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A. Perspective musulmane arabe de l’enfant et de l’adoption

1.2. Conceptions traditionnelles d’enfant et de famille dans l’Islam

1.2.2. L’enfant dans l’Islam médiéval

La perception occidentale du droit musulman demeure encore qu’il accorde peu de droits aux enfants, qu’il est discriminatoire vis-à-vis des filles (mariage, succession), qu’il leur laisse peu de place pour exprimer une préférence, que ce soit au niveau de leur garde, de leur éducation ou de leur religion94. Pourtant, l’idée que l’enfant possède un statut particulier est un concept ancré dans l’Islam depuis les temps médiévaux, bien avant que le concept ait été reconnu en droit international et dans les sociétés européennes, c’est-à-dire au 20e siècle95. En fait, les sociétés islamiques avaient durant les temps médiévaux une plus grande considération pour les besoins de l’enfant que les sociétés européennes du début du

90 Jean-Louis Nadal, « L’enfant en droit musulman », dans Lucette Khaiat, Cécile Marchal, dir., L’enfant en droit musulman, Paris, Société de législation comparée, 2008, à la p. 19.

91 Melanie Reed, “Western democracy and Islamic tradition: the application of Sharia in a modern world” (2003) 19 Am. U. Int’l L. Rev. 485, à la p. 504.

92 Rhoda Howard, “Cultural absolutism and the nostalgia for community” (1993) 15 Hum. Rts. Q. 315, à la p. 333.

93 Rhoda Howard, “Cultural absolutism and the nostalgia for community” (1993) 15 Hum. Rts. Q. 315, à la p. 333.

94 David Pearl, “A note on children’s rights in Islamic law”, dans Gillian Douglas, Leslie Sebba, éd, Children’s rights and traditional values, Dartmouth, Ashgate, 1998, à la p. 90.

95 Bien qu’il existe une certaine controverse sur cette question, certains auteurs évoquent un rapport à l’enfant proche de celui existant de nos jours dans le village de Montaillou situé dans les Pyrénées, en France, au 14e siècle. Voir Avner Giladi, “Concepts of childhood and attitudes towards children in medieval Islam” 32 Journal of the Economic and Social History of the Orient 123.

20e siècle96. Avner Giladi, auteur de nombreuses études sur l’enfance dans l’Islam médiévale, rapporte une quantité très impressionnante d’ouvrages arabes consacrés aux enfants datant de cette époque. Un dictionnaire de l’époque rapporte pas moins de quarante termes pour désigner le bébé, l’enfant et les différents stades de l’enfance. L’analyse du contenu de ces documents, qui traitent notamment de pédiatrie, de psychologie enfantine, d’éducation et de droits de l’enfant, témoignent d’une conscience très développée et d’une connaissance approfondie de l’enfant et de ses besoins97. Le premier traité entièrement consacré à la pédiatrie, Siyasat Al-Sibyan, date du 10e siècle98 et aborde de manière étendue l’hygiène du nouveau-né, les maladies enfantines et leur traitement. Il porte également sur le développement de la personnalité, le caractère acquis ou inné des traits, le lien entre les traits de la mère et ceux de l’enfant. Plusieurs traités ont suivi et confirment que déjà au 10e

siècle, un système de diagnostiques assez efficace avait été développé grâce aux autopsies pratiquées. Les auteurs de ces traités étant des praticiens, ces connaissances n’étaient pas uniquement théoriques, elles étaient transmises aux générations plus jeunes de médecins99. Durant le moyen-âge, l’enfance était une période plus longue dans le monde islamique qu’en Europe, où l’enfant passait extrêmement rapidement à l’âge adulte, c'est-à-dire vers 7 ans. Cette prolongation « arabe » était due en partie à l’institution de la kuttab, école élémentaire religieuse et civique répandue du moyen-âge au 20e siècle et fréquentée par les garçons.

Déjà au 11e siècle, l’éminent auteur Al-Ghazali écrivait que l’enfant est « prêté » à ses parents pour qu’ils en prennent soin et l’élèvent de manière à en faire une bonne personne.

96 Safir Syed, “The impact of Islamic law on the implementation of the Convention on the rights of the child: the plight of non-marital children under Shari’a” (1998) 6 Int’l J. Child. Rts. 359, à la p. 377.

97 Avner Giladi, “Concepts of childhood and attitudes towards children in medieval Islam” 32 Journal of the Economic and Social History of the Orient 123, aux p. 128-134. À la p. 234, l’auteur rapporte entre autre un ouvrage de 1324 après J.C. le passage suivant : “children should be regarded as human beings and should be honoured like adults”.

98 Écrit par Ibn Al-Jazzar.

99Avner Giladi, Children of Islam: concepts of childhood and medieval Muslim society, New York, St. Martin's Press, 1992, à la p. 20.

Pour ce faire, il appartient au père de l’enfant de choisir un environnement favorable (cela commence avec une nourrice vertueuse), dépourvu de mauvaises influences. L’âge de raison, 7 ans, est charnière puisque l’enfant doit alors recevoir une éducation de manière systématique car à ce jeune âge il est alors parfaitement prêt à assimiler l’information, il est comme un « sol vierge », une « pierre lisse prête à être ciselée »100.

Au 11e siècle, l’éducation au Moyen- Orient et en Afrique du Nord était très principalement religieuse et consistait à apprendre le Coran par cœur, alors que les musulmans espagnols accordaient à la même époque plus d’importance à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les matières comme l’arithmétique ou la poésie n’étaient abordées que par rapport au Coran, par exemple pour calculer les parts d’héritage consacrées dans ce dernier. Cette éducation était complétée par les éducations morale et physique ainsi que par le jeu.

Au 14e siècle, les penseurs musulmans reconnaissaient que l’enfant a des besoins particuliers, qu’il doit être encouragé à développer ses talents naturels et que le traitement subi à un jeune âge a une influence directe sur sa personnalité future. Puis, au début du 15e siècle, l’auteur Ibn Khaldun se pencha sur les effets néfastes (physiques et psychologiques) des châtiments excessifs dans l’éducation des enfants et conclut que l’usage de la violence devait être limité au minimum. Pourtant, les châtiments corporels faisaient partie intégrante des méthodes d’éducation et le sont encore, malgré une plus grande conscientisation. Ils avaient pour but de corriger les traits jugés indésirables. Les fatwas (opinons légales) de l’époque rapportent justement que les punitions corporelles étaient légales. Par contre, avec les siècles, elles ont été mieux encadrées, notamment par des traités à l’attention des enseignants et éducateurs sur les méthodes punitives modérées et par des inspecteurs chargés de vérifier et de limiter les méthodes utilisées.

100Avner Giladi, Children of Islam: concepts of childhood and medieval Muslim society, New York, St. Martin's Press, 1992, à la p. 31.

Finalement, Giladi cite un nombre étonnement élevé d’ouvrages (13) destinés à aider les parents à gérer la mort d’un enfant, à une époque où en Europe, la mortalité infantile n’était pas perçue avec la même gravité. En fait, selon certains auteurs, les taux de mortalité étaient si élevés que les parents européens ne pouvaient qu’être indifférents devant ce qui était perçue comme la fatalité. Les hauts taux de mortalité infantile n’étaient pas non plus exclusifs à l’Europe. Que ce soit au Moyen-Orient ou en Europe, ils résultaient de facteurs assez similaires : insuffisance de connaissances médicales pour lutter contre des maladies comme la peste (qui revenait aux 8-9 ans), insuffisance ou absence de mesures hygiéniques de base (lors d’accouchement, de circoncision) mais aussi négligence, violence excessive, abandon et infanticide. On note que la mortalité liée à la peste n’épargnait aucune couche de la société arabe et les enfants étaient les premières victimes. Selon certains, l’enfant décédé recevait le même traitement que l’adulte, que ce soit au niveau des préparatifs funéraires ou des prières qui lui étaient adressées. D’autres soulignent que l’enfant avait un traitement inférieur à celui de l’adulte, notamment qu’il n’avait pas de pierre tombale à son nom. Par ailleurs, la grande tristesse du deuil d’un enfant qui est rapportée dans de nombreux ouvrages était compensée par une importante consolation religieuse. Selon les paroles rapportées du Prophète (hadîth), les parents de jeunes enfants prédécédés étaient destinés entrer directement au paradis, de même que leur (s) enfant (s)101. Le traitement accordé en pratique aux enfants différait sûrement des pratiques décrites dans ces traités. Toutefois, certaines de ces pratiques étaient sûrement en vigueur à certaines époques, dans certaines classes de la société102. Une conclusion est certaine: l’enfant était vu et traité avec une certaine ambivalence. D’un côté, il était considéré innocent et pur ; de l’autre, il était rempli de désirs réprimés par la violence et les filles étaient très sévèrement discriminées dès la naissance.103

101 Avner Giladi, “Concepts of childhood and attitudes towards children in medieval Islam” 32 Journal of the Economic and Social History of the Orient 123, à la p. 149.

102 Avner Giladi, “Concepts of childhood and attitudes towards children in medieval Islam” 32 Journal of the Economic and Social History of the Orient 123, à la p. 160.

103 Avner Giladi, “Concepts of childhood and attitudes towards children in medieval Islam” 32 Journal of the Economic and Social History of the Orient 123, à la p. 160.