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A. Perspective musulmane arabe de l’enfant et de l’adoption

1.2. Conceptions traditionnelles d’enfant et de famille dans l’Islam

1.2.1. Généralités

En Islam, les membres d’une famille sont liés par de stricts devoirs familiaux (et expectatives mutuelles) prescrits par le Coran et qui ont pour but d’assurer continuité et respect à l’unité fondamentale qu’est la famille. Bien que ces devoirs soient administrés par les membres de la famille en privé, la religion commande qu’ils deviennent une question publique en cas de problème interne70. Toutes les écoles s’entendent pour affirmer que ces relations doivent être empreintes d’ihsan (bonté)71. La famille est aussi basée sur l’honneur, la filiation légitime (nasab) et l’identité, dont la femme est le pivot central72. L’honneur de la famille est fondamental et est assuré par tous ses membres, mais le fardeau reposant sur les femmes est plus lourd. Celles-ci doivent préserver leur intégrité physique et morale (par le port du voile, la mise à l’écart de la femme en présence d’étrangers, l’adoption par la femme d’une attitude réservée lorsqu’elle s’adresse aux hommes)73. Une fois perdu, l’honneur de la femme ne peut plus être regagné, contrairement à l’homme qui peut le regagner souvent par le sang74. L’honneur familial atteint son apogée lors de la cérémonie du mariage, au terme de laquelle la virginité est perdue. Le principe d’identité fait en sorte

68 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, à la p. 16.

69 Jean Paul Charnay, Esprit du droit musulman, Paris, Dalloz, 2008, aux p. 18 et 35.

70 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, à la p.21.

71 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, à la p. 214.

72 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, aux p. 21-25.

73 Badra Moutassem-Mimouni, Naissances et abandons en Algérie, Paris, Karthala, 2001, à la p. 27. 74 Badra Moutassem-Mimouni, Naissances et abandons en Algérie, Paris, Karthala, 2001, à la p. 23.

que chaque membre a l’obligation et le droit de s’identifier comme membre de la lignée. Cette appartenance s’obtient uniquement par la nasab. Ce serait d’ailleurs pour assurer les bases de ce nouvel ordre que l’adoption aurait été interdite, non sans mal75. Le Coran décourage fortement le célibat et encourage les hommes à se marier pour fonder une famille de type patriarcal dont ils assureront la direction parce qu’ils sont considérés les mieux placés pour ce faire76. Le mariage est vu comme une nécessité parce qu’il permet à la fois de préserver l’harmonie sociale et de remplir les besoins humains (notamment sexuels) d’une manière morale en contrôlant la procréation. Sources de déséquilibre social, toutes les formes de relations sexuelles hors mariage (zina) sont prohibées et sévèrement punies.

Il faut noter que l’Islam a été encore une fois « révolutionnaire » dans la mesure il n’a reconnu qu’une forme de mariage, lequel prend la forme d’un contrat permanent conclu devant témoins et régi par des règles bien précises, et a établi un modèle familial patrilinéaire77. Avant l’avènement de l’Islam, les systèmes matrilinéaire et patrilinéaire coexistaient. Les règles relatives au mariage et à sa dissolution, à la filiation et aux successions étaient plus vagues. En matière de relations hommes/femmes, l’Arabie était régie par des coutumes qui ont été abrogées. Par exemple, la femme pouvait être « donnée » à plusieurs hommes et l’enfant qui naissait de ces relations sexuelles était attribué à l’un d’eux, au choix de la femme. L’homme n’avait pas le choix d’accepter cette filiation. Ou encore, il était possible de s’unir pour une période prédéterminée. De ce point de vue, l’Islam s’est éloigné du modèle familial tribal, au profit de la famille plus restreinte78.

75 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, aux p. 24-26.

76 Coran, sourate 12, verset 38 et sourate 24, verset 32.

77 Ces règles concernent les règles de validité du mariage, la vie maritale (principalement l’entretien de la femme sous toutes ses formes, celle-ci n’ayant pas d’obligation économique dans la famille) et la fin de celle- ci (répudiation, talak, divorce « conjoint », khul) et varient selon les écoles.

78 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, à la p. 28.

La famille traditionnelle est vue par le Coran comme le milieu de prédilection pour permettre à l’enfant de se développer correctement, mais aussi pour offrir une aide financière et familiale aux personnes âgées et aux membres vulnérables. Elle est basée sur la cohésion et la solidarité entre ses membres. Bien que l’Islam ne commande pas un type d’organisation familiale en particulier (élargie ou nucléaire), les membres sont traditionnellement et historiquement compris au sens large, d’où le terme « grande famille agnatique » (Al dar l’kebira)79. À l’intérieur de cette grande famille, il existe une très forte hiérarchie des personnes et des fonctions80. Le Coran prescrit que chaque membre de la famille est directement responsable pour répondre aux besoins de son entourage immédiat (ascendants et descendants directs au premier degré), à ceux des membres de la famille incapables de subvenir aux leurs et est encouragé à prendre soin de sa famille élargie81. Le

bien de la famille vient avant celui de l’individu, l’individu est immergé dans le groupe ; il n’existe qu’au travers de son appartenance à une hiérarchie. La responsabilité du membre sera proportionnelle à la part de l’héritage à laquelle il aurait droit dans la succession du membre pris en charge. Comme l’héritage se transmet de père en fils, les hommes82, remplissant le rôle de pourvoyeurs, ont la plus grosse part du gâteau, que ce soit en matière de responsabilités ou d’autorité. Quant à la place de la femme, sa subordination décroît en fonction de son âge et du nombre d’enfants qu’elle a engendrés83.

L’enfant constitue l’objectif principal et représente une prescription religieuse du mariage ; il est l’ultime récompense car c’est la maternité/paternité qui donne à la

79 Abd Al Ati Ammudah, Family structure in Islam, Washington, American Trust Publications, 1977, aux p. 30-32.

80 Cigdem Kagitcibasi, « La famille dans la société musulmane et le changement social », dans Marie Claire Foblets, dir., Familles-Islam Europe : le droit confronté au changement, Paris, L’Harmattan, 1996, à la p.271. 81 M. Afzal Wani, The Islamic law on maintenance of women, children, parents & other relatives : classical principles and modern legislations in India and Muslim countries, 1st éd., Noonamy, Kashmir, New Delhi, Upright Study Home, Qazi Publisher & Distributors, 1995, aux p. 8-16.

82 Particulièrement le père et le fils aîné.

83 Cigdem Kagitcibasi, « La famille dans la société musulmane et le changement social », dans Marie Claire Foblets, dir., Familles-Islam Europe : le droit confronté au changement, Paris, L’Harmattan, 1996, à la p. 272.

femme/homme le véritable statut d’adulte84. L’enfantement est un acte très favorable aux yeux divins dans la mesure où chaque naissance agrandit l’Oumma. Une expression veut que lorsqu’un homme devient père, il a rempli auprès de Dieu la moitié de ses devoirs de croyant ; il lui reste à craindre Dieu pour la deuxième moitié. La paternité est une preuve de virilité. Selon un auteur, cette attitude entraîne chez l’homme musulman un besoin « viscéral » de s’attribuer la paternité de l’enfant de sa femme dès l’instant où les faits n’en contredisent pas trop ouvertement la vraisemblance85. En gros, l’homme musulman répudie facilement sa femme, mais désavoue très rarement les enfants qu’elle a mis au monde86. Socialement, l’enfant constitue le lien crucial entre chaque génération, il est « the living person that ties the present to the past and to the future »87. La naissance d’un garçon est fortement souhaitée, car celui-ci assurera la transmission du nom, mais aussi le bien-être matériel de la famille. La « sécurité du grand âge », l’interdépendance générationnelle, revêt dans la famille traditionnelle une grande importance88. La ségrégation entre filles et garçons débute à un très jeune âge. Dès trois ans, on enseigne aux filles à s’occuper des plus jeunes et à participer aux tâches ménagères (en préparation de leur rôle de mère) tandis que les garçons ont la liberté de jouer à l’extérieur89. Dès son plus jeune âge, il est inculqué à la fille que l’honneur de la famille repose sur elle, c’est-à-dire sur sa virginité. Comme le

84 Cigdem Kagitcibasi, « La famille dans la société musulmane et le changement social », dans Marie Claire Foblets, dir., Familles-Islam Europe : le droit confronté au changement, Paris, L’Harmattan, 1996, à la p. 211.

85 L’auteur oppose cette attitude à l’attitude du non musulman, chez qui il note plutôt une attitude de méfiance et de prudence par rapport à sa filiation : Yvon Linant de Bellefonds, Traité de droit musulman comparé, Paris, Mouton & Co, 1973, à la p. 20.

86 Yvon Linant de Bellefonds, Traité de droit musulman comparé, Paris, Mouton & Co, 1973,à la p. 20. 87 Elizabeth Warnock Fernea, “Childhood in the Muslim Middle East” dans Elizabeth Warnock Fernea, éd., Children in the Muslim Middle East, 1st éd., Austin, University of Texas Press, 1995, à la p. 4.

88 Cigdem Kagitcibasi, « La famille dans la société musulmane et le changement social », dans Marie Claire Foblets, dir., Familles-Islam Europe : le droit confronté au changement, Paris, L’Harmattan, 1996, à la p. 272.

89 Annelies Glander, The Oriental child: not born in wedlock: a study of the anthropological parameters, religious motivations, and sociological phenomena of child care in Islam and Judaism, coll. «European University studies. Series XXII, Sociology », Frankfort, Peter Lang, 2001, à la p. 171.

soulignait un auteur90, la protection de l’enfant et de ses droits n’est pas absente du droit musulman, mais elle répond à d’autres préoccupations et est inspirée par d’autres valeurs que celles qui prévalent en Occident. Surtout, l’Islam met l’accent beaucoup plus sur les droits collectifs et les devoirs de l’individu envers la société que sur les droits individuels91. Conséquemment, l’autonomie de l’enfant est minimisée et il est appréhendé au sein d’un groupe, d’une communauté familiale, avant d’être un sujet de droit à part entière92. Ses droits seront largement tributaires de son environnement familial. Par opposition, en Occident, les droits individuels de chacun des membres de la famille sont exacerbés93.