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A. Perspective musulmane arabe de l’enfant et de l’adoption

1.3. L’adoption dans l’Islam

1.3.1. L’enfant et l’adoption au centre des religions monothéistes et des cultures

Les fondements des trois religions monothéistes, dont l’Islam fait partie, sont basés sur la famille et regorgent de mythes liés à l’abandon d’enfants. Que ce soit les héros ou les fondateurs de religions monothéistes, ils semblent correspondre à un certain archétype. Pour ce qui est du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam, le statut des fondateurs de chaque religion rappelle celui de l’adopté. Moïse a été adopté par la fille du Pharaon. Il s’agit d’un enfant d’ascendance surnaturelle (du Saint-Esprit) dans le cas du Christianisme. Fils du Saint-Esprit, Jésus a été élevé par un père qui n’était pas le sien biologiquement. Finalement, le prophète Mahomet était orphelin et a grandi avec son grand père et son oncle, sorte de pères adoptifs146. Mahomet avait lui-même un fils adoptif appelé « Zeid fils de Mahomet ». Comme aucun des cinq fils naturels du Prophète n’atteignirent la puberté, ce fils adopté revêt une importance particulière puisque ce statut d’adopté (et sa répudiation) fit en sorte que le Prophète se retrouva le dernier d’une lignée, sans

145 Reynald Herbaut, L’adoption et la filiation dans les droits musulmans de rite sunnite, Thèse de doctorat en droit, Université de Perpignan, 2004, à la p. 33.

146 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations : rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, aux p. 7-10.

descendance mâle. C’est ce qui fait dire aux musulmans que Mahomet est le dernier des Prophètes147.

Du côté des héros de l’époque pré judaïque, on assiste au même phénomène. La première adoption consignée fut celle du fondateur de Babylone, Sargon 1er, plus de 1800 ans avant J-C. Œdipe, fils de Jocaste et Laïos et adopté par les souverains de Corinthe, devint souverain de Thèbes ; Rémus et Romulus, les fondateurs de Rome, furent élevés par une louve ; enfin, Octave, adopté par César, devint l’empereur Auguste. À cause de la peur de l’inceste et du mystère entourant les origines biologiques, on a toujours nourri une certaine méfiance envers cette filiation substituée. Il suffit pour s’en rendre compte de constater la proportion d’histoires mythiques d’adoption qui finissent mal : Brutus assassine César, Œdipe et Pâris causent la ruine de leur terre d’accueil, Moïse cause la destruction du royaume égyptien, etc. Malgré cette réticence, l’adoption a toujours été, depuis ses débuts, une réponse à l’absence d’enfant ou de parent148.

Avant l’avènement des religions monothéistes, l’adoption était au Proche- Orient une pratique purement contractuelle entre l’adoptant et le parent biologique149. Un auteur rapporte deux formes d’adoption : l’une conférait à l’adopté une filiation qui se substituait à l’ancienne, l’autre, contractuelle, consistait à commuer contre rétribution une filiation en une autre150. Bien que nulle implication extérieure n’ait été nécessaire, l’adoption était rapportée sur des tablettes d’argile et comprenait plusieurs modalités, y compris des clauses

147David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations : rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, à la p. 9.

148 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations: rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, à la p. 11. 

149 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations: rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, à la p. 11.

150 Rude Antoine Edwige, « Les systèmes de droit musulman et le statut de l’enfant », dans Lucette Khaiat, Cécile Marchal, dir., L’enfant en droit musulman, Paris, Société de législation comparée, 2008, à la p. 55.

pénales au cas où l’adoptant ou l’adopté décidait unilatéralement de rompre le lien d’adoption. Cette rupture pouvait se faire oralement. L’adoption d’un fils répondait à deux préoccupations : assurer un héritier mâle et une aide aux adoptants durant leurs vieux jours. Quant à la fille, elle était généralement adoptée par un homme dans le but que ce dernier organise son mariage, qui était parfois contracté avec le fils de l’adoptant lui-même. Finalement, les filles de familles pauvres étaient parfois données en adoption pour être servantes dans la famille adoptante151.

Chez les Grecs et les Romains, où le culte des ancêtres était très important, l’institution visait à permettre la perpétuation du culte du pater familias tout en introduisant des héritiers mâles152. Celui-ci avait droit de vie et de mort sur ses enfants, il pouvait les désavouer et les

abandonner à son gré. L’infanticide était pratiqué et n’était pas toujours considéré comme un crime. L’adoption de filles était très peu pratiquée. L’adoption servait aussi à garantir une aide aux adoptants âgés et n’était ouverte qu’au pater familias. L’adopté prenait le nom de l’adoptant et recueillait ses biens. Les Grecs connaissaient trois formes d’adoption : l’adoption « plénière » in vivos par laquelle l’adopté perdait tout droit dans sa famille d’origine et devenait l’égal du fils naturel de l’adoptant, l’adoption testamentaire par laquelle le défunt désignait son fils adoptif dans son testament et l’adoption posthume, par laquelle l’adopté était désigné comme tel après la mort de l’adoptant153. À Rome, l’adoption était assez commune parmi les aristocrates. Deux formes d’adoption étaient reconnues: l’adrogation et l’adoption simple. Dans les deux cas, les adoptions avaient souvent lieu alors que l’adopté était adulte et au départ, elles étaient plénières en ce sens que l’adopté perdait ses droits dans sa famille d’origine. Ce n’est qu’avec l’empereur

151 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. « Divinations: rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, aux p. 11-13.

152 Rude Antoine Edwige, « Les systèmes de droit musulman et le statut de l’enfant », dans Lucette Khaiat, Cécile Marchal, dir., L’enfant en droit musulman, Paris, Société de législation comparée, 2008, à la p. 63. 153 Rude Antoine Edwige, « Les systèmes de droit musulman et le statut de l’enfant », dans Lucette Khaiat, Cécile Marchal, dir., L’enfant en droit musulman, Paris, Société de législation comparée, 2008, à la p. 63.

Justinien que l’adopté put reprendre ses droits d’héritage dans sa famille d’origine. L’adrogation liait un pater familias à un garçon pubère émancipé par son père biologique. Le fils devait consentir à l’adoption et celle-ci était précédée d’une enquête au cours de laquelle les consentements étaient vérifiés par les autorités romaines, qui prenaient la décision finale. L’adoption simple impliquait un garçon ou une fille et était moins formelle, bien qu’elle dût se faire devant un gouverneur ou magistrat. Elle ne nécessitait que les consentements du parent biologique et de l’adoptant154.

L’avènement des religions monothéistes marqua un tournant important puisqu’elles tinrent l’adoption en défaveur. L’adoption n’était pas reconnue par les Juifs, qui y voyaient une fiction qui ne pouvait pas remplacer les liens du sang si importants pour obtenir le statut de descendant de Jacob. À la place, pour assurer la continuation de la famille, la loi juive permettait à un homme de prendre une concubine dans l’espoir de produire un héritier mâle. Toujours dans l’optique de produire un héritier, elle obligeait même l’homme à marier la femme de son défunt frère si celui-ci était décédé sans laisser d’enfant. Malgré le fait que l’adoption n’était pas reconnue, elle était tout de même pratiquée dans les communautés et sa forme ressemblait fortement à celle pratiquée dans le reste du Proche- Orient. Plusieurs allusions à des « adoptions » sont faites dans les textes bibliques : Moise fut adopté par la fille du Pharaon, Esther fut adoptée par son cousin, Rachel adopta le fils de sa servante et de Jabob, les deux fils de Joseph auraient été adoptés par Jacob… Le fondement même du judaïsme, c’est-à-dire l’élection d’un peuple par Dieu comme étant le peuple élu et la promesse faite par Dieu à David de prendre en charge son fils comme le sien rappelle beaucoup le principe de l’adoption. L’adoption comme outil pour choisir sa descendance est donc un concept théologique155. Ce concept se retrouve aussi dans le

154 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations: rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, aux p. 14-15.

155 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations : rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, aux p. 16-17.

Christianisme dans le Nouveau Testament. Chez les Chrétiens, Jésus, fils de Marie, fut adopté par Joseph et « choisi » par Dieu comme son fils. En effet, Joseph savait que Marie était enceinte alors que son mariage avec elle n’avait pas été consommé, il savait ne pas être le père et la soupçonnait d’avoir conçu hors mariage. C’est alors que les apôtres rapportent qu’un ange lui serait apparu pour lui annoncer que l’enfant à naître était le fils de Dieu. Toutefois, une fois né, Joseph lui donna son nom et l’éleva tout comme un père naturel, ce qui rappelle le principe d’adoption. La tradition chrétienne veut que chaque croyant choisisse Dieu comme père lors de la cérémonie du baptême : il devient alors son fils spirituel (c’est ce qu’on appelle l’adoption spirituelle). L’adoption devint un véritable sujet de discorde parmi les premiers Chrétiens lorsqu’une interprétation se développa à l’effet que Jésus serait en fait le fils biologique de Joseph et le fils adoptif de Dieu, renversant ainsi la première interprétation. À l’instar des juifs, l’adoption n’était pas reconnue comme telle par les premiers canonistes156. L’Église chrétienne a d’abord rejeté l’adoption comme étant contraire à la nature, la filiation étant un acte du destin résultant de la seule volonté divine. D’un point de vue très concret, l’Église avait également un avantage pécuniaire à voir mourir quelqu’un sans descendance, sans successible…

Il existe peu de sources sur la pratique de l’adoption en Arabie juste avant la révélation de l’Islam au 7e siècle, mais l’al-tabanni (qui veut dire « faire de quelqu’un son fils ou sa fille ») y était pratiquée puisque la majorité des habitants étaient polythéistes et regroupés en tribus. Comme pour les Romains, le père avait droit de vie et de mort sur ses enfants, il en était considéré propriétaire et pouvait en disposer157. Femme et homme pouvaient adopter et généralement, l’adopté était un enfant capturé et fait esclave ou un enfant d’esclave (adopté par le maître de cette dernière). Il arrivait aussi qu’un enfant soit adopté

156 David Stephen Powers, Muhammad is not the father of any of your men: the making of the last prophet, coll. «Divinations : rereading late ancient religion», Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, aux p. 18-21.

157 Reynald Herbaut, L’adoption et la filiation dans les droits musulmans de rite sunnite, Thèse de doctorat en droit, Université de Perpignan, 2004, à la p. 6.

par un autre membre de la même tribu. L’adoption était une façon d’agrandir la tribu et par le fait même, son importance. La question de l’héritage n’était pas problématique puisque les biens appartenaient à la tribu et non aux individus. Une lecture a contrario de quelques versets du Coran nous enseigne sur cette institution avant la révélation des fameux versets clés158. Ainsi, il a souvent été affirmé que l’adopté était intégré dans sa famille adoptive, prenait son patronyme, en héritait (et vice-versa) et avait des obligations envers les parents adoptifs. Le traitement égal que le Prophète accorda à ses fils biologiques et à son fils adoptif Zeid (d’ailleurs ancien esclave) est cité comme preuve de l’égalité de traitement entre adoptés et enfants biologiques. Malgré cette soi disant intégration, une auteure cite des cas connus où l’adopté garda des liens étroits avec sa famille biologique159. Selon elle, le nombre d’adoptions enregistrées à l’époque est peu élevé et ce sont les mêmes cas qui sont cités maintes et maintes fois dans la littérature de l’époque préislamique, mais cette opinion n’est pas partagée par tous160. L’égalité n’était pas non plus assurée puisque les adoptés étaient souvent des esclaves affranchis ou des alliés de la communauté et, à ce titre, ils ne jouissaient pas dans les faits des mêmes privilèges que les enfants biologiques. Cette auteure n’est pas la seule à penser ainsi, une autre auteure souligne pour preuve que le statut d’ex-esclave d’un adopté était méticuleusement noté. Pourquoi noter ce statut s’il n’existait pas différence de traitement ?161

1.3.2. Historique de l’interdiction de l’adoption dans l’Islam et extraits invoqués à son