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II. La culture locale sous sa forme endogène

II.1. Une culture de l’Ici

II.1.1. L’Ici au cœur de la vie locale

L’étude des profils spatiaux des individus interviewés dans le cadre de mon « Enquête sur la vie quotidienne » et celle de leurs pratiques spatiales font clairement apparaître la capacité de la collectivité (familiale ou plus large) de faire revenir les jeunes dans leur famille, pour les vacances par exemple. Une grande partie de la vie associative et sportive est entretenue par ce mouvement des jeunes

(ou moins jeunes) qui reviennent le temps d’un week-end ou pour les vacances.

Effectivement, qu’il soit étudiant à Tarbes, comme Nicolas (F n°2), ou travaille à

Bordeaux comme Jean-Marc (A n°11), certains individus reviennent dès qu’ils le

peuvent « au pays ». Le premier, âgé de 20 ans, en troisième année de STAPS à l’université de Tarbes, « rentre tous les week-ends, basket oblige ». Quant au second, âgé de 47 ans, il travaille la semaine à Bordeaux et revient le week-end dans les Landes où il est responsable d’une association. Comme il l’explique : « je

travaille à Bordeaux et mon village c’est Beylongue (…) c’est le point d’ancrage de ma vie » (A n°11). Ces individus reviennent dans le giron de la famille mais, en

même temps, ils pratiquent des activités sportives et culturelles dans leur commune ou canton d’origine, participant ainsi à la vie locale. Etudiant en STAPS à Tarbes (à 100 km de sa commune de résidence), âgé de 19 ans, Mathieu rentre lui aussi tous

les week-ends, les vacances et même plus régulièrement, comme l’explique son

père : « Mathieu joue au basket à Amou. Il revient exprès de Tarbes pour s’entraîner

le mardi et le jeudi, puis il joue le samedi soir. Il est également entraîneur des minimes le vendredi soir » (F n°1).

II.1.1.1. La « force aimant » de l’Ici soci-spatial

Ce jeu interactif entre lieu des études ou de travail et lieu de la famille, témoigne de

cette « force aimant » que possède l’Ici socio-spatial. Ce mouvement centripète

favoriserait la régénération d’une culture localisée sous l’effet des déplacements

convergents des individus, souvent jeunes, covalorisant ces lieux par leurs retours et

leur présence. De la sorte, je considère que l’Ici se fonde sur le lieu de résidence, la

maison avant de s’élargir à la commune, voire au-delà, au gré des pratiques

socio-spatiales de chaque individu. En effet, « on constate la configuration d’espaces

temps d’un individu mobile et connecté qui passe par, part, évite, tourne autour de centralités, connaît également des centrations d’un autre ordre » (LUSSAULT M.,

2013). La maison ou résidence peut être considérée comme un centre, qui possède une fonction différente des autres espaces fréquentés et qui « forme souvent le

point-origine et repère de la spatialité ». Des formes de culture localisée trouvent

alors un terreau dans cet intérêt renouvelé dont témoignent des individus

« mobiles ». Ce pôle attracteur que constitue l’Ici ne s’efface pas forcément avec le

temps, comme en témoignent les départs « forcés » pour des raisons professionnelles, souvent évoqués pour expliquer les détachements familiaux ou l’éloignement de certains amis. En effet, certains individus doivent partir, puis ils

reviennent « ici » dès qu’ils le peuvent, à l’instar de Bernard âgé de 64 ans : « J’ai

fait 35 années à l’extérieur des Landes et j’avais toujours eu l’idée de revenir dans Les Landes, à Mugron. Mes collègues avaient coupé leurs racines. Moi, mes racines je les cultivais, je revenais fréquemment dans les Landes. Je suis régulièrement revenu, c’est un point d’attache fort. » (A n°29).

II.1.1.2. Attachement aux lieux et aménité locale

Au-delà des sentiments d’appartenance qu’éprouvent des individus autochtones pour

leur Ici, à l’instar de Georges qui me confie « toute ma vie est ici » (A n°30), je

constate aussi l’existence d’un attachement à ces lieux éprouvés par de nouveaux

arrivants. Président de l’association « Laurède Services », âgé de 47 ans, Jean-Yves est originaire des Ardennes , il habite cette commune depuis 8 ans, après avoir vécu dans le Pas-de-Calais, en Normandie, à Paris puis à Dax, Narrosse et Mugron. Par ailleurs, vice-président du club de football et membre du Comité des fêtes (avec ses

deux fils) de cette même commune, il me confie : « Je ne me suis jamais senti aussi

enraciné qu’ici », ajoutant : « ce sentiment a été progressif » (A n°34). Mobilisé

comme ressource, le lieu participe ainsi à la construction d’une certaine « aménité

locale » associant conjointement l’agrément de ce lieu, les équipements et les

groupes sociaux affinitaires qui s’y rencontrent. Née à Thionville où elle a habité jusqu’à l’âge de 27 ans, Marie a ensuite vécu à Veunix Maller, Charvieux Chavanieux (Isère), en Chine pendant 5 ans, à Fournes (Pont du Gard) pendant 6 mois, à Chazelle sur Lyon (42) durant 6 mois, de nouveau en Chine (6 mois), à Chazelle sur Lyon (6 mois), à Arajas dans le Rhône 2 ans (1° maison), Chame dans les Vosges (2 ans) et enfin Laurède. Cette mère de famille de 41 ans a choisi de s’installer avec son mari et ses trois enfants dans cette commune, il y a 3 ans, au départ pour des raisons professionnelles. Bien intégrée dans le village, cette famille apprécie son mode de vie, de sorte que Marie me dit : « On est très bien ici, si par

malheur on devait repartir, j’aurais du mal. » (F n°15). En termes de représentation,

les aménités offertes par mon terrain d’étude sont de différentes natures : elles sont

liées au contexte rural, aux pratiques, au climat, au bien-vivre, au bien manger… Belinda, mère de famille originaire des Pays-Bas, me confie à ce propos : « On va

souvent à la mer. C’est une des raisons pour lesquelles on est venu ici. La vie ici, c’est la liberté, l’indépendance, la nature ! » (F n°5). De même, Jean-Jacques,

retraité landais de 62 ans, « très attaché aux valeurs landaises des chasses

traditionnelles », explique que la chasse constitue un loisir qui permet de se

promener dans la nature : « la vraie nature » précise-t-il. Dès lors, il n’éprouve pas le

besoin de partir en vacances : « les vacances sont quasi permanentes du fait de

notre qualité de vie hors du commun. » (F n°34).

II.1.1.3. Un cadre et un mode de vie agréables

Ces aménités trouvent également un écho dans les activités « culturelles », associatives, sportives, musicales… De fait, chaque individu a son propre vécu du lieu qu’il se représente à sa manière. Pour autant, notons que certaines aménités

reviennent régulièrement dans les entretiens que j’ai réalisés auprès d’individus qui

habitent ces lieux : bien vivre, proximité de la mer et de la montagne, douceur du climat, bien manger, convivialité… Ces aménités constituent autant de raisons de s’installer dans ce « joli coin de France », ou de revenir au pays comme l’explique ce

président d’une association natif des Vosges : « Avant, ici, c’était un lieu de

vacances et puis on s’y est installé. Ça nous a plu, on y est resté. » (A n°74). En

effet, ces aménités constituent pour les néo-locaux, ou pour les locaux, autant de prétextes pour vivre ici : « Nous sommes à une heure de la mer, à une heure de la

montagne, nous sommes comblés » (A n°28) explique Jean-Jacques, président

d’une association de quilles de 9.

La culture locale n’est pas seulement installée dans l’oralité, elle fonctionne aussi sur

des idéologies, des pratiques, un sentiment d’entre soi, celui aussi de cultiver des valeurs amicales, familiales … Les paroles de Guy Accoceberry évoquant son expérience personnelle confortent ce constat. Cet ancien rugbyman a fait ses débuts dans un club de rugby landais, à Saint-Vincent-de-Tyrosse, en équipe première, dès l'âge de 18 ans. Il a rejoint ensuite le Club athlétique plus prestigieux de Bordeaux-Bègles Gironde. « Etudiant à Bordeaux en 1°année Pharma, je jouais au rugby à

Tyrosse. J’étais titulaire en Première à Tyrosse à l’occasion de ma seconde année universitaire à Bordeaux. Je redoublais alors ma 1° année Pharma, je m’entraînais le jeudi avec la Fac, le vendredi avec Tyrosse, puis j’avais match le dimanche. (…) Pendant cinq ans, je faisais ces aller-retour. Ce qui nous tenait, c’était l’amitié. Tous les étés, on se croisait dans les fêtes entre équipes locales, on se chambrait … A Tyrosse, ça se passait comme ça, c’était de l’échange, c’était une grande famille : on donnait et un jour il y avait un retour. Je suis parti à Bègles, avec l’accord de tous, l’année où le club de Tyrosse est descendu. J’ai eu alors plusieurs propositions : Lyon (50 000 Francs / mois), Clermont (25 000 Francs / mois), Cognac, Béziers et … Bègles (12 500 Francs / mois). C’est plus le cœur qui a parlé … Je n’étais pas loin, je rentrais de temps en temps à Tyrosse … »22 Faisant écho à l’expérience de ce rugbyman, l’histoire de Frédéric, boxeur professionnel depuis 5 ans, âgé de 31 ans

et habitant depuis toujours à Mimbaste23, illustre cette force exercée par

l’environnement local, quel qu’il soit (familial, amical, paysager …). Il explique d’ailleurs à ce propos : « J’ai eu la possibilité de partir sur Paris mais je n’en avais

rien à faire. Ma vie, elle est ici près des miens… Je me suis dit « si tu dois faire ta carrière, ça sera ici. Même si ça doit être une petite carrière, ça sera ici ». » (F n°18)

22

A l’occasion de la Coupe du Monde de rugby de 2007, Guy Accoceberry a participé avec Sébastien Darbon, anthropologue des pratiques sportives et chercheur au CNRS, à une conférence organisée au Musée d’Aquitaine de Bordeaux dans le cadre des jeudis du rugby, le jeudi 6 décembre 2007 : « Du terroir à la grande ville ».

23

« Je suis célibataire. J’ai toujours vécu chez mes parents. J’habite depuis 3 ans cet appartement que me prêtent mes parents. » (F n°18)

Ainsi, je constate combien l’Ici se fonde à la fois sur l’ancrage domiciliaire et la variabilité des centrages en fonction de l’espace de vie de chaque famille et des individus. Ajoutons que l’Ici s’associe à des espaces que désignent des noms officiels de lieux. Expérimentée de façon différente selon les individus, construite au gré des pratiques sociales en des temps et des lieux de rassemblement, la culture locale, au travers de ses manifestations familiales, amicales ou associative, devient

un choix de communication, un choix relationnel et un choix de vie qui s’ancre de la

II.1.2. Une culture populaire ancrée dans