• Aucun résultat trouvé

L E IVe MARCHE-EXPOSITION DES ARTISANS GRUÉRIENS

<( Les étrangers s'imaginent volontiers, écrivions-nous dans la Tribune de Lausanne du 11 août 1935, que la Gruyè-re est une région quelconque de la Suisse où l'on fabrique en série dans quelques usines des fromages de grande taille avec des trous énormes ! Nos compatriotes sont en général déjà mieux renseignés. Ils savent que c'est au chalet qu'on prépare délicatement le fromage et ils n'auront garde de confondre un authentique « Gruyère » avec son cousin r« Emmenthal » ! Mais savent-ils qu'en plus de son fro-mage justement célèbre, la Gruyère a de nombreuses in-dustries: bois, ébénisterie, fabrique de meubles, chocolats, laits concentrés et en poudre, dentelles, tissage des toiles, etc., eto. Je ne le croispas.Etc'estce qu'ont pensé, avec juste raison, les artisans gruériens qui exposent à Bulle du 10 au 25 août, à leur quatrième marché-exposition. »

Une autre raison fondamentale, à la base de l'exposition buUoise, c'est la menace de la disparition de l'artisanat.

Au siècle dernier, il était d'usage de conseiller à la jeunesse l'apprentissage d'un métier. Les jeunes gens qui n'étaient pas occupés à l'agriculture se faisaient menuisiers, char-rons, charpentiers, etc. ou se dirigeaient vers quelques métiers qu'on se transmettait de père en fils. L'abondance du bois dans notre région explique que la majorité d'entre eux s'orientait tout naturellement vers une branche d'acti-vité qui s'y rapporte. Les jeunes filles se tournaient volon-tiers vers la couture. On trouvait dans nos villages d'habiles tailleuses et les futures mariées tissaient et préparaient leur trousseau elles-mêmes et remplissaient avec amour la belle armoire ouvragée, orgueil du jeune ménage.

Hélas, l'industrie moderne a tendance à détruire ces saines traditions artisanales. L'article de bazar a pris la place de l'objet confectionné à domicile, la paccotille étrangère, — qu'elle vienne du Japon ou d'ailleurs —-, a supplanté la production de chez nous. Les métiers se

per— e s

-cient, l'usine et la ville ont plus d'attrait que l'atelier paternel, la semaine de quarante-huit heures et les syndi-cats plaisent davantage que la responsabilité patronale ! C'est l'intuition qu'avait déjà Eugène Ritter, ancien phar-macien à Bulle, lorsqu'il créa la Fondation qui porte son nom et qui a pour but d'encourager l'apprentissage. C'est

•ce qu'a très bien compris l'association des artisans gruériens lorsqu'elle inaugura en septembre 1906 sa première expo-sition. Modeste à son début cette manifestation rencontra néanmoins un franc succès. Elle eut lieu dans la Halle de gymnastique de Bulle.

L'expérience fut renouvelée, à une période de la guerre où l'on avait senti la nécessité d'un effort considérable, en 1917. Ce fut la salle de l'Hôtel de Ville qui abrita cette fois le travail des exposants. Souvenir qui est toujours resté vivant dans ma mémoire: on y trouvait une recons-titution exacte d'une mine de charbon, qui n'était autre que celle de Semsales, dont l'utilité fut appréciable pen-dant la guerre. Les galeries luisantes, les wagonnets char-gés de houille et les mineurs avec leurs lampes avaient frappé vivement l'imagination de notre adolescence.

En 1922, une troisième exposition installée à nouveau dans la halle de gymnastique et ses abords groupait 110 exposants et s'intitulait: «Semaine gruérienne». Son suc-cès fût très grand, puisque près de douze mille visiteurs la parcoururent.

« L'accalmie inquiétante, dit le catalogue de cette année, dont souffrent présentement le commerce et l'industrie, la situation précaire de nombreux artisans qui voient devant eux des perspectives peu encourageantes ont dicté aux organes de l'Union gruérienne des Arts et Métiers la courageuse initiative de tenter encore, en 1935, l'organi-sation d'un IV** Marché-Exposition. Son unique but est de venir en aide aux artisans par une réclame intelligente et efficace en leur donnant l'occasion d'étaler, de présenter leurs produits et de prendre contact avec les acheteurs et consommateurs éventuels ».

Et certes, les organisateurs eurent raison. Les immenses locaux du Marché-Exposition situés à la rue de Vevey,

— qui chaque année voient défiler les. plus beaux

spéci-— 64 spéci-—

mens de l'élevage fribourgeois, — furent courageusement choisis. Les défaitistes, — ils furent peu nombreux, il est-vrai de le dire, mais il y en eut cependant... comme par-tout ! — redoutaient l'immensité des lieux où quelques échoppes se seraient trouvées perdues! Il n'en fut rien, bien au contraire. Plus de 1300 mètres carrés furent indis-pensables pour permettre aux 156 exposants de présenter leur travail. Et encore fallutil s'ingénier pour placer les

-fhoto S. Glasson, Bulle.

Bénédiction et ouverture de l'exposition.

retardataires et les timorés qui attendaient l'enthou-siasme de la dernière heure pour se décider.

Malgré un service de presse organisé trop tardivement et qui ne prévoyait pas un tel essor, il faut l'avouer très franchement, la réussite de cette entreprise courageuse fut telle, qu'elle sortit des cadres de notre région et attira des visiteurs de toute la Suisse. Vingt trois mille cinquante-sept personnes, chiffre officiel et contrôlé, admirèrent la production des artisans de la Gruyère. Le total des recettes s'éleva à plus de 31 000 fr. et le bénéfice net à 10 400 fr.

Et maintenant, après ce rapide « historique » passons à l'exposition proprement dite.

65

Elle débuta par une cérémonie religieuse fort touchante.

Après que M. Bochud, président du comité d'organisation, eut été reçu par M. Masset au nom des exposants, et eut tranché en un geste symbolique le ruban bleu qui fermait la grande entrée, il pria M. l'abbé Perrin, révérend curé de Bulle, de bénir l'exposition. Ce qui fut fait au milieu du recueillement général.

La première journée était celle de la presse. Dire que

La journée officielle. Au centre, M. 01)recht, conseiller fédéral et M. Victor Buclis, président du Conseil d'Etat.

les représentants de cette « puissance » furent très nom-breux serait exagéré. Ils furent peu, mais ne cachèrent pas leur satisfaction et les articles élogieux qu'ils firent parve-nir à leur rédaction et que le public eut le lendemain sous les yeux, donnèrent tort une fois de plus aux absents 1 Un certain nombre d'entre ces derniers, journalistes de ta-lent, mais un peu méfiants de nature, ne me confièrent-ils pas qu'ils vinrent par la suite... comme spectateurs et qu'ils furent enchantés !

Le dimanche 18 août, eut lieu la journée officielle.

Toutes les autorités civiles et rehgieuses du district se trouvaient là. Le Conseil d'Etat avait délégué son président,

66

M. Victor Buchs, et le Conseil fédéral lui-même avait bien voulu se faire représenter par M. Obrecht, conseiller

fédé-P h o t o S. Glasson, Bulle.

Un coin du chalet.

rai. On remarquait également la présence de M. Jean-Marie Musy, ancien conseiller fédéral, très entouré et très fêté, comme il l'est toujours lorsqu'il revient dans son pays d'origine.

— . 67 —

Il serait trop long d'énumérer toutes les choses ravis-santes qui cohiposaient cette exposition. Disons simple-ment que dans les grandes halles décorées habilesimple-ment de fleurs et de branches de sapin les meubles polis et les chaises sculptées voisinaient avec la ferronnerie la plus fine. Dans un angle un planeur, actuellement propriété de la section de l'aéroclub de Sion, se balançait mollement dans les airs et tentait les jeunes héros que l'aviation subjugue. Au

.•.*•

£.-.

Photo S. Glasson, Bulle.

Deux taureaux très admirés.

point de vue professionnel il était la preuve de l'adaptation de nos artisans aux exigences modernes. Ses qualités de construction et ses aptitudes au vol furent très appréciées par l'office national suisse aérien et ce planeur est le premier d'une série de quatre, qui à l'heure actuelle sont déjà livrés à des sections de vol à voile.

La société d'apiculture de la Gruyère exposait elle aussi ses produits et elle avait eu l'excellente idée de placer sous les yeux du public ce que Mseteriinck appelle dans

«La vie des abeilles » une ruche d'observation. Il s'agit d'une ruche en verre rehée à l'extérieur par un couloir transparent également, et qui permet de suivre le travail

68

minutieux des abeilles. Ce spectacle était nouveau pour beaucoup, et c'était plaisir de voir ces braves insectes s'affairer sans souci des nombreux spectateurs !

Les puissantes machines à travailler le bois, les poteries, les dentelles, les toiles tissées, les sculptures, etc. retenaient l'attention des visiteurs, mais le plus grand mérite de ces stands, consistait, à notre avis, dans le fait que les arti-sans travaillaient eux-mêmes à la confection de leur

ou-P h o t o S. Glasson, Bulle.

Les tisserandes.

vrage. Le sculpteur, par exemple, d'un morceau de bois informe, obtenait une ravissante cuiller à crème, la tisse-rande faisait glisser la navette et la toile rèche et solide s'allongeait chaque jour. Le tavillonneur, ce modeste cou-vreur de chalet, travaillait là comme s'il eût été en face des Gastlosen, la dentehère en costume du pays maniait ses fuseaux. Et ainsi l'on pouvait se rendre compte de l'ha-bileté professionnelle et de la difficulté du travail, dont on ignorait tout jusqu'à ce moment-là, et qui vous rem-plissait d'admiration pour leur auteur. On pensait tout naturellement aux chefs-d'œuvre du moyen âge et l'on se prenait à regretter de n'avoir pas mieux compris jusqu'à

69

ce jour la grandeur et la calme beauté du travail manuel soigné et original.

Dans une halle séparée, un choix superbe de bétail d'élevage, — et Dieu sait s'il y en a en Gruyère, — faisait se pâmer d'envie maints propriétaires de troupeau. Un concours de production laitière mit à l'honneur certaine vache championne de son espèce, qui donnait avec la meilleure grâce du monde, des quantités de lait impres-sionnantes.

Enfin, la partie gastronomique n'avait pas été négligée.

Toutes les spécialités de la Gruyère étaient là, depuis le jambon fumé dans la « Jaorne >> jusqu'à la fondue savoureuse et le fromage au goût de noisette, en passant par les pro-duits renommés des confiseurs bullois. Une série de huit concerts eut heu le soir, soit en plein air, soit dans la cantine que desservait la Société des hôteliers et cafetiers de la Gruyère. Formons le vœu qu'à la prochaine exposition on monte une petite scène et que musiciens et auteurs de chez nous créent quelque chose de nouveau. Ce serait là l'occasion unique, croyons-nous, de donner aux visiteurs une représentation des coutumes gruériennes avec ce qu'elles ont d'intéressant au point de vue des costumes et du pittoresque, et cet effort pourrait avoir quelques succès, à condition bien entendu de s'écarter de la formule du festival dont on a beaucoup usé ces dernières années.

C'est sur ce vœu que nous terminerons cette chronique du IV^ marché-exposition des artisans gruériens, en leur souhaitant de ne pas attendre plus de cinq ans, cette fois, pour leur prochaine manifestation, et en les félicitant pour l'œuvre patriotique qu'ils ont accomplie.

LOUIS BLANC

Ancien pensionnat des J é s u i t e s d o n t la p a r t i e centrale abrite l'école primaire et l'école secondaire prolessionnelle.

L E JUBILE DE L'ECOLE SECONDAIRE

Documents relatifs