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L’entretien : stratégies et méthodes

METHODOLOGIE D’ENQUÊTE

3) L’entretien : stratégies et méthodes

Les enquêtes écrites invitent les informateurs à donner suite ou pas à une proposition d’entretien oral avec moi, l’objectif étant de rassembler environ une trentaine d’informateurs. Je compte sur la bonne volonté des personnes ainsi que sur la solidité de mon réseau professionnel, qui m’ont permis de forcer une certaine adhésion à ce type d’expérience.

Ceci dit, il est bon d’évoquer les biais qui peuvent empêcher la spontanéité recherchée des formes linguistiques lors de la situation d’entretien :

¾ La présence d’un magnétophone. D. BERTAUX a travaillé cet aspect dans le recueil entre autre des récits de vie165. Le matériel peut induire des conduites

verbales d’hypercorrections. Il appartient donc au chercheur de mettre en confiance son informateur. Le magnétophone ne se met pas en marche immédiatement, dans un premier temps l’essentiel réside autour de l’installation d’une relation de confiance. Ensuite les effets induits par le matériel audio phonique peuvent s’atténuer avec le temps. Il est important de préciser que les bandes seront détruites, qu’il n’y aura pas d’usage nominatif du matériel linguistique recueilli, autrement dit il est essentiel de poser les conditions éthiques et déontologiques de la recherche.

¾ La présence du chercheur. L’idéal peut-être serait que le recueil des matériaux langagiers soit instantané à leur exécution même. En effet, la présence du chercheur peut dériver vers beaucoup plus une recherche de confirmation des résultats qu’il attend qu’un véritable sondage des pratiques langagières. De même, l’informateur peut adopter des attitudes d’ajustement liées à la situation de l’enquête. « L’informateur est ainsi conduit à dissimuler certaines pratiques privées, à présenter de lui la facette qui lui semble le mieux convenir au rôle qu’il joue, à proposer des réponses qu’il présuppose attendues par l’enquêteur, sollicitant même souvent de ce représentant institutionnel du savoir la confirmation qu’il a effectivement produit la bonne réponse ».166 P.

BLANCHET décrit là le phénomène du paradoxe de l’enquête tel que LABOV l’a précédemment étudié.

165

BERTAUX (D), Les récits de vie, Nathan université, Paris, 1997.

166

BLANCHET (P), La linguistique de terrain Méthode et théorie Une approche ethno-sociolinguistique, PUR , rennes, 2000, page 46.

¾ La retranscription et l’utilisation des matériaux linguistiques. Enregistrer un entretien en sociolinguistique n’a de valeur qu’à partir du moment où l’attention du chercheur est centrée non seulement sur le contenu verbal lui- même que les effets non verbaux liés à la situation d’entretien ou aux hésitations de l’informateur. En effet ne compte pas moins ce qui est dit que la manière dont les choses se disent. Le chercheur se dote d’un papier, d’un stylo, et prend des notes pendant le déroulement de l’entretien. Il ne faut pas ignorer les effets que la prise de notes peut induire sur le comportement linguistique de l’informateur. La retranscription est un moment important. Le chercheur doit écrire les choses telles qu’il les a entendues, erreurs de langage comprises. Se pose alors le problème de la lisibilité et de la transmissibilité des propos. En effet, la recherche n’est pas un objet égocentré, sa mission première est d’être reçue par un lectorat. De plus, transcrire une parole orale implique une relecture par le filtre du chercheur. Par exemple comment éviter la mécompréhension, les phénomènes d’homophonie ? Le chercheur s’efforce d’avoir une écoute et une lecture des plus attentives à la recherche des significations. Des outils existent pour favoriser une retransmission des propos oraux. Pour ma part, je me suis servi du code que propose C. BLANCHE-BENVENISTE167. Ce code permet en plus de la réécriture des mots

une prise en compte des effets linguistiques tels que l’allongement de syllabes, les arrêts plus ou moins longs, les hésitations, les onomatopées diverses etc …, effets tous significatifs de la langue parlée. En tous les cas, il ne faut pas ignorer que, quel que soit le code de retransmission utilisé, il est illusoire d’attendre une conformité parfaite entre ce qui est dit et le passage à l’écrit, de plus il est indispensable de rappeler que l’acte de retransmission constitue de manière plus ou moins consciente un début d’interprétation du discours par le chercheur.

Maintenant que nous avons évoqué de manière rapide les biais éventuels liés à la situation d’entretien, la méthode choisie par le chercheur pour mener ses entretiens est fondamentale. Elle va garantir, sinon l’objectivité, le sérieux d’une démarche scientifique qui se concentre avant tout sur l’informateur que sur ce qu’attend le chercheur de l’entretien en terme de vérification des hypothèses qu’il a pu formuler antérieurement.

La non directivité semble la méthode la plus propice pour faire émerger une certaine spontanéité dans le discours. Si le contenu était plus important pour le chercheur que la manière dont se communiquent les choses, la non directivité aurait le défaut d’entretenir une certaine ambiguïté au sens que « c’est elle qui permet à l’enquêté de développer sa propre pensée à partir d’un thème très général n’incluant aucun cadre de référence particulier ».168 Le manque de structuration de l’entretien permet

167

BLANCHE-BEVENISTE (C), Approches de la langue parlée, Ophrys, Paris, 1995.

168

GHIGLIONE (R), MATALON (B), Les enquêtes sociologiques théories et pratique, Armand Colin, Paris, 1998, page 75.

réellement une appropriation par l’informateur de l’enquête. Le chercheur, après qu’il ait défini son statut, qu’il ait posé le cadre et l’objet de son étude (même si pour le cas présent l’objet présenté est un mensonge puisqu’il détourne les informateurs des efforts éventuels du langage pour se concentrer sur les contenus identitaires de la profession d’éducateur spécialisé), le chercheur donc favorise une écoute empathique fondée quasiment sur le modèle rogérien de la relation d’aide. L’écoute décentrée permet une attitude réellement centrée sur l’informateur, le rôle du chercheur est de faciliter le plus possible la prise de parole du sujet en s’oubliant lui-même, en reformulant les propos échangés et en relançant de questions qui aideront le personne à approfondir tel ou tel aspect de ce qu’elle dit. Le chercheur prend des notes et est attentif à la gestualité qui accompagne la parole. Néanmoins, il est illusoire de considérer que le chercheur s’efface totalement et qu’il n’interagit pas avec le sujet. D’ailleurs les entretiens sont enregistrés et la présence même de l’appareil a des effets sur la parole. Il appartient donc au chercheur de ne pas dévoiler qu’il étudie les manières de dire et de s’assurer que le sujet a suffisamment confiance en lui pour se livrer de manière intègre.

L’observation participante permet une entrée en matière dans le dire des gens plus spontanée. P. BLANCHET dans son ouvrage La linguistique de terrain insiste sur la nécessité pour le chercheur de s’immiscer dans le milieu qu’il étudie. Sa proximité avec les personnes qu’il étudie, voire sa propre participation dans la communauté linguistique qui l’intéresse sont autant d’atouts pour enquêter de l’intérieur les interactions langagières qui s’y passent. Il n’empêche et P. BLANCHET le rappelle fort bien que la démarche scientifique implique aussi une certaine distanciation avec l’objet d’étude. Tout est une question de dosage entre la participation active et intéressée aux scènes de vie et la nécessaire prise de recul par rapport à elles.

Nous nous situons là dans une perspective quasiment ethnologique de la linguistique. P. BLANCHET parle de démarche ethno-sociolinguistique. La langue est comprise non pas comme un ensemble détaché des pratiques sociales mais comme un fait social et culturel à part entière. En ce sens, l’ethnolinguistique correspond à une théorie particulière du langage et une méthode de recueil et de description des faits langagiers. Le chercheur, en s’immergeant dans la communauté dont il étudie les comportements linguistiques, a beaucoup plus de chance de limiter les effets du paradoxe de l’enquêteur et d’avoir affaire avec des discours spontanés et naturels. Se pose tout de même le problème de l’enregistrement et du recueil de la langue in vivo. La méthode préconise là un véritable « retour du travail sur le terrain, le seul qui puisse fournir les données à organiser dans le cadre d’une analyse structurale ».169 Au-delà de la méthodologie, l’ethnolinguistique s’intéresse à la

manière dont une langue s’inscrit dans un ensemble de pratiques culturelles d’un groupe donné. P. BLANCHET parle à la manière de MORIN d’une linguistique de la complexité, c’est-à-dire une linguistique qui trouve à la croisée de carrefours pluridisciplinaires afin de comprendre la langue non comme un élément isolé mais bien comme le « moyen d’approche pour saisir l’organisation socioculturelle d’une

169

société ».170 La langue sert là de révélateur de fonctionnements sociétaux et vice

versa.