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Accessibilité et mesure des distances : l’écart entre « réseaux techniques » et

2 Distances continentales et discontinuités : des processus d’enclavement

2.1 Distances : vers la graduation des situations d’enclavement ?

2.1.2 Distances enclavantes : circulation et discontinuités

2.1.2.2 Accessibilité et mesure des distances : l’écart entre « réseaux techniques » et

L’espace de l’enclavement est le produit d’un jeu de distances entravant les projets des acteurs continentaux. Et dans les possibilités offertes par la circulation tiennent les conditions de l’ouverture spatiale, la réduction des écarts entre les lieux à relier. A ce stade de la réflexion, une première piste peut être énoncée. Les différents réseaux construits, les multiples organisations mises en place en Afrique de l’ouest, ont été cernés. Diverses possibilités se présentent, elles restent pourtant limitées. L’acteur est bien obligé d’utiliser tel ou tel passage. Remarque triviale peut-être, il reste que cette limite des ouvertures possibles constitue finalement la première discontinuité propre à tout espace de circulation. L’écart entre ces réseaux existants et un espace transactionnel idéal, où toutes les volontés de mise en relation seraient concrètement réalisables, constitue une contrainte dans les projets spatiaux. C’est là toute la différence énoncée dans différents travaux, notamment ceux de Gabriel Dupuy et Claude Raffestin, entre réseaux techniques et réseaux territoriaux. L’acteur tente de territorialiser son espace en réalisant ses projets spatiaux, et donc en cherchant à concrétiser ses stratégies (RAFFESTIN C. 1980). Ces territoires pensés de la mobilité absolue sont finalement illimités, chargés de toutes les volontés transactionnelles. Ils différent des réseaux existants techniques, qui imposent un écart que les acteurs doivent suivre. Le nombre des relations matérielles possibles est une mesure majeure à prendre en compte.

Là encore, la notion de réseau technique mérite d’être relevée dans toute sa complexité. En tant que construit social, le réseau réel n’est jamais « purement technique, mais relève bien selon Claude Raffestin de contraintes techniques, économiques, et politiques » (DUPUY G. 1987, p179). On revient ici aux conditions d’émergence identifiées précédemment des construits réticulaires. La technicité de la circulation ne peut pas faire oublier l’ensemble des pouvoirs qu’elle réclame. Et l’acteur qui circule est confronté à cet environnement composé des forces d’action, de production, de législation, d’organisation… Il doit composer et articuler ses stratégies avec les possibilités offertes. Le réseau est bien un compromis (RAFFESTIN C. 1980) entre les volontés de mobilité, les moyens techniques maîtrisés et proposés par les pouvoirs, les possibilités révélatrices des volontés territoriales supportées par les forces politiques dans l’espace. Comprendre les distances circulatoires revient finalement à identifier les contraintes qui s’appliquent aux projets des transactions. L’environnement technique, économique, politique, permet-il le franchissement terrestre dans des conditions espérées et projetées par l’acteur continental ouest africain ? Ou est-il facteur de discontinuités ?

Indissociable de cette interrogation sur les possibilités, c’est finalement la question de l’accessibilité qui se pose. Plus qu’une distance, ce sont les modalités de l’accès qui conditionnent les continuités et discontinuités spatiales par rapport à des centralités contemporaines. Ce qui compte dans le système actuel pour les entités spatiales, c’est la place et l’inscription dans les réseaux les plus modernes, les plus denses, les plus rapides, permettant l’ouverture la plus totale. La notion de proximité s’en trouve transformée. L’éloignement et le rapprochement deviennent de plus en plus relatifs, produits en fonction des accès possibles aux faisceaux centraux des réseaux mondiaux. La notion même de distance ne peut se penser que par rapport à cette accessibilité relative nouvelle.

La distance au port se déploie dans des possibilités d’accès à cerner. Dans les transports terrestres, différentes conditions peuvent être relevées et servir de ligne conductrice dans notre lecture des distances. Sans établir de normes de ce que devrait être un transport moderne, il est manifeste qu’un certain nombre d’éléments est recherché par les acteurs voulant accéder aux interfaces littorales. La diversité des possibilités constitue le cadre dans lequel les chargeurs tendent à privilégier les temps d’accès les plus courts, les fréquences de rotation les plus hautes, les coûts les plus bas. La recherche d’une sécurité et des capacités les plus fortes dans le transport des marchandises participe également à la sélection des accès. Ces constituants de l’accessibilité sont un ensemble stable permettant d’expliquer certaines

distances dans l’espace marchand. Ils sont dépendants d’une information globale sur les modalités des mises en relation. Si l’accessibilité est perçue par l’acteur en fonction de différents « filtres » (coût, distance…), elle n’est réellement mesurable que dans l’exacte information sur l’ensemble des chaînes de transport (CHESNAIS M in AUPHAN E & al. 1997). Sans information, l’opération de mobilité devient périlleuse.

Dans cette appréhension des accessibilités, il s’agit alors d’identifier les écarts entre réseaux techniques et réseaux territoriaux. C’est à dire comprendre les contraintes politiques, économiques, et techniques. Seule une continuité relative peut permettre la connexion aux centralités contemporaines, permettant la viabilité d’un espace produit dans un environnement contraignant. Lorsque les discontinuités proposées par les contraintes entravent l’ouverture, bloquent les stratégies d’insertion, l’espace devient enclavant (figure 2.9). Il est alors le théâtre d’un allongement des écarts entre les lieux à relier, entre les pôles continentaux et les interfaces littorales dans l’espace étudié. Cette démarche de recherche des distances enclavantes ainsi fixée peut maintenant s’appliquer sur l’espace de circulation des continentalités étatiques.

Cette combinaison des distances à déchiffrer pose pourtant un problème de mesure. Les capacités financières limitées des Etats pour des recensements et des rapports sectoriels coûteux, les non-neutralités des indicateurs établis, évoquées précédemment, posent le délicat problème de l’utilisation de ces mesures. Si l’on ajoute un secteur des transports opaque, théâtre de stratégies cachées, un réel problème statistique s’instaure dans la mise en place progressive d’une base de données qui nécessite parfois l'utilisation de pratiques peu scientifiques. La position du chercheur est parfois difficile à justifier lorsque l'unique moyen de récolter certaines informations sous-tend une dérive orientant les questions posées à différents interlocuteurs mis en opposition : les informations nécessaires à la compréhension de telle stratégie spatiale de l'entreprise B sont souvent initialement recueillies chez l'entreprise M… et réciproquement.

Mais c’est aussi la complexité d’une notion de distance n’obéissant guère à un modèle simple qui pose le problème d’une sélection des composantes à prendre en compte. Même dans une

logique strictement économique, les acteurs déploient des stratégies variables, où une forme de subjectivité est parfois présente. Des effets de connaissance (un réseau social dans une place portuaire par exemple), d’habitude (difficulté de changer un passage utilisé depuis longtemps), des barrières culturelles, linguistiques (et notamment l’opposition, très relative il est vrai, mais parfois présente entre pays anglophones et francophones), un manque d’information sur les possibilités diverses d’accessibilité, tendent à brouiller le comportement purement économique. L'exemple de l'utilisation du corridor ghanéen par les opérateurs continentaux nigériens, qui sera abordé ultérieurement, est à cet égard édifiant. Les chargeurs rencontrés révélaient la difficulté initiale de réorienter une partie de leurs trafics suite aux dysfonctionnements croissant présents sur les axes togolais et béninois. La difficulté de maîtriser un encadrement politique et économique nouveau constitue alors un biais dans la mesure « rationnelle » des distances. Le coût, le temps, la sécurité du transport, demeurent pourtant dominants dans les choix opérés. Lorsque les distances économiques deviennent trop fortes, les réorientations s'opèrent. Le corridor ghanéen maintenant connu (et donc pour une part maîtrisé) est amplement pratiqué. De plus, le changement constant des situations en Afrique de l’ouest complexifie encore un peu plus la mesure. Sur le même trajet, à moins d’une semaine d’écart, les conditions de la circulation peuvent profondément évoluer. Sans empiéter sur l’analyse à venir, il est important de noter qu’à bien des égards, la circulation est pour les acteurs continentaux un pari, jamais vraiment gagné d’avance.

C’est donc avec toutes ces réserves qu’il faut considérer les statistiques utilisées. Malgré les inévitables imprécisions et approximations, il nous semble possible d’appréhender une distance complexe. Les travaux d’enquêtes menés et les séjours passés sur les places portuaires de Lomé, de Cotonou, de Dakar, dans différentes villes des Etats continentaux et sur les axes routiers et ferroviaires, ont permis d’identifier un ensemble d’entraves, ensemble renforcé par les statistiques et les travaux scientifiques existants. Plus que dans l’impossible mesure parfaitement précise, il s’agit de saisir un processus global de distances devenant enclavantes par l’impact des discontinuités. Les éléments statistiques présentés dans ce travail, malgré la fiabilité toute relative qu’ils expriment, participent à ce travail.

2.2 Les Etats continentaux ouest africains enclavés ou l’analyse des