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2 Distances continentales et discontinuités : des processus d’enclavement

2.1 Distances : vers la graduation des situations d’enclavement ?

2.1.2 Distances enclavantes : circulation et discontinuités

2.1.2.1 L’enclavement ou l’espace discontinu

La graduation des contraintes n’est pourtant pas encore définie comme enclavante. Elle a même appelé une organisation spécifique centrée autour des continentalités étatiques. Partant du constat établi que les réponses aux contraintes peuvent être « positives », il est maintenant possible de réintroduire l’hypothèse initiale posée précédemment faisant de l’absence probable d’ouverture effective dans un cadre donné l’élément explicatif de l’enclavement. Si des réseaux sont produits, il n’est pas sûr que ces construits sociaux qui répondent à un projet universel (réduire la distance au sein de la relation projetée) remplissent leur rôle de connexions opérationnelles aux interfaces portuaires. Dans une distance mondiale, mettre au jour l’enclavement (comprendre l'espace relatif fermé), c’est alors s’engager à identifier les entraves, les discontinuités, les ruptures, qui perturbent les projets d’acteurs dictés par l’impératif d’ouverture littorale. L’enclavement des Etats continentaux ouest africains, inscrit nécessairement dans un champ de la circulation, n’est pas un simple état, mais bien un processus perturbateur des mobilités réalisées, transformant les positions continentales en distances et situations enclavantes.

Dans la compréhension d’un espace discontinu tient la question de l’enclavement. La lecture de l’espace circulatoire peut maintenant s’orienter vers une mesure des différentes composantes des ruptures spatiales. Différentes remarques préliminaires s’imposent. L’appréhension des discontinuités peut orienter l’étude vers une dérive visant à caractériser l’espace ouest africain comme exclusivement « espace de problèmes », lieu exemplaire d’une concentration des difficultés. Face à cette orientation, il semble important de rappeler fortement le caractère universel des discontinuités. L’espace des sociétés n’est jamais continu. Chaque espace propose ses propres ruptures. Bien sûr, l’hypothèse à tester (discontinuités / distances enclavantes) ne résulte pas d’une impossible déduction parfaitement théorique. Les connaissances préliminaires sur l’espace considéré fournissent des pistes. Il est évident que l’approche déductive est aussi une forme de reconstruction, influencée par les acquis existants sur le problème étudié (LEVY J. 1994). Les différentes difficultés qui semblent entraver les opérations de mobilité en Afrique sont généralement connues, et ont orienté nos propres hypothèses de départ. Elles ne sont pourtant pas spécifiques au « terrain » africain. Leur mesure participe à la compréhension de tous les espaces.

Comprendre les discontinuités, en tant que multiplicateur de distances, revient à identifier les processus de blocage ou de passage. Les limites, les frontières séparant les systèmes spatiaux (mais présentes également à l’intérieur même des systèmes), les points de passage, les modalités que proposent les médiums constitutifs de l’espace de circulation, leur capacité ou non à assurer la connexion littorale doivent être cernés. Il s’agit d’aborder ce que certains appellent aussi rugosités spatiales, considérées comme « tout ce qui freine la circulation, qui accroît les distances, et même qui marque la différence des lieux » (BRUNET R & al, 1993, p 441), révélant alors une des composantes « fondamentales » de l’espace géographique. Que serait d’ailleurs un espace continu ? Rien d’autre finalement qu’un espace sans contrainte, où finalement tous les projets de transactions seraient possibles. Et ces transactions illimitées, devraient elles-mêmes être les plus rapides, les plus sûres, et les moins onéreuses. Dans la vision extrême de cette représentation idéale, l’espace est alors sans temps, sans coût, sans limite, et donc sans distance. Il devient un lieu, utopique au sens étymologique premier du terme (« le lieu qui n’existe pas »). Cette utopie d’ailleurs nourrit certains fantasmes, parfois avancés par certains, qui voient dans la mondialisation contemporaine la fin des distances. De nombreux auteurs ont déjà démontré l’absurdité d’une pareille utopie. Il est vrai que les distances semblent réduites, de façon croissante, dans un ensemble de progrès techniques, technologiques et logistiques rendant l’échange de plus en plus rapide. L’espace d’une mobilité idéale n’a pourtant guère de consistance, si ce n’est comme modèle, permettant de mesurer l’écart entre projets de mobilité et possibilités réelles, permettant de lire finalement les discontinuités. Ce que l’on peut appeler à la suite d’Henri Bakis « l’espace transactionnel »12 ne concerne pour l’instant qu’une partie minime de l’espace mondial. Les différentes distances encadrent toujours les projets de circulation.

Cette notion de distance doit être précisée et orientée vers la mesure de distances spécifiques des Etats continentaux ouest africains. La simple métrique « physique », notamment euclidienne, n’a qu’une valeur limitée dans la compréhension des relations entre les lieux, de plus en plus d’ailleurs dans un monde devenu « multimétrique » (DOLLFUS O & al, 1999, p 10), complexifié par les possibilités renouvelées des différentes circulations. Les références au temps et au coût sont depuis longtemps des constituants forts des perceptions de distance pour les acteurs voulant franchir cet intervalle qu’est l’espace. Dans ce référentiel, le calcul économique constitue une métrique orientant les comportements spatiaux. La plupart des

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« parcelle de l’espace total dont le contenu technique permet des communications permanentes, précises, et rapides entre

modèles visant à expliquer la répartition des villes, des industries, des entreprises, prend en compte cette dimension réduisant les pratiques spatiales à une logique de maximisation. Il est vrai que cette approche permet une explication précise des stratégies de compétitivité élaborées dans différents projets. La distance, qui peut être abordée dans ces logiques pragmatiques économiques, ne peut pourtant pas être réduite à cette seule dimension. Des ressorts sociologiques, psychologiques, culturels, orientent les perceptions qui ne peuvent être que relatives des écarts entre les lieux. On doit à Jean Gallais une formalisation de ces distances affectives, écologiques, structurales. Elles témoignent des prismes par le biais desquels les acteurs construisent leur propre distance, en fonction de leurs vécus, de leurs représentations, de leurs espaces de vie chargés de sentiments divers qui rapprochent ou qui éloignent les lieux sans rapport direct avec la métrique euclidienne (GALLAIS J. 1976). Diversité donc, la distance est un construit complexe qui ne prend de sens que par rapport à des projets d’acteurs, à des visées elles-mêmes définies par un ensemble de représentations et de stratégies. Et cet ensemble est orienté par la contrainte spatiale produite en fonction des volontés de mise en relation entre les lieux.

Dans un effort de mesure, il est impossible de cerner la totalité des distances explicatives de l’espace étudié. Des choix s’établissent nécessairement, correspondant aux questions posées dans l’objet scientifique. Il s’agit de comprendre dans l’étude présente une distance continentale à des ports précisés comme relais central d’une distance mondiale. Dans la grille de lecture théorique posée précédemment, le choix a été fait de privilégier une orientation inscrite dans ce que l’on peut nommer un espace terrestre marchand. Elle permet de comprendre le passage à une forme (parmi d’autres) de situation enclavante. Ce sont les possibilités et difficultés proposées aux acteurs économiques continentaux qui guident alors le questionnement. Il sera privilégié une tentative de mesure des distances dans ce cadre global de l’échange mondial. Les possibilités d’ouverture littorale dans des conditions compétitives d’accès permettant l’insertion dans le concert économique fixent l’ensemble des distances qui doit être cerné.

Certes, il est difficile d’établir une norme de ce que devrait être la compétitivité. Cette logique « marchande » ne prend de sens que comparativement, par rapport à d’autres régions de production, de consommation. Alain Bonnafous l’avait expliqué, sur un point d’arrivée, sur un marché, les marchandises africaines se retrouvent directement en concurrence avec d’autres produits venant d’horizons divers. La performance des circulations se concrétisant sur des réseaux de transport est un des termes de cette compétitivité mondiale

(BONNAFOUS A. 1996). La logique d’importation, d’achats de produits divers, est identique : les discontinuités dans les réseaux peuvent lourdement majorer le coût final des marchandises importées. La comparaison entre les filières de transit se révèle alors singulièrement explicative des mesures des possibilités d’ouverture. Dans le cadre du réseau SITRASS, différentes recherches ont porté sur le coût comparatif du transport des marchandises des pays d’Afrique, d’Asie, ou d’Amérique du sud. Plus en avant dans la recherche, il s’agira de cerner les conclusions de ces études, pour pouvoir les confronter à nos propres distances évaluées. Plus que dans la mesure exacte, il s’agit dans notre lecture de saisir un processus global de distances, explicatif des inversions de centralités anciennes, définissant un enclavement relatif. Partant d’une distance mondiale, la compréhension d’un espace discontinu peut permettre d’expliquer les continentalités. Pour justifier cette restriction à un espace singulier, il doit être posé brièvement l’objectif entrepris dans une mesure géographique des distances provoquées par des discontinuités.

2.1.2.2 Accessibilité et mesure des distances : l’écart entre « réseaux techniques » et