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RECEPTACLE PRIVILEGIE DE L ’ EPARGNE SALARIALE ET DES MENAGES

B. L A CREATION DE VALEUR ACTIONNARIALE , NOUVEAU CREDO GESTIONNAIRE ?

Le thème de la création de valeur pour l’actionnaire est une mode managériale récente en France. C’est seulement dans la deuxième moitié des années 90 que la valeur actionnariale s’est imposée comme un indicateur central de la communication, voire de la stratégie des grandes entreprises : elle est censée dicter désormais leur comportement et est devenue la norme par excellence de « bonne gouvernance », figurant explicitement pour certains groupes parmi leurs priorités (F et G notamment). Si ce thème apparaît comme un vecteur efficace de communication à l’endroit des marchés, sa déclinaison en termes opérationnels aussi bien qu’en terme de mesure de la performance est encore largement dans les limbes au sein des grands groupes français. En revanche, l’idéologie qu’il véhicule en terme d’usage très parcimonieux des fonds propres trouve sa traduction concrète dans la multiplication des programmes de rachats d’action, entrepris systématiquement par les entreprises du CAC 40 depuis deux ans. Toutefois, ces programmes, tels qu’ils sont mis en œuvre par les groupes en France, servent moins à la restitution de « cash » aux actionnaires (par annulation des actions en vue d’optimiser le résultat par action) qu’au développement de l’actionnariat salarié et à l’attribution de stock options.

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En France, les titres détenus par les actionnaires désireux de participer à l’AG sont bloqués cinq jours avant la date de cette AG. Les investisseurs institutionnels qui veulent rester liquides préfèrent ne pas participer à l’AG pour ne pas bloquer leurs titres, même sur une courte durée.

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1. Un outil de communication à destination des marchés plus qu’une réalité gestionnaire

Depuis quelques années, il est de bon ton pour les principaux groupes français de communiquer sur le thème de la création de valeur mais son internalisation par des outils de mesure appropriés, à des fins d’évaluation ou comme instrument de pilotage stratégique en interne, n’est pas chose courante. Autrement dit, le management par la valeur est loin d’être une réalité. Un seul groupe de notre échantillon avait mis effectivement en place, depuis 1994, un outil de mesure de l’EVA, dans le but de sensibiliser les cadres à la rentabilité du capital au niveau des branches (D) avec une communication interne à l’appui. Dans ce même groupe, ce critère entre également pour 50 % dans la rémunération de certains cadres supérieurs. Néanmoins, les dirigeants sont confrontés à la quasi nécessité de tenir en externe un discours mettant en évidence la création de valeur, appuyée sur des mesures plus ou moins précises qui varient d’ailleurs d’un groupe à l’autre. La diffusion en interne de cette démarche paraît plus incantatoire que réelle.

Ce constat corrobore notamment les résultats qui ressortent d’une enquête comparative auprès d’un échantillon d’entreprises françaises et américaines. Si la mise en œuvre de nouveaux outils de mesure de la performance tels que l’EVA et leur intégration dans la détermination des rémunérations des cadres dirigeants, à différents niveaux de l’organisation, est relativement avancée aux Etats-Unis (quoique pas très courante non plus), il n’en est pas de même pour les grands groupes français ou même européens [Mottis & Ponssard, 2000]. L’apparition du thème de la création de valeur est ainsi souvent liée au renouvellement d’une équipe dirigeante, soucieuse d’asseoir son autorité tant en interne que vis-à-vis des marchés. Trois entreprises de notre échantillon répondent tout à fait à ce cas (A, G, I).

Une étude récente de la COB confirme ce diagnostic 30. Elle indique que sur les quarante premières

valeurs boursières en France (le CAC 40), la moitié seulement (vingt et une) communiquent sur le thème de la création de valeur, sans en préciser exactement le contenu. Le rapport annuel est l’instrument essentiel de cette communication, et le message du Président l’occasion de cette communication. Ce qui signifie que ce thème est abordé de façon très générale. Seules quatre entreprises auraient, toujours selon la COB, créé une rubrique spéciale sur ce thème : il s’agit des groupes Lagardère, Suez-Lyonnaise des Eaux, Vivendi et Air Liquide. Les critères associés à la mesure de cette création de valeur sont très variables selon les groupes mais restent le plus souvent des indicateurs comptables traditionnels : il peut s’agir d’indicateurs de rendement du titre (résultat par action/performance boursière), de rentabilité des fonds propres (ROE) ou de celle des capitaux

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Cf. F. Champarnaud et C. Romey : « Création de valeur actionnariale et communication financière », COB, 10/05/2000, cf. site Internet de la COB.

investis/capitaux employés (ROCE ou Return On Capital Employed), ou encore de la croissance des dividendes distribués. Très peu d’entreprises utilisent des mesures dites “ internes ” de la valeur de type EVA/MVA ou CFROI.

Ce nouveau modèle de création de valeur, diffusé par les cabinets de conseil (voir chapitre III), relève d’une approche patrimoniale de l’entreprise, héritée tout droit des Etats-Unis. Cette conception de l’entreprise consacre la prééminence des actionnaires. C’est pourquoi elle est mise en avant par les investisseurs institutionnels. Elle vient ce faisant heurter le droit français des sociétés (loi de 1966)

qui place « l’intérêt social » de l’entreprise au-dessus de l’intérêt des actionnaires 31. En même temps,

elle accorde aux managers français une marge de manoeuvre très grande dans leur gestion par rapport aux actionnaires, du fait de l’ambiguïté dans le partage des pouvoirs qu’une telle notion implique. Cependant, force est de constater que la culture actionnariale a conquis progressivement « droit de cité » au sein des grandes entreprises dans les années 90, avec l’aide des autorités de marché.

2. Le rachat d’actions comme acte d’allégeance aux actionnaires ?

Cette prééminence des actionnaires se traduit par des exigences de rémunération qui prennent deux formes : la distribution de dividendes, et surtout le remboursement des actionnaires sous forme de rachat d’actions. Le choix de réaliser un rachat d’actions plutôt que de distribuer des dividendes est essentiellement motivé par la fiscalité, l’imposition des plus-values étant moins importante que celle des dividendes (en France comme aux Etats-Unis).

Cette faculté qu’ont désormais les sociétés françaises de racheter 10 % maximum de leur capital sur une période de 18 mois a été obtenue en 1998, par révision de la loi de 1966 qui les autorisait à le faire seulement de façon exceptionnelle jusque-là. Cet acte législatif rapproche la législation française du corpus juridique anglo-américain. De fait, les rachats d’actions sont devenus une composante majeure du paysage financier français à la fin des années 90. Toutes les sociétés de notre échantillon ont en effet procédé à ce genre d’opérations depuis la promulgation de la loi en juillet 1998 et de manière générale, les sociétés du CAC 40 ont pleinement utilisé cette possibilité qui leur était offerte :

elles ont réalisé 80 % du total des rachats d’actions entre septembre 1998 et juin 1999 32. Mais selon

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En France, le droit des sociétés privilégie l’entreprise comme institution plutôt que comme un nœud de contrats. Dans cette acception, l’entreprise admet donc « une existence autonome, une finalité propre, indépendante de celle de ses actionnaires », cf. Robé [1999]. Cette conception du droit des sociétés, entérinée par la loi de 1966 et réaffirmée par la jurisprudence [Alcouffe, 1999], confère aux dirigeants des entreprises en France un pouvoir qui transcende celui des actionnaires, puisqu’ils sont en quelque sorte promus comme garants de cet intérêt collectif, supérieur à la somme des intérêts individuels.

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Cf. Poincelot et Schatt [1999]. Voir aussi « La grande illusion des rachats d’actions » par Y. de Kerdrel, les Echos du 7 mars 2000. L’auteur signale le bilan effectué par la COB qui indique qu’une année après

Poincelot et Schatt [1999], les motivations prioritaires des sociétés ayant procédé au rachat d’actions ne sont pas la restitution de trésorerie aux actionnaires et la recherche d’un effet de relution (i.e. la réduction du nombre d’actions pour augmenter mécaniquement le bénéfice par action). Il semblerait, d’après les résultats de notre enquête, que ces programmes soient d’abord destinés à favoriser l’actionnariat salarié, sous la forme de distribution directe d’actions, de plans d’épargne salariale ou encore à récompenser les cadres dirigeants ou particulièrement méritants sous la forme d’attribution de stock options. Depuis 1997, les groupes ont en outre tendance à privilégier les options d’achat plutôt que les souscriptions d’actions nouvelles pour financer les attributions de stock options et abonder les plans d’épargne salariale (B et D) 33.

Le rachat d’actions est fortement plébiscité par les investisseurs institutionnels : l’annonce de ce type d’opération est en général suivie d’une amélioration du cours de bourse, en guise d’appréciation des

marchés financiers 34. C’est un signal positif à la communauté financière qui indique une sensibilité

des dirigeants de la société à l’égard de la shareholder value. Car l’opération permet, dans certaines conditions, d’augmenter la rentabilité financière (ROE) en direction des actionnaires. La pression pour un usage plus parcimonieux des fonds propres s’incarne d’ailleurs dans la généralisation de l’objectif de retour sur fonds propres. C’est à l’aune de cette norme que les projets d’investissement sont passés au crible. Il faut en particulier que le rendement escompté des investissements soit supérieur au coût des ressources employées (fonds propres et dettes) pour qu’une entreprise se décide à investir. Le critère d’évaluation de l’opportunité de l’investissement est donc fixé ex ante. Et plus le ROE est élevé, plus les opportunités d’investissement et de croissance deviennent rares, plus les

rachats d’actions deviennent indispensables à tout projet de développement 35.

l’entrée en vigueur de cette réglementation, 87 % des sociétés du CAC 40 avaient demandé l’autorisation à la COB de procéder à un rachat d’une partie de leur capital.

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Dans le cas de plans d’options d’achat, l’entreprise possède les actions concernées par le plan, suite à un rachat d’actions par exemple, et le nombre d’actions en circulation reste constant. Dans le cas de plans d’options de souscription à des actions en revanche, le capital de l’entreprise augmente à la levée des options et l’opération a un caractère dilutif peu apprécié des investisseurs.

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L’impact sur le cours de bourse est de 3 % le jour de l’annonce et de 8 % six mois après selon Pajot [1999]. 35

Cf. P. Artus : « Contrairement à une idée reçue, les entreprises à ROE plus faible sont les seules à pouvoir croître », Flash CDC n°197, 21 décembre 1999

C. LES EXIGENCES DE TRANSPARENCE : UN DIALOGUE CROISSANT ET TRES CODIFIE