents niveaux sur lesquels elle s’est constituée : Un niveau philosophique et artistique, un niveau urbanistique et enfin un niveau architectural. Cette partie sera réalisée en s’appuyant sur des approches chronologique, étymologique et logique qui ont pu être dégagés à travers l’étude des différentes sources documentaires.

D’un point de vue étymologique, des questionnements importants ont été soulevés sur les différents sens donnés aussi bien à l’esthétique, terme inventé par le philosophe allemand Baumgarten, qu’à la Kunstwissenschaft, littéralement science de l’art. Leur étude devra permettre d’introduire une définition préliminaire à l’objet étudié.

D’un point de vue chronologique, une approche évènementielle permettra de délimiter le terrain d’étude sur lequel s’exercera notre questionnement. Elle consistera en une étude des différents travaux philosophiques et artistiques ayant participé à l’élaboration de ses fondements théoriques. Elle devra nous amener à mettre en évidence les différents éléments constitutifs fondateurs de la doctrine. Ainsi que précisé précédemment, elle s’appuiera d’une part, sur les différents textes fondateurs produits par la génération de philosophes, artistes et intellectuels viennois inventeurs de la Kunstwissenschaft ainsi que sur les conditions historiques de leur émergence. Elle s’appuiera d’autre part sur les textes commentateurs et les questionnements qu’ils continuent de susciter jusqu’à nos jours autour de ce courant esthétique.

D’un point de vue logique, l’étude de la Kunstwissenschaft nous amènera à nous intéresser au débat, encore en cours, sur le degré de pertinence d’une démarche consistant à essayer de rationaliser la création artistique. Même si ce n’est pas le

propos de ce travail de prendre parti ni même d’y prendre part son intérêt épistémologique est certain.

Nous nous attacherons particulièrement à montrer que c’est au sein de l’espace de la ville que l’art et la science interfèrent le plus et que c’est justement dans le champ disciplinaire de l’urbanisme que la Kunstwissenschaft semble le plus apte à concilier les dimensions esthétiques de l’art se réclamant du subjectif avec les dimensions utilitaires de la ville se réclamant de l’objectivité scientifique.

Partant des visées théoriques de ce travail, cette étude devra rendre possible la mise en évidence de la contribution de la Kunstwissenschaft à la problématique des ambiances urbaines. Ce qui constitue notre préoccupation essentielle.

Cela sera abordé de deux manières : d’une part, par une mise en correspondance des principes fondamentaux qui auront été mis en évidence avec ceux des ambiances urbaines déjà synthétisés lors du chapitre précédent. D’autre part, elle s’appuiera sur les différents travaux ayant considéré ce sujet.

Enfin, elle devra permettre l’introduction de l’étude particulière de l’œuvre de l’architecte viennois Camillo Sitte en la situant dans la théorie de l’urbanisme du 19° siècle.

Ainsi que le soutient Wieczorek, l’étude de cette œuvre doit être cherchée dans le champ disciplinaire dans lequel elle s’inscrit et qui est l’urbanisme tel qu’il se forme dans l’Europe occidentale du 19° siècle. Urbanisme « caractérisé par la fonction que lui assigne la société ou le pouvoir politique, par le statut de ses agents, par un faisceau complexe de relations qui régulent également le fonctionnement du discours. » [WIC 1981]. Une distinction nette est opérée, ici, entre le discours et l’action sur la ville. En effet, bien souvent, selon lui, « la plupart des histoires de l’urbanisme relèguent le discours dans l’ombre des plans et des espaces effectivement construits ; les mémoires d’Haussmann n’y sont plus que la paraphrase des travaux d’extension de Paris, et les Cités-jardins de demain connotent simplement les plans de Letchworth et Welwin » [WIC 1981].

Il sera vu dans le chapitre suivant qui est consacré à l’étude de l’œuvre de Camillo Sitte, de quelle manière celle-ci se prête à une analyse qui se fonde sur la synthèse entre le discours théorique de Der Städtebau, l’analyse critique et active par Camillo Sitte des travaux d’extension de Vienne et enfin sur un appareil critique d’une richesse étonnante de toute la carrière et plus généralement de sa biographie qui s’inscrit dans un contexte politique et social particulier.

Au niveau urbanistique, nous nous attacherons donc à effectuer une présentation d’ensemble de l’urbanisme dans les pays germaniques. Une présentation dans laquelle nous avons opté pour une approche qui fasse ressortir la structure de la discipline urbanistique telle qu’elle s’est formée dans la sphère germanique du 19° siècle

Au niveau architectural et urbain, et comme nous l’avons déjà souligné lors du chapitre précédent, nous avons été guidés par un souci de différentiation entre les différents domaines du savoir intervenant dans le domaine urbain.

Pour mener à bien cette entreprise, il nous a semblé opportun d’insister d’abord sur le caractère pluridisciplinaire du fait urbain dont l’étude est souvent rendue difficile, non seulement par le cloisonnement des disciplines mais aussi et paradoxalement par les envahissements disciplinaires qui rendent difficile la mise en évidence de la spécificité de chacune d’elles et qui ont été largement traités au chapitre précédent.

En effet, dans notre étude du contenu esthétique de l’urbanisme germanique du 19° siècle, nous serons confrontés à la confusion, qui perdure encore de nos jours, entre l’urbanisme en tant que discours et action pluridisciplinaires et dans lequel interviennent sociologues, géographes et économistes et la composition urbaine qui est du fait de l’architecte. J. Deroche, prend pour expliciter cette notion les définitions qu’en donne F. Gibbert dans son ouvrage justement intitulé composition urbaine : « la composition urbaine au sens que nous voudrions donner à cette expression, ne se confond nullement avec l’urbanisme…Les trois moments de l’urbanisme (enquête, plan, exécution impliquent la participation de nombreux spécialistes : géographes, sociologues, économistes, auxquels, bien qu’engagés dans des recherches concernant l’urbanisme, on ne demande jamais de faire preuve de sens esthétique. Quand ce point est atteint, quand vient le moment où quelqu’un doit indiquer de quelle façon les matières premières doivent être combinées sur le plan de l’exécution, quand ce quelqu’un doit, en fait, donner un sentiment aux formes, aux couleurs, à la contexture, alors commence la composition urbaine. » [GIB1972].

De plus, vouloir rendre compte des mutations essentielles de la pratique architecturale et urbaine dans la sphère germanique du 19° siècle ne signifie à aucun moment l’enfermement exclusif de la démarche ni dans le temps ni dans l’espace du terrain d’étude considéré. Bien au contraire, il nous a souvent semblé

utile de remonter dans l’histoire afin de pouvoir situer les conditions de leur émergence, mais aussi se projeter dans l’avenir afin de mieux apprécier les effets de ces mutations à travers les commentaires qu’ils continuent de susciter. L’étude diachronique met en évidence la relation dialogique entre l’histoire et le présent. Elle explique les faits historiques à la lumière des événements actuels qui en constituent le prolongement et l’aboutissement. Le présent est aussi expliqué par l’histoire. L’urbanisme du 20° siècle, écrit Françoise Choay, n’est pas ce qu’il croit être – une réponse nouvelle à des problèmes nouveaux – mais, pour l’essentiel, reprise, répétition de configurations discursives inconscientes nées au siècle précédent et qu’elle nomme modèle [CHO1980].

De la même manière, l’explication du processus urbain fait souvent appel à des faits qui dépassent la frontière de l’espace considéré. C’est pour cela que les travaux haussmanniens ainsi que ceux de l’ingénieur espagnol I. Cerda ont largement été évoqués.

Ainsi, ce chapitre se structure-t-il autour de trois parties essentielles. Une première partie qui traitera de la dimension philosophique et esthétique de la Kunstwissenschaft à travers ses conditions historiques d’émergence.

Une deuxième partie présentera l’urbanisme germanique du 19° siècle à travers des aspects qui nous ont semblé les plus pertinents dans une phase cruciale de l’évolution de la ville et de la discipline urbanistique. Nous nous intéresserons donc aux discours théoriques à travers les textes et les manuels, l’action sur la ville à travers les différents acteurs, les nouvelles tâches et les nouveaux instruments ayant vu le jour en réponse aux nouvelles tâches de l’aménagement urbain.

La ville en tant que lieu d’expression de l’art urbain constituera la dernière partie de cette présentation.