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METHODOLOGIE D’ENQUÊTE

L’EDUCATEUR SPECIALISE

PRESCRIPTEURS POSITIFS PRESCRIPTEURS NEGATIFS

L’employeur, certains parents

d’associations d’enfants handicapés Des parents d’association pour enfants handicapés Le jury au diplôme d’état d’ES Certains universitaires (juristes,

psychologues) Les financeurs, les tutelles

administratives Le juge

Les bénéficiaires ou usagers Les bénéficiaires

Certains sociologues Les politiques

Etc. Les tutelles administratives

192

SAINSAULIEU (R), « L’identité et les relations de travail » in P. TAP (sous la dir.) Identités collectives et

changements sociaux, Toulouse, Privat, 1980. 193

OSTY (F), Le désir de métier Engagement, identité et reconnaissance au travail, PUR, Rennes, 2003, page 106.

Les notions de prescription négative ou positive concernent ici des attentes péjoratives ou mélioratives vis-à-vis des éducateurs spécialisés. Il n’est pas rare, par exemple, d’entendre de la part des usagers des propos de type « de toutes façons les éducateurs sont payés à rien faire à part lire le journal » ou contraire des propos de type « sans mon éducateur je m’en serais jamais sorti » : dans les cas, il s’agit d’une évaluation que je nomme positive ou négative.

On peut discuter de l’opportunité à classer les usagers de l’action éducative spécialisée comme prescripteurs. Le choix que je fais ici s’appuie sur la référence à des textes de loi sur le droit des usagers qui mettent ce dernier en quasi exigence vis- à-vis de certaines prestations sociales et éducatives. Indépendamment de ce problème, le schéma plus haut montre l’ambivalence de la position négative ou positive des prescripteurs. Par exemple, un élu pourra valoriser la professionnalisation d’une équipe d’éducateurs de rue sur un quartier auprès des habitants, et à un autre moment dénigrer auprès d’électeurs mécontents leur manque de coopération dans la dénonciation des actes délinquant qu’ils peuvent observer sur le terrain. Il n’empêche que l’identité professionnelle se construit en opposition ou en assimilation de ces discours prescriptifs, selon le bénéfice et le renforcement narcissique que les éducateurs en tirent.

L’identité ne se construit pas seulement dans le rapport aux discours prescriptifs c’est-à-dire aux discours qui ont force de modélisation sur l’activité professionnelle. Il y a les discours évaluatifs simples c’est-à-dire les discours de personnes qui ont une représentation du métier, qui la font savoir auprès des professionnels eux- mêmes mais auxquels ces derniers peuvent s’opposer sans risque pour leur existence en tant que groupe professionnel. S’il y a éventuellement risque c’est pour leur légitimité. Il s’agit dans ce cas de travailleurs sociaux autres qu’éducateurs spécialisés, éventuellement d’usagers, de bénévoles, de policiers, de professionnels de la santé etc qui entretiennent un rapport de partenariat ou de collégialité directe avec l’éducateur. De la même façon l’éducateur va construire son identité professionnelle en opposition ou en adhésion à ces discours en fonction du pouvoir et de la crédibilité qu’ils lui confèrent.

Ainsi l’une des entrées de l’analyse du discours peut être la manière dont l’éducateur s’est saisi de ces différents discours pour donner à son propre discours la légitimité qui fonde son identité. Les outils proposés par GENETTE (intertextualité, hypertextualité etc.) peuvent composer une aide précieuse pour étudier les discours sous-jacents de l’éducateur c’est-à-dire ceux empruntés et réinterprétés par le professionnel pour donner corps à sa spécificité. Nous sommes proches de thèses de BAKHTINE sur le dialogisme et la polyphonie généralisée, que J. BOUTET consacre sur le milieu de travail en tant qu’ « espace sémiotique ».194 Pour les auteurs

précédents, tout discours se trouve en prise avec d’autres voix concurrentes ou convergentes à ce qui est dit. « Comme le dit BAKHTINE, parler c’est toujours opposer une contre-parole, c’est se situer par rapport aux discours antérieurs pour y

194

opposer comme pour y adhérer. De ce fait, les discours antérieurs, ceux d’autrui comme ceux du sujet lui-même, façonnent la matière et le sens de ce qui va être énoncé dans chaque situation nouvelle d’énonciation. »195 Dans cette perspective, il

paraîtra intéressant de regarder comment dans son discours l’éducateur construit sa légitimité notamment dans l’interaction avec le chercheur. Cette légitimité se construit certes au regard des savoir-faire qu’il véhicule mais aussi de la manière dont il transmet son savoir, et en cela nous touchons au registre de l’argumentation cher à l’analyse des discours.

Enfin, dans la construction identitaire, il y a les discours de l’éducateur sur lui-même c’est-à-dire ceux qui, à ses yeux, indépendamment de ce qui est prescrit ou dit sur lui, le fondent en propre. Ici nous touchons directement à la question de la subjectivité dans le discours, c’est-à-dire la manière dont l’individu encode en propre la représentation qu’il a de lui-même et du métier qu’il incarne. A la manière de KERBRAT-ORECCHIONI il nous appartiendra d’étudier ce qu’elle donne en tête de chapitre : « de la subjectivité dans le langage : quelques lieux d’inscription »196

l’objectif étant de mettre en lumière la manière dont les locuteur font trace de leur professionnalité dans le discours. BOUTET appelle cet exercice « la mise en mot du travail », pour ma part je préfère le terme de formalisation de l’identité professionnelle dans la mesure où ce concept renvoie à quatre axes essentiels dans le langage :

- La forme discursive utilisée en propre par le locuteur (signifiant) - Le contenu de l’identité signifiée par le discours (signifié)

- La réalité extérieure à laquelle l’identité professionnelle réfère (référent) - Le processus à l’œuvre de mise en forme de ces trois dimensions.

Dans cette dimension, je propose donc d’aller plus loin que la seule analyse du matériel langagier en dépit des recommandations de J. BOUTET dans son ouvrage Construire le sens. Elle écrit à ce propos : « j’ai montré ici qu’il existe un point de vue linguistique sur les discours et que la spécificité du linguiste tient à sa capacité à prendre en compte la matérialité même des organisations linguistiques. La suspension de l’interprétation au profit de la description minutieuse de la mise en mots caractérise une démarche linguistique. Ainsi nous n’avons pas d’emblée étudié les discours des enquêtés pour ce à quoi ils référent mais d’abord pour la matérialité de la mise en mots : matérialité des organisations syntaxiques, matérialité des signifiants qui constituent des indices ou des traces pour le sujets mais qui, en même temps, opacifient et rendent difficile un chemin direct, univoque et transparent de ce qui est énoncé à ce que cela veut dire. »197 En gros, elle nous dit chacun son domaine, aux

linguistes le langage, aux sociologues ses significations ! Je ne partage pas un tel retranchement disciplinaire pour ma part, et je vais tenter de proposer une analyse qui évidemment s’intéressera à la matérialité des langages professionnels, mais aussi

195

BOUTET (J), Construire le sens, Peter Lang Editions, Neuchâtel, 1994, page 170.

196

KERBRAT-ORECCHIONI (C), L’énonciation, Armand Colin, Paris, 2002.

197

à la manière dont ils organisent le sens et transmettent quelque chose de l’ordre des identités professionnelles.

¾ Le traitement informatique des discours :

Traiter donc de la matérialité des discours et de leurs systèmes de significations implique de bénéficier d’un appareillage de traitement adapté. L’informatique apparaît privilégiée pour ce type d’usage dans la mesure où les enquêtes écrites auront été remplies sur un site Internet disponible dans mon disque dur, et les entretiens oraux auront été retranscrits sous forme d’un fichier Word. Un certain nombre de programmes permettent un traitement pratique et rapide des données avec évidemment toutes les prudences épistémologiques dont il faut s’entourer. L’ouvrage de P. MARCHAND L’analyse du Discours Assistée par Ordinateur va nous servir de base à la réflexion. L’auteur organise son argumentation autour de 5 axes : l’analyse para-verbale, l’analyse lexicale, l’analyse morphosyntaxique, l’analyse sémantique et l’analyse pragmatique, axes hormis le premier qui pourront constituer quelques éclairages pour cette thèse.

• L’analyse lexicale :

L’auteur parle de lexicométrie dont il emprunte la définition à SALEM à savoir : « tout une série de méthodes qui permettent des réorganisations formelles de la séquence textuelle et des analyses statistiques portant sur le vocabulaire à partir d’une segmentation ».198 En gros, ce type d’étude se manifeste par un comptage

statistique d’éléments déterminés par le chercheur dans un ensemble d’unités analysables. Ces unités sont définies comme « une suite de caractères bornée par deux caractères délimiteurs »199, soit en fait une forme graphique constituant un mot.

Les phrases peuvent constituer des unités lexicales aussi.

Une fois que le corpus a été divisé en un ensemble complexe d’unités lexicales, le chercheur peut en calculer sa richesse, cette dernière étant entendue comme un indice en terme de taille et d’occurrences. Par exemple, on peut comparer la taille et le vocabulaire, c’est-à-dire diviser le nombre de formes distinctes par le nombre de formes total. MARCHAND énonce les critères suivants :

- Longueur totale : nombre total de mots dans la réponse.

- Richesse de la réponse : rapport entre le nombre total des mots de la réponse et le nombre de mots différents dans la réponse.

- Banalité de la réponse : moyenne du nombre d’occurrences dans tout le corpus, des mots contenus dans la réponse.

Au-delà du nombre d’occurrences d’un mot, l’analyse lexicométrique s’intéresse au nombre de significations auxquelles renvoie un mot, en fonction de sa fréquence dans le corpus. De même, on peut regarder les contextes immédiats d’une

198

MARCHAND (P), L’Analyse du Discours Assistée par Ordinateur, Armand Colin, Paris, 1998, page 31.

199

occurrence, ce qui est appelé la concordance, afin de « s’assurer qu’une forme renvoie bien à une seule signification et distinguer d’éventuelle formes graphiques homonymes ou homographies ; ensuite repérer d’éventuelles locutions (segments composés dont le sens ne se réduit pas à la somme des parties : lutte des classes, point de vue, etc.) ; enfin, caractériser cette forme en fonction de son contexte, et non seulement intrinsèquement, ce qui permet d’approfondir sa signification. »200 La

partition est l’étude de la distribution d’une forme linguistique selon des variables sociologiques préalablement déterminés. La spécificité est son contraire, c’est-à-dire l’étude d’une forme linguistique dont l’usage est spécifique de tel ou tel groupe social.

Il importe dans ce type de traitement informatique, en dépit de tous les logiciels possibles, de déterminer les catégories qui vont servir au comptage statistique. MARCHAND parle d’indexation documentaire : « indexer consiste à assigner à un document un ensemble d’étiquettes, de mots clés, de descripteurs, pour fournir une indication et un moyen d’extraction d’information. »201 L’auteur rajoute plus loin :

« Les approches statistiques ne se préoccupent pas du sens du texte, mais visent à établir des procédures méthodologiques permettant de réduire et de classer les segments du texte, c’est-à-dire d’en donner un condensé parfaitement formalisé et d’en construire la structure. […] Le discours est vu comme une combinaison de phrases, une suite linéaire, et l’objet de l’analyse n’est pas d’en chercher le sens mais de déterminer comment sont organisés les éléments qui le constituent, sans faire appel à la connaissance que l’analyste peut avoir du sens spécifique de chaque morphème, de l’intention de l’auteur ou de la situation. »202

• Les analyses morpho-syntaxiques

L’analyse statistique lexicale ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de mots. « L’analyse automatique de la structure morpho-syntaxique va s’attacher aux relations syntagmatiques des formes, qui dépendent des fonctions des différentes catégories de termes (articles, noms, verbes, adjectifs, adverbes, etc.). »203

La morphosyntaxe organise le choix des termes du locuteur, indépendamment des stratégies discursives qui prédisposent à son discours, mais en fonction d’un ensemble de règles.

« L’analyse syntaxique va consister à affecter une catégorie aux mots d’une chaîne lexicale, et à appliquer les règles de relations entre les catégories. La statistique et la programmation vont donc reposer essentiellement sur la constitution de dictionnaires de formes fléchies (lemmes, pluriels, féminins, verbes conjugués, etc.), de types de flexions (accords, conjugaisons), de terminaisons, etc., auxquels le corpus à analyser va être comparé, ainsi que sur le définition d’algorithmes permettant d’identifier la fonction des formes ainsi repérées au sien de la proposition ou de la

200

MARCHAND (P), L’Analyse du Discours Assistée par Ordinateur, Armand Colin, Paris, 1998, pages 40-41.

201

MARCHAND, Ibid, page 48.

202

MARCHAND, Ibid, page 52.

203

phrase. »204 L’auteur montre néanmoins la prudence avec laquelle il faut envisager

l’analyse automatique morphosyntaxique notamment dans les cas d’ambiguïtés homophoniques.

L’analyse morpho-syntaxique va rechercher des pronoms, des noms, des adjectifs, des verbes, des connecteurs non tant pour leurs propriétés lexicales ou sémantiques, que le rôle qu’ils occupent dans la phrase. Dans tous les cas, l’ordinateur procède à un comptage des formes employées, et partir de là le chercheur peut généraliser les effets poursuivis par le locuteur.

• Les analyses sémantiques et pragmatiques :

« L’analyse du contenu thématique se présente comme une quantification de données qualitatives. »205 L’auteur rajoute plus loin : « L’analyse du contenu met

donc, en relation des signifiés du texte avec des variables psychologiques ou sociologiques (attitudes, jugements, opinions, environnement, etc.) préalablement définis et organisés sous forme de grilles catégorielles applicables sur les textes. »206

En fait, il importe de retenir les deux principes généraux suivants qui prévalent dans l’usage de l’informatique pour l’analyse des discours :

- L’informatique n’est pas magique. Elle n’enlève rien aux discours en eux- mêmes, elle ne permet pas de découvrir des objets cachés. L’informatique permet certes un gain de temps dans le comptage des éléments linguistiques, mais elle ne remplace pas le travail de réflexion et d’interprétation du chercheur.

- L’essentiel réside dans la manière dont le chercheur va s’approprier les outils informatiques. Autrement dit, pour qu’un logiciel comptabilise des données, il faut que le chercheur ait catégorisé ce que l’ordinateur doit chercher.

204

MARCHAND, L’Analyse du Discours Assistée par Ordinateur, Armand Colin, Paris, 1998 , pages 90-91.

205

MARCHAND, Ibid, page 122.

206