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A. Perspective musulmane arabe de l’enfant et de l’adoption

2. Réception de la kafala en Occident : le choc des institutions

2.1. État de situation en France

2.1.1. Historique de l’adoption et évolution de la notion d’intérêt de l’enfant en

Malgré la rémanence de l’adoption dans certaines régions françaises569, pendant longtemps570 et sous les influences de l’église chrétienne et germanique571, l’adoption était prohibée en France. C’est Napoléon 1er, qui souhaitait s’offrir une descendance en légitimant le fils de son épouse Joséphine, qui fut le premier à réinstaurer le principe en Europe dans le Code civil français de 1804572. L’adoption introduite par cet empereur en 1804 a été peu utilisée puisqu’elle était limitée aux adoptions entre majeurs573. L’adoptant devait avoir plus de 50 ans et être sans descendance légitime et l’adopté devait avoir plus de 25 ans. Ce dernier gardait ses droits dans sa famille d’origine. L’adopté devait aussi consentir à ce « contrat ». L’adoption avait pour but premier non pas la protection de l’enfant telle qu’on la connaît dans le Coran ou telle qu’elle s’est développée plus tard en droit français, mais elle répondait d’abord à une préoccupation successorale : l’adoption était destinée à se donner des héritiers et jusqu’en 1939, à éviter aussi le paiement de droits successoraux élevés. En ce sens, cette conception se rapproche de l’approche utilitaire du droit romain : on donnait un enfant à une famille plutôt qu’une famille à un enfant574. Graduellement, le sort des enfants abandonnés a commencé à émouvoir l’opinion publique durant la deuxième moitié du 19e siècle. La popularité des personnages de romans connus de l’époque, tels qu’Oliver Twist, Rémy et Cossette, en témoigne. Toutefois, c’est

569 Notamment en Provence : voir Reynald Herbaut, L’adoption et la filiation dans les droits musulmans de rite sunnite, Thèse de doctorat en droit, Université de Perpignan, 2004, à la p. 28.

570 C’est-à-dire des invasions germaniques à 1804. 571 Ceux-ci ignoraient l’institution.

572 En effet, l’adoption fut réintroduite en Autriche en 1811, en Italie en 1865, en Espagne en 1889, en Allemagne en 1900, en Suisse en 1907, en Angleterre en 1926 et au Portugal en 1956.

573 Sur l’évolution de l’adoption en France voir : Carmen Lavallée, L’enfant, ses familles et les institutions de l’adoption, regard sur le droit français et le droit québécois, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, aux p. 10-21. 574 Reynald Herbaut, L’adoption et la filiation dans les droits musulmans de rite sunnite, Thèse de doctorat en droit, Université de Perpignan, 2004, à la p. 17.

seulement à la suite des ravages de la guerre de 1914-1918 et pour trouver une solution aux nombreux orphelins que la France a adopté sa première loi ouvrant l’adoption aux mineurs en 1923 (Loi du 19 juin 1923). On peut affirmer que « c’est donc à ce moment là que l’histoire de l’abandon et celle de l’adoption se rejoignent au sein de l’Administration centrale de protection de l’enfant. »575 La première partie de l’adage qui veut que l’institution de l’adoption donne une famille à un enfant prit alors tout son sens. Plusieurs dates historiques marquent ensuite l’évolution législative : en 1939 les adoptés reçoivent la qualité d’enfants légitimes576, en 1959 l’adoption contractuelle est supprimée au profit de l’adoption judiciaire577 et en 1966 naît l’adoption moderne française, caractérisée par la coexistence des adoptions plénière et simple578.

Avant le 19e siècle, la notion d’intérêt de l’enfant était comprise en France comme l’intérêt « des enfants » collectivement, d’où les lois relatives à la scolarité obligatoire et au travail des enfants579. Cette notion était un principe général du droit français. L’institution de la déchéance de la puissance paternelle introduite en 1889, l’assistance sociale pour enfant et la création d’institutions spécialisées pour enfants dès 1840, toutes orientées vers la protection de l’enfant, témoignent d’un changement de mentalité progressif580. Ensuite, l’interprétation jurisprudentielle et doctrinale des concepts fondamentaux de puissance paternelle581 et de garde en cas de divorce582 au profit de l’enfant, illustre la tendance en

faveur de l’intérêt de l’enfant in concreto. Deux décisions phares de 1959 et 1962 vinrent confirmer le fait que la puissance paternelle est limitée, qu’elle doit s’exercer dans le

575 Claire Brisset, « Adoption nationale et internationale » (2005) 29 Enfances et Psy 4, 15 (extraits du Rapport annuel de l’année 2004).

576 Loi décret du 29 juillet 1939. 577 Ordonnance du 23 décembre 1959. 578 Loi du 11 juillet 1966.

579 Jacqueline Rubellin-Devichi, “The best interests principle in French law and practice” dans Philip Alston, éd., The Best Interests of the Child : Reconciling Culture and Human Rights, Florence, UNICEF, Clarendon Press-Oxford, 1994, à la p. 260, voir aussi Carmen Lavallée, L’enfant, ses familles et les institutions de l’adoption, regard sur le droit français et le droit québécois, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, à la p. 259. 580 Carmen Lavallée, L’enfant, ses familles et les institutions de l’adoption, regard sur le droit français et le droit québécois, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, à la p. 260.

581 Prévue au Code napoléonien de 1804.

meilleur intérêt de l’enfant et qu’elle est soumise à l’appréciation du juge583. La notion d’intérêt de l’enfant est donc intégrée en droit français depuis longtemps, mais comme le note Jacqueline Rubellin-Devichi, c’est le droit d’être entendu de l’enfant qui manquait cruellement avant la mise en œuvre de la CDE en France584. Les articles 388-1 et 388-2 du Code civil (« C.civ. ») ont apporté une amélioration en octroyant à l’enfant les droits d’être entendu relativement aux questions le concernant, d’être accompagné en Cour et d’être représenté lorsque ses intérêts sont en conflit avec ceux de son gardien. Toutefois, en matière d’adoption, bien que l’enfant de 13 ans et plus doive consentir préalablement à son adoption585, sa représentation et son audition ne sont pas nécessaires586.

Quant à la famille moderne française, son modèle d’organisation suit l’évolution de la société. La notion de famille s’est transformée à l’image de l’évolution des relations entre ses membres. Elle est caractérisée par le resserrement de la famille sur l’enfant. Le mariage est fortement concurrencé par d’autres modes de vie en couple tels que le pacte civil de solidarité (« PACS ») et l’union libre587. Par exemple, en France métropolitaine, le nombre de PACS enregistrés annuellement a bondi de 6 139 en 1999, l’année de sa création, à 173 045 en 2009. Durant la même période, le nombre de mariages enregistrés annuellement a chuté de 297 922 à 250 000588. L’enfant est devenu le pilier de la famille, le

583 Paris, 30 avril 1959, D 1960, 1, 673, note J. Carbonnier, Tribunal de grande instance de Versailles, 24 septembre 1962, D 1963, 52, note J. Carbonnier. Décisions expliquées dans Jacqueline Rubellin-Devichi, “The best interests principle in French law and practice” dans Philip Alston, éd., The Best Interests of the Child : Reconciling Culture and Human Rights, Florence, UNICEF, Clarendon Press-Oxford, 1994, à la p. 261.

584 Jacqueline Rubellin-Devichi, “The best interests principle in French law and practice” dans Philip Alston, éd., The Best Interests of the Child : Reconciling Culture and Human Rights, Florence, UNICEF, Clarendon Press-Oxford, 1994, à la p. 264.

585 Article 345 al 3 C.civ.

586 France, Défenseure des droits de l’enfant, Rapport au Comité des droits de l’enfant des Nations unies 2008 (par Claire Brisset), à la p. 45.

587 Sur le traitement législatif de ces modes alternatifs dans une perspective comparative voir Alain Roy, « L’union de fait en droit français et belge : une politique législative aux antipodes du droit québécois » dans Benoît Moore et Générosa Bras Miranda, dir., Mélanges Adrian Popovici, Éditions Thémis, Montréal, 2010, aux p. 143-170.

588 Selon l’Institut national d’études démographiques :

http://www.ined.fr/fr/pop_chiffres/france/mariages_divorces_pacs/mariage_nuptialite/ (page consultée le 2 novembre 2010).

ciment du couple, lié ou non par le mariage. À l’opposé du droit musulman, la loi française n’impose pas un modèle de vie en couple, elle hiérarchise en consacrant véritablement le mariage comme une institution, en réglementant minimalement le PACS et en prenant acte de l’union libre589. Finalement, à l’image de cette évolution, l’égalité entre les filiations est parachevée par l’Ordonnance du 4 juillet 2005590.

2.1.2. Survol des adoptions simple et plénière : filiations de superposition et de