• Aucun résultat trouvé

LE CHAMP D’APPLICATION : LES PRATIQUES COMMERCIALES

Section 1 L’entreprise (ou professionnel) auteur exclusif

Traditionnellement, le droit a pour tendance d’opposer le consommateur au professionnel ; 79

ora priori, en l’espèce, la notion choisie n’est pas celle de professionnel, mais bien celle d’en-treprise. En effet, tel que son intitulé l’indique, la présente directive est « relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs ». Bien que les notions semblent similaires, il en est en réalité tout autrement, il apparaît donc malheureux que par la suite, la directive en opère le mélange. En effet, dans sa définition des pratiques commerciales, celle-ci se réfère au professionnel ; de plus, elle donne dans son article 2.b, la définition de ce professionnel, il semble donc que le législateur européen utilise sans distinction les notions de professionnel et d’entreprise. En effet, les entreprises des articles 3.1 et 2.d et les professionnels de l’article 2.b semblent être utilisés comme notions équivalentes218.

Le professionnel est défini dans la présente directive comme « toute personne physique ou 80

morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la présente directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom et pour le compte d’un professionnel »219. Cette définition s’approche de celle retenue depuis la directive 93/CEE du 5 avril 1993 selon laquelle, par opposition au consommateur le professionnel serait « toute personne physique ou morale qui, dans les contrats de vente ou de prestation de services, agit dans le cadre de son activité professionnelle privée ou publique »220. Il s’agira donc d’une personne physique ou morale effectuant une des pratiques commerciales de la directive 2005/29/CE, c’est-à-dire qu’il s’agit de toute personne effectuant l’une quelconque des pratiques commerciales visées.

La précision vient du fait que cette pratique doit servir « son activité, commerciale, indus-81

trielle, artisanale ou libérale ». Deux lectures peuvent être opérées de cette mention :

— soit, il s’agit de toute activité qui serait exercée à des fins de production ou de com-mercialisation d’un produit. Dans ce cas, il s’agirait d’activités réalisées dans le but de réaliser un profit, ce qui exclurait les pratiques de certaines associations, notamment les associations de protection des consommateurs, agissant dans un but autre que celle de réaliser un profit. Par exemple, le dénigrement, émanant d’une association de protection des consommateurs, dans le but d’avertir ces derniers, et non de proposer un produit al-ternatif, n’entrerait donc pas dans le domaine de la présente directive ;

— soit, il s’agit de toute activité exercée par les personnes visées auparavant. En effet, la ponctuation de la phrase laisse à penser que cette solution soit celle à retenir, cette position s’impose d’autant plus lors d’une lecture comparative de la version française à version

218. J. MASSAGUER, « El nuevo derecho contra la competencia desleal ; La Directiva 2005/29/CE sobre las Prácticas Comerciales Desleales. », Thomson Civitas, 2006.

219. Dir 2005/29/CE, art. 2 (b).

220. G. CORNU, « Vocabulaire juridique », op. cit.

anglaise de la directive221. En effet, la directive dans sa version anglaise exploite une vision mixte, tout d’abord, elle ne se réfère pas au professionnel (le professional), mais au trader222 (le marchand, ou négociant) ce qui se trouve être très restrictif, puis elle définie l’action de celui-ci comme celle qui entre dans le cadre de sa profession (his trade), de ses affaires (business), de son art artisanal (craft) ou libéral (profession). En étudiant donc la version française à l’aune de cette version, il est possible d’admettre que la présente directive vise les professionnels qui agissent à des fins entrants dans le cadre de leur profession, leurs affaires, leur art : que celui-ci soit artisanal ou libéral.

Peuvent donc faire office d’entreprise, toute personne, physique ou morale engagée dans 82

une activité économique ou commerciale223, sans qu’il soit nécessaire d’analyser son statut légal (qu’il s’agisse d’une personne de droit public ou de droit privé224), ou son mode de finan-cement (association ou organisme de charité)225. À ce titre, le statut du particulier effectuant des pratiques ou actes commerciaux n’est pas clair, il semble de prime abord qu’il ne devrait pas être inclus puisque ne jouant pas le rôle d’un professionnel au sens traditionnel du terme226. Cela étant, la jurisprudence française admettait avant cette directive la condamnation d’un par-ticulier publiant une annonce mensongère227, en outre, par pragmatisme, il se peut que celui-ci soit soumis au régime de cette directive s’il s’avère que cette position dissimule en réalité une si-tuation de vendeur « professionnel ». Enfin, sont assimilés aux professionnels, ceux qui agissent au nom et pour le compte d’un professionnel, c’est-à-dire les mandataires ; cela dit, il est pos-sible de donner cette même définition aux préposés du professionnel, ce qui renvoie en droit français à la responsabilité du fait de ses préposés228. La jurisprudence devra donc être suivie pour étudier si le préposé peut être reconnu responsable d’une telle pratique. En outre, cette précision montre un lien fort entre la protection offerte par la directive et la réglementation de la concurrence déloyale. En effet, lorsqu’un éditeur de presse fera indirectement la promotion de produit au profit d’entreprises au nom desquelles il n’agit pas, celui-ci ne pourra pas être poursuivi par ses concurrents pour pratique commerciale déloyale229.

221. Le trader est défini comme« any natural or legal person who, in commercial practices covered by this Directive, is acting for purposes relating to his trade, business, craft or profession and anyone acting in the name of or on behalf of a trader ».

222. Il en va de même pour la version espagnole qui retient la notion decomerciante(commerçant), ou la version allemande qui retient la notion deGewerbetreibender(commerçant)

223. B. KEIRSBILCK, The new european law of unfair commercial practices and competition law, op. cit.

224. CJUE, 3 octobre 2013,BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts contre Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV, aff. C-59/12, publié(e) au Recueil numérique (Recueil général).

225. B. KEIRSBILCK, The new european law of unfair commercial practices and competition law, op. cit.

226. Il s’agirait en effet d’une pratique C2C et non B2C tel qu’encadrée par la directive.

227. Cass. Crim., 24 mars 1987 : JCP G 1988, II, 21017, note HEIDSIECK; CA Paris 13ech. A, 9 juillet 1984 : Gaz. Pal. 1985, 1, jurispr. P. 151 ;

CA Paris, 13ech. B, 12 décembre 1984 : Gaz. Pal. 1985, 1, jurispr. P.134, note MARCHI. 228. V. art. 1384 C.Civ.

229. CJUE, 17 octobre 2013, RLvS Verlagsgesellschaft mbH contre Stuttgarter Wochenblatt GmbH, aff. C-391/12, publié(e) au Recueil numérique (Recueil général).

En tout état de cause, si le particulier ne pouvait pas être rendu coupable sur le fondement de la directive, sa sanction continuera sur le fondement de l’article L.121-1 du code de la consom-mation qui avant la transposition de la directive reconnaissait déjà une sanction des annonceurs non professionnels230. En effet, la directive prend part à une harmonisation maximale concer-nant la protection des consommateurs face à des pratiques commerciales déloyales proveconcer-nant de professionnels. Mais de telles dispositions n’excluent ni le fait que la protection puisse être élar-gie à la protection des concurrents, ni à la sanction des particuliers. Un tel élargissement serait exorbitant du champ de l’application de la directive et alors resterait objet de compétence des législateurs et juridictions nationales. C’est alors en ce sens que la Haute juridiction française a pu exprimer qu’il y avait en réalité continuité d’incrimination entre l’ancienne rédaction de l’article concernant la publicité trompeuse et la nouvelle concernant les pratiques commerciales trompeuses231.

Cela permettrait alors de renforcer la législation face au développement de l’utilisation des 83

avis de consommateurs comme moyens marketing. En effet, dans un contexte d’inflation pu-blicitaire, le consommateur est devenu de plus en plus indifférent voir méfiant vis-à-vis des messages publicitaires traditionnels, se dirigeant davantage vers les avis d’autres consomma-teurs afin d’obtenir une description plus crédible du produit ou de l’entreprise232.

C’est ainsi que les professionnels du marketing ont désiré transmettre leur message publi-citaire à travers les commentaires d’utilisateurs. La difficulté qui se présente pour ces derniers est alors que si le consommateur donnait son avis en se présentant comme étant sponsorisé, le message perdra en crédibilité, et à l’inverse cacher un tel sponsoring est considéré comme trompeur vis-à-vis des consommateurs233.

230. Voir notamment, Cass. Crim., 27 mars 1996, Bull. crim. no139 ; D.1996. IR 168 ; BID 1996, no12, p.21 ; RSC 1997. 122, note GIUDICELLI.

231. Voir en ce sens, notamment, Crim., 24 mars 2009, RTD com. 2009. 637, obs. BOULOC; JCP E 2009, no26, p. 24, note ROBERT; CCC 2009, no235, obs. RAYMOND; Dr. pénal 2009, no84, obs. ROBERT.

232. Avis du CEP, 25 novembre 2011 : « L’essor d’Internet a multiplié les sources d’information en offrant, en particulier, des espaces de discussion critiques des marques et des produits : forums, réseaux sociaux, blogs, tests de produits, avis de consommateurs, etc.. 78% des consommateurs se fient volontiers aux recommandations d’autres consommateurs et 52% d’entre eux affirment qu’un blog a joué un rôle dans leur acte d’achat. Selon une enquête CRÉDOC/eBay de mars 2009, 45% des internautes considèrent l’Internet comme un moyen de disposer de plus de pouvoir face aux marques, et cette proportion monte à 57% chez ceux qui recherchent des avis de consommateurs sur la toile. 62% des internautes déclarent avoir déjà renoncé à acheter un produit ou une marque après avoir pris connaissance de l’avis d’internautes ».

233. Voir Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, art. 9 : « Une communication destinée à promouvoir la vente d’un produit ne doit donc pas être présentée comme une étude de marché, une enquête de consommation, un contenu généré par les utilisateurs, un blog privé ou un avis indépen-dant » ;

Ou encore, loi no2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), art.20 :

« Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée » ;

Ou enfin, C.Conso, art L. 121-1-1 11qui interdit les pratiques commerciales qui ont pour objet « d’utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit ou d’un service alors que le profes-sionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur ».

Il est par ailleurs intéressant ici de soulever les cas (parmi d’autres) des blogs créés par les entreprises VICHYou SONY. Ainsi, en 2005, VICHYavait publié un blog, censé être tenu par une blogueuse, intitulé «Le journal de ma peau», mais ce dernier avait vite été démasqué comme étant l’œuvre de la marque qui avait été obligée de s’excuser à peine un mois après sa publication. Deux remarques peuvent alors être apportées : tout d’abord, le procédé marketing avait été, comme affirmé plus tôt, considéré par la blogosphère et les consommateurs en général comme étant trompeur et indésirable234, et d’autre part il n’avait pas été nécessaire qu’une quel-conque action soit menée et la marque s’était excusée d’elle-même d’un procédé qui continu aujourd’hui d’être qualifié sur Internet de «bad-buzz», c’est-à-dire de stratégie de communi-cation ayant largement échoué et étant perçue de manière négative. Le même destin avait été connu par le géant SONYet sonflog235«AllIWantForXmasIsAPSP» en 2006236.

Parallèlement, ont été mis en place des services de partage d’avis de consommateurs sur In-84

ternet transformant les simples avis qui étaient avant échangés de bouche à oreille en de réelles publications internationales pouvant gravement nuire à la réputation des entreprises commen-tées.

En ce sens, l’entreprise YELP! a fait face à de nombreuses critiques et récemment encore, des demandes l’accusant d’extorsion de fonds dans le but d’afficher des commentaires positifs ont été rejetées. En effet, la neuvième circonscription de la Cour d’appel Fédérale a considéré que les preuves d’une extorsion civile n’étaient pas apportées, le mécanisme de tri des avis étant automatique et affectant de la même manière les avis positifs que négatifs237.

En effet, s’il est primordial de garantir aux consommateurs un droit à l’évaluation publique des produits et services consommés238, il est nécessaire que ceux-ci ne fassent pas preuve de mauvaise-foi239. Et bien que les propos des consommateurs ne soient pas considérés par la di-rective qui ne voit le consommateur que comme un acteur destinataire, il semble qu’il serait

Ce dernier reprend la pratique no11 de l’annexe I de la directive 2005/29/CE, voir no209.

234. Voir not. International Excellence (dir.), France Vichy Cosmetics : Blog or not to blog ?, 2008,http://

openmultimedia.ie.edu/openproducts/vichy_i/vichy_i/entrada4.html. Consulté le 10 novembre 2014.

235. Pourfake blog.

236. Voir not. Graft Kris, « Sony Screws Up », BusinessWeek : innovation and design, 19 décembre 2006, http://www.businessweek.com/stories/2006-12-19/sony-screws-upbusinessweek-business-news-stock-market-and-financial-advice. Consulté le 10 novembre 2014.

237. Levitt v. Yelp ! Inc., No. 11-17676 (9th Cir. 2014)

238. Voir notamment, Assembly Bill No. 2365, chapter 308, approuvé par le gouverneur de Californie le 9 sep-tembre 2014 qui interdit toute clause contractuelle limitant le droit de critique du consommateur.

Mais aussi les lois dites anti-SLAPP intégrées au droit de 28 États des USA tels que le Maryland ou encore le District de Columbia qui permettent d’agir contre les professionnels menaçant les consommateurs qui déposeraient des avis négatifs.

HILLR. et BEAN, KINNEY& KORMAN, PC, « Small Businesses : Responding to and Resolving Scathing (or False) Online Reviews », JD Supra, 4 mars 2015. URL : http://www.jdsupra.com/legalnews/small-businesses-responding-to-and-reso-61335/.

SLAPP pourStrategic Lawsuit Against Public Participation.

239. À ce titre, certains États américains tels que la Virginie offre des moyens de permettre l’identification des avis anonymes : Va. Code § 8.01-407 ;

pertinent de l’étudier également comme émetteur. Ici les régimes de dénigrement et de diffama-tion existant tant dans les droits issus de lacommon lawque dans ceux de droit civil peuvent apporter quelques éléments de réponse240.

D’ailleurs, un premier pas vers la considération de ces avis a été franchi par l’autorité de la concurrence italienne qui le 22 décembre 2014 a condamné le site d’avis communautaire

TRIPADVISOR à une amende de 500000 euros pour ne pas avoir été capable de prouver avec certitude que les avis publiés étaient vrais et dignes de confiance241. Elle précise en outre que le statut d’hébergeur ne s’applique pas ici puisque le classement par avis est central à la plate-forme. Il ne s’agit alors pas encore de contrôler les avis des consommateurs, mais de vouloir un contrôle par les sites communautaires de la source et de la qualité des messages publiés afin d’éviter que ne se glissent parmi eux des messages issus, même médiatement, de professionnels.

Cette solution met donc en danger les pratiques de présentation d’avis sur des produits dissimulant en réalité des pratiques publicitaires qui par ce caractère dissimulé sont susceptibles d’être sanctionnées sur le fondement de la directive 2005/29/CE et notamment de la pratique no11 de l’annexe 1.

Cette crainte se retrouve aux États-Unis ou le géant YELP! prenant les devants a choisi d’attaquer HERZSTOCKqui propose aux professionnels des services leur permettant d’obtenir des avis favorables sur les sites communautaires242. De la même manière, la société AMAZON

a agi contre le dépôt d’avis rémunérés sur sa plateforme de vente en ligne.243

Le champ d’application de la directive étant maintenant défini, il est possible d’approfondir 85

l’étude de la directive par l’appréhension de son champ d’interdiction. En effet, au même titre que ce n’est pas la concurrence en elle-même qui est interdite, mais la concurrence déloyale, il apparaît ici que ce ne sont pas les pratiques commerciales qui le sont, mais bel et bien les pratiques commerciales déloyales.

HILL R. et BEAN, KINNEY & KORMAN, PC, « Small Businesses : Responding to and Resolving Scathing (or False) Online Reviews », op. cit.

Pouvoir qui est cependant limité et accordé de manière restrictive. Voir en ce sens la décision de la Cour suprême de Virginie affirmant qu’il est impossible d’ordonner une telle divulgation à une entreprise se situant sur un autre État, en l’occurrence l’entreprise YELP! située en Californie :Yelp, Inc. v. Hadeed Carpet Cleaning, Record No140242 (Va. 16 avril 2015).

240. Voir VoDiffamation, et not., nos395 sqq..

241. AGCM, PS9345, disponible sur : http://www.agcm.it/stampa/comunicati/7365-ps9345-mezzo-milione-di-multa-a-tripadvisor.html.

242. Recours no3 :15-cv-00693, déposé devant ladistrict courtde Californie du Nord le 13 février 2015.

243. VoirAmazon v. Gentile and ors., King County Superior Court, case number 15-2-08579-4 SEA (enregistrée le 15 avril 2015).