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CHAPITRE II : LES BLOCAGES DU RECYCLAGE MORPHOLOGIQUE DES TISSUS URBAINS

1. INTRODUCTION À LA PROBLÉMATIQUE DU RECYCLAGE MORPHOLOGIQUE

2.4 L ES BLOCAGES LIÉS AUX SURCOÛTS DE CONSTRUCTION EN MILIEU BÂTI

opérations de réhabilitation et de destruction - reconstruction

A notre connaissance, il n’existe pas d’études techniques des coûts de construction qui détaillent les surcharges liées à une intervention en tissu bâti. Sur ce sujet, pensons aux coûts de destruction et de dépollution, mais également aux frais de déviation du trafic, aux difficultés de manutention des appareils de chantiers, aux charges liées à l’évacuation des déchets, aux obligations liées à la restauration du patrimoine ou encore au contrôle de l’instabilité des bâtiments mitoyens. Combler cette lacune sur les coûts techniques correspond précisément à un des objectifs que nous nous sommes assignés dans le cadre de cette étude sur le recyclage morphologique (point 2.1.4. du cahier des charges).

Nous ne connaissons pas non plus d’étude comparative qui, sur un nombre représentatif d’opérations, ait confronté les deux options de la réhabilitation et de la destruction - reconstruction. Selon les techniciens de la Confédération de la Construction, il devient opportun de procéder à la destruction lorsque les coûts de réhabilitation sont estimés à 70 % des coûts de la reconstruction neuve. Cela se justifierait notamment en raison du différentiel de performance énergétique entre la construction neuve et l’adaptation du bâti ancien. C’est d’ailleurs sur cette base que la Confédération préconise, pour l’ensemble de la Belgique, de procéder à la destruction - reconstruction de 220 000 logements, soit 6 à 7 % du parc (J.-F. LETOR, 2001, p. 16). Si ces chiffres présentent l’intérêt de dresser un premier ordre de grandeur quant aux besoins en destruction - reconstruction, leur provenance nécessite toutefois de les utiliser avec circonspection. En effet, les associations professionnelles liées à la construction affirment elle-mêmes que, par rapport à la réhabilitation, les profits des entreprises – de leurs membres – sont plus importants sur la construction neuve (VCB - VLAAMSE CONFEDERATIE BOUW, 2000, p. 24). En ce sens, il est probable que les chiffres communiqués aient notamment pour objet de modifier les arbitrages au profit de la

destruction - reconstruction. En outre, ces données sont fréquemment communiquées afin d’appuyer la proposition de réduire le taux de TVA sur la destruction - reconstruction.

Selon les témoins privilégiés actifs dans le secteur de la construction, on observe que l’essentiel des opérations de destruction - reconstruction s’inscrivent dans des projets à vocation économique (principalement des immeubles de bureaux) ou dans la réalisation d’immeubles à appartements. Ce constat est parfaitement cohérent avec la grille de lecture du compte à rebours (présentée ci-dessus au point 2.2.1.). En effet, les projets de maisons unifamiliales dégagent un chiffre d’affaire par unité de surface trop faible pour assurer les surcoûts techniques de la destruction. En parallèle, nous pouvons rappeler le constat de la surabondance foncière inscrite dans de nombreuses zones d’habitat : dans de nombreux bassins résidentiels wallons, lever l’obstacle foncier pour construire des maisons unifami- liales est relativement aisé. Si l’on se projette à l’échelle temporelle de plusieurs décennies, on ne peut que s’interroger sur les actuels mécanismes économiques qui rendent impossible de reconstituer le parc de logements individuels des tissus urbains traditionnels. En effet, le bâti n’étant pas éternel, que vont alors devenir ces quartiers ayant basculé en dehors des possibilités économiques de la reconstruction ? Vont-ils « mourir à petit feu » pendant des décennies? A terme, la ville future va-elle retrouver une utilité à réellement recycler ces territoires ?

Concernant l’arbitrage entre réhabilitation et construction neuve, on évoque souvent le constat selon lequel les maîtres d’œuvre craignent fortement les incertitudes propres aux chantiers de réhabilitation. En conséquence, ils conseilleraient volontiers à leurs maîtres d’ouvrage de tout démolir pour repartir à zéro. Les nombreux dépassements des estimations initiales en réhabilitation sont à ce propos un argumentaire fréquemment évoqué, auquel il faut sans doute ajouter la difficulté de disposer d’une main d’œuvre qui bénéficie des qualifications spécifiques à la réhabilitation. En outre, les entreprises de « réhabilitation générale » sont encore très rares, ce qui implique que la coordination d’une opération de réhabilitation nécessite de gérer le travail de nombreuses équipes et entreprises. Sur la comparaison entre réhabilitation et destruction - reconstruction, relevons encore que s’il existe désormais un consensus certain pour conserver les « monuments historiques », les appréciations sur la valeur patrimoniale de bâtiments plus récents et plus modestes sont, par contre, souvent divergentes…

Des quelques données circulant entre témoins privilégiés, nous pouvons relever que la part de la destruction dans les opérations de destruction - reconstruction est généralement estimée entre 20 % et 30 % du poste « construction ». En conséquence, par rapport à une opération sur terre agricole viabilisée, le surcoût d’une construction neuve sur sol-support représentera au moins 20 % des coûts de construction. Cette seule raison explique que, pour éviter le blocage du recyclage, il faut que les acheteurs acceptent de payer le mètre carré de plancher près de 20 % plus cher que sur site périphérique précédemment vierge. Si, toutes choses égales par ailleurs, cette condition n’est pas remplie, le quartier bascule en dehors du marché de la construction neuve…

2.4.2 Le financement des surcoûts de construction en milieu bâti

Comme nous le savons, le relâchement des freins à la mobilité a profondément modifié les mécanismes qui dictent la formation des niveaux de prix immobiliers. Concrètement, cela signifie que les acheteurs potentiels n’acceptent plus de débourser une surprime de localisation afin de disposer d’un produit immobilier situé en quartier central. En consé- quence, nous sommes obligés de nous interroger sur la possibilité de financer les surcoûts techniques du recyclage par d’autres biais que les seuls niveaux de commercialisation. Sans conteste, la solution consiste à rapprocher le coût des opérations de recyclage des surcoûts induits par l’extension périphérique. Du point de vue conceptuel, ce rapproche- ment se justifie pleinement. En effet, la construction neuve en milieu bâti représente la seule alternative à la poursuite de l’étalement, tant en termes d’activités qu’en termes de logements. Sur ce sujet, rappelons une nouvelle fois que c’est tout d’abord l’exiguïté des anciens logements et locaux d’activités qui pousse les ménages et les entrepreneurs à coloniser les espaces périphériques. En assurant la reconstruction neuve au sein de tissus urbains préexistants, on pourrait donc ainsi cesser de perpétuellement allonger les réseaux d’infrastructures, dont nous connaissons désormais, grâce aux travaux de la CPDT réalisés sur les coûts de la désurbanisation, l’ampleur des dépenses que cela nécessite (J.-M. HALLEUX et al., 2002).

Si le rapprochement entre surcoûts du recyclage et surcoûts de la désurbanisation se justifie pleinement sur le plan de la cohérence intellectuelle, il est par contre plus difficile de préciser les modalités comptables de ce rapprochement. Bien qu’une très large partie des surcoûts de la désurbanisation finissent par être assumés par la collectivité, il n’existe aujourd’hui aucune institution ni aucun mécanisme qui permettrait d’encadrer un efficace mécanisme de redistribution. Sur ce thème, nous pouvons évoquer une proposition qui mériterait sans doute d’être évaluée et qui consisterait à financer les subsides de reconstruction par une taxation sur l’artificialisation du sol. Puisque nous savons aujourd’hui très clairement qu’une consommation de terrains périphériques pour de nouveaux bâtiments urbains finit par grever lourdement les budgets de la collectivité, pourquoi ne pas instituer un mécanisme fiscal qui s’appuierait sur ce constat ?

Concernant les modalités techniques du financement des surcoûts de construction en milieu urbanisé, nous pouvons évoquer le mécanisme de « gap funding » (subvention des surcoûts) pratiqué par l’agence britannique « English Partnerships ». Active dans six régions d’Angleterre, elle a pour objet de stimuler le partenariat public-privé afin d’attirer des investissements dans des quartiers en panne d’opérations immobilières (M. PATTINSON, 1998, p. 76). Cette agence réalise des études de marché en confrontant les caractéristiques des marchés locaux (en termes de niveaux de commercialisation) aux surcoûts techniques des opérations de recyclage. Ensuite, sur base des études, l’agence module les montants des subventions qui peuvent être octroyées aux opérateurs privés. La culture du partenariat public-privé que l’on retrouve dans le contexte culturel anglo-saxon conduit à établir une confiance et une transparence entre l’agence et les opérateurs privés. Par exemple, lorsque les opérations sont fructueuses, les risques financiers couverts et les retours sur investisse- ments plus importants que prévus, les partenaires privés sont alors conduits à rembourser les aides précédemment octroyées au début de l’opération, comme cela a par exemple été le cas du projet « Birley Site » à Manchester (H.TRACHE ET H.GREEN, 2001, p. 43). Adapter ce fonctionnement au contexte wallon pourrait sans doute s’avérer intéressant. Pour autant, cela nécessiterait de disposer d’une ingénierie considérable en matière de montage immobilier et, parallèlement, des possibilités de disposer d’informations financières qui, dans le contexte culturel belge, sont difficilement diffusées et partagées. Sur ce thème, nous pouvons de nouveau faire référence au montage de projet « Henricot » présenté ci-dessus dans le chapitre 1, montage de projets pour lequel on observe une très faible transparence quant aux informations financières.

2.5 L

ES BLOCAGES LIÉS À L

OBTENTION DES AUTORISATIONS