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Continentalité, marginalisation et dépendance : l’impératif d’ouverture

2 Distances continentales et discontinuités : des processus d’enclavement

2.1 Distances : vers la graduation des situations d’enclavement ?

2.1.1 Quand la continentalité devient distance

2.1.1.2 Continentalité, marginalisation et dépendance : l’impératif d’ouverture

L’Afrique est marginalisée certes, elle n’est pourtant pas déconnectée. Chaque espace est maintenant inscrit dans une interdépendance, et donc une dépendance qui ne peut pas être occultée. Pourtant, ce degré de dépendance est inégal entre les différents pays. Qui penserait à regrouper dans une même explication la dépendance des Etats africains et européens ? Les économies nationales d'Europe occidentale sont certes contraintes à une insertion, à un besoin d’échanges, d’exportations, ne serait-ce que pour compenser l’importation de matières premières dont elles ne disposent pas. Cette Europe est pourtant un centre de richesses, de commandement, d’évolutions, maîtrisant alors pour l’instant une dépendance dont elle tire profit. Une des conditions de la puissance dans le système actuel réside justement dans ce contrôle des dépendances. Les Etats africains ne sont pas centraux. En situation périphérique,

ils sont inscrits dans une sphère d’interaction, depuis l’épisode colonial, qu’ils ne maîtrisent pas.

La participation au commerce mondial des Etats africains est faible. Elle est aussi spécifique de cet état de dépendance. La structure du commerce extérieur révèle souvent un déséquilibre majeur entre importations et exportations. Les exemples illustrés dans les graphiques présentés (échanges extérieurs : importations et exportations) dévoilent cette absence d’équilibre. L’ensemble des Etats continentaux ouest africains (Mali, Niger, Burkina, Tchad), une grande partie des pays côtiers (Gambie, Bénin, Togo, Sierra Leone…) sont dans cette situation critique d’Etats importateurs déficitaires, se traduisant par un progressif endettement. Seuls les grands Etats exportateurs des matières premières que sont le café, le cacao ou encore le pétrole présentent un rapport positif. Pour autant, les économies ivoirienne, gabonaise, ou encore du Cameroun par exemple, ne sont guère écartées de cette sphère de dépendance. Ces pays sont tributaires de l’évolution des cours mondiaux, dépendants là encore d’irrégularités non maîtrisées. Pierre Veltz l’avait déjà remarqué, dans le processus de mondialisation actuel, une « inégalité fondamentale devient celle de l’exposition au hasard » (VELTZ P. 1997, p 249). Elle expose alors les économies africaines à un risque permanent d’évolution négative du cours des matières premières. D’autant plus, que les différentes productions africaines s’inscrivent dans un contexte très concurrentiel, relativement saturé. La multiplicité des Etats producteurs de café, de cacao ou encore de coton, semble interdire toute tentative de regroupement des différents producteurs, toute tentative de régulation de l’évolution des cours. Les quelques rares essais de mise en place d’une sorte « d’OPEP du Café ou du Cacao » ont rapidement échoué.

« Les cours du caoutchouc sont trop élastiques » (PLANTU J. 1982), comment illustrer mieux que ne l’a fait le caricaturiste Plantu cet état de faiblesse des valeurs très fluctuantes d’exportations presque exclusives ? Car le problème de ces variations est renforcé par la très faible diversité des exportations. Un ou deux produits représentent souvent plus de 80 % de l’exportation nationale. De l’évolution du cours d’un seul produit dépend alors la situation économique globale de l'Etat concerné. C’est ce que résume cette maxime malienne : « quand la compagnie de textile s’enrhume, c’est tout le pays qui est malade » résumant le rôle fondamental des exportations de coton (plus de 60 % de l’exportation totale) pour ce pays marqué par une base productive faible.

Figure 2.6 – © Jean Plantu

La conséquence de cette dépendance et de ce déséquilibre marqué dans le commerce extérieur est une des raisons de l’endettement chronique des Etats africains qui ne peuvent guère équilibrer leurs budgets totaux. Ajoutés aux prêts divers, contractés auprès des acteurs d'une aide internationale qui ont longtemps cru que le simple afflux d’argent permettrait un développement rapide, les processus de dépendance produisent une Afrique fortement endettée. Le recours à l’aide extérieure a été massif, notamment lors des années 1970/1985. Cette époque est caractérisée par un cours global élevé des matières premières exportées et par une nécessité de recyclage des avoirs des pays de l’OPEP en augmentation constante due aux hausses successives des prix du pétrole. L’échéance de ces prêts octroyés correspond justement à une chute brutale des cours, entraînant, à partir de la fin des années 1980 une crise financière et économique, et un accroissement du volume de la dette rapporté aux revenus en baisse des Etats africains. D'autant plus que cet accroissement est renforcé par la montée du dollar et par l’augmentation des taux d’intérêts, provoquées par les politiques monétaristes visant à enrayer l’inflation dans les économies nationales des Etats prêteurs. Dans le volume global de l’endettement mondial, la part africaine est assez faible. Le problème est réel pourtant, résidant dans la proportion que cette dette prend dans les capacités financières de ces Etats.

Les cartes de la dette extérieure africaine (figures 2.7 & 2.8) dévoilent des rapports plus ou moins marqués suivant les pays, mais très souvent supérieurs à 50 % du PNB (215 et 247 % pour les grands exportateurs de matières premières que sont l’ex Zaïre et la république du Congo). Globalement d’ailleurs, les exportateurs de matières premières (Côte d’Ivoire, Cameroun, Ghana, Congo…) apparaissent en pourcentage du PNB plus endettés que des pays à la balance commerciale pourtant déficitaire. Se sentant « riches » à une époque maintenant révolue, les représentants politiques de ces Etats ont massivement emprunté. Le rapport de la dette avec les exportations annuelles précise une répartition différente. Mais si certains Etats apparaissent moins endettés, le service de la dette pour l’ensemble des pays ampute néanmoins les marges d’actions financières et donc les possibilités d’actions politiques. Là encore, le processus d’une périphérie dépendante se renforce. Les pouvoirs étatiques africains sont sous le contrôle d’une aide internationale, devenant ces Etats ajustés par la Banque Mondiale et le F.M.I. Ce constat de centres mondiaux et de leurs dépendances est connu, déjà d’ailleurs « passé de mode » dans les discours politiques et scientifiques, profondément associé à un courant défini comme tiers-mondiste. Il est vrai qu’il semble nécessaire de dépasser cette lecture, pour tenter de comprendre la réelle complexité des relations entre l’Afrique et le monde, les contraintes mais aussi les possibilités rencontrées dans cette dépendance mondiale entre les différentes entités spatiales. La réflexion sur l’enclavement et l’espace Monde s’enrichira au fur et à mesure de cette étude. Néanmoins, dans cette étape visant à cerner la relation entre marginalisation et enclavement, il est important de relever ces processus encore actuels.

Cette dépendance est surtout renforcée par une autre spécificité du commerce extérieur africain : les faibles relations inter-africaines demeurent une caractéristique forte des échanges internationaux officiels. Il est difficile de mesurer les répartitions précises des échanges. Les multiples flux « transfrontaliers » entre des économies plus complémentaires probablement que le discours habituel ne le laisse paraître, ne sont guère quantifiables11. Certaines études précises ont montré l’importance des relations par exemple entre le Nigeria et ses voisins

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Ces flux transfrontaliers seront abordés dans la troisième partie. Les multiples échanges, adossés aux différentiels produits par les fragmentations étatiques ne se limitent pas aux simples régions frontalières. Ils se développent dans une imbrication d'échelle mettant en relation des espaces locaux, régionaux, eux-mêmes connectés aux réseaux mondiaux. Ils traversent les espaces étatiques continentaux, révélant des dynamiques qui doivent être cernées pour ouvrir les questions sur la réalité d'un enclavement continental.

nigérien, béninois ou encore togolais. Les travaux de Vincent Caupin (1997) entre autres, tendent à démontrer que les échanges avec le Nigeria auraient représenté plus de 40 % du commerce international du Niger. Les réexportations non déclarées des marchandises transitant par le Bénin et destinées au Nigeria avoisineraient les 178 % du total des exportations officielles de l'économie béninoise (EGG J., HERRERA J. 1998). Mais dans le circuit « officiel », le commerce extérieur reste orienté, relié aux grands centres mondiaux. Ce constat s’explique notamment par les dépendances à l’aide internationale, et notamment bilatérale. Elle impose des relations commerciales entre les prêteurs et les receveurs. Une partie importante de la manne financière octroyée sert d’abord à importer un certain nombre de marchandises, venant de l'Etat prêteur. Il s'explique aussi par certaines relations historiques, par certains dispositifs spécifiques qui permettent un lien entre différentes zones, telles les relations entre la France et la zone franc, ou encore le mécanisme de régulation des cours de l’Union Européenne. Le commerce international africain repose toujours sur une forte ouverture extra-africaine. Pour exemple, les différentes estimations réalisées sur la zone franc africaine révèlent un commerce « intra-zone » inférieur à 10 %. Les échanges internationaux de l’UEMOA en 1999 étaient destinés à 38 % pour les exportations et plus de 45 % pour les importations (dont 27.6 % pour la France) vers l’Union Européenne. Il y a là une traduction forte des relations encore prégnantes entre les Etats africains et les anciennes puissances coloniales.

Certes, le schéma n’est plus aussi simpliste que ces relations centre/périphérie longtemps décrites. Le commerce africain est actuellement marqué par l’émergence de clients et fournisseurs nouveaux, notamment des pays asiatiques qui prennent aujourd’hui une part importante dans les rapports commerciaux. Il est marqué aussi par différentes tentatives accélérées d’intégration régionale, de mise en place d’espaces économiques et douaniers communs. La structure générale reste cependant caractérisée par l’absence de relation forte entre économies africaines. Sur la matrice mondiale des exportations, en 1997, les relations intra-africaines ne représentaient que 6 % des échanges africains, contre 50 % pour les relations Afrique / Europe (ONU, bulletin statistique, 1998).

Un double processus éloignement / dépendance caractérise les situations africaines. La conséquence de cette répartition commerciale actuelle se traduit concrètement par la faiblesse des échanges continentaux et par l’importance des échanges maritimes. Un récent rapport statistique du Ministère des transports maliens (1999) estime que 90 % des échanges internationaux (statistiquement comptabilisés) du Mali transitent par la voie maritime. Le port

devient un lieu de passage obligé. Pour les opérateurs du Mali, du Burkina Faso ou du Niger, les lieux de l'ouverture se situent souvent à Dakar, Abidjan, Lomé, Accra ou encore Cotonou. Si la marginalisation définit une distance économique africaine commune, les processus de dépendance transforment les positions continentales (neutres en elles-mêmes et anciennement centrales) en Afrique de l’ouest en situation contraignante. L'impératif d'ouverture est ainsi précisé. Il est bien une distance à franchir.