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De l’avalanche réelle à l’écoulement granulaire en modèle réduit

Zone de dépôt

1.1.5 De l’avalanche réelle à l’écoulement granulaire en modèle réduit

La neige est constituée de grains de glace dont la taille, la forme et les propriétés méca-niques évoluent au cours du temps. Les avalanches denses sont composées de grains de neige sèche ou humide, qui peuvent être ou non cohésifs selon leurs propriétés de surface (para-graphe 1.1.2). Par conséquent, il est naturel de vouloir comparer un écoulement de neige à un écoulement granulaire.

De tout temps, la neige a été étudiée comme un matériau granulaire. Des tentatives de caractérisation de certaines neiges ont alors été menées à travers d’essais de laboratoire, qui étaient normalement pratiqués par les mécaniciens des sols sur des matériaux tels que les argiles ou les sables [Roch, 1965; Mellor, 1975; Navarre et al., 1987; Petrovic, 2003; Lang and Harisson, 1995; Shapiro et al., 1997]. Dans le cadre de l’interaction entre écoulement ava-lancheux et obstacle, de nombreux auteurs ont effectué une analogie entre neige et matériau granulaire. Certains auteurs décrivent l’influence de l’obstacle sur l’écoulement [Faug, 2004; Hákonardóttir, 2004; Rognon, 2006], tandis que d’autres s’intéressent plutôt à la sollicitation exercée sur l’obstacle de manière normale [Hauksson et al., 2007] ou tangentielle [Ma, 2008; Platzer, 2006].

2. Ouvrages de protection et bâtiments Pavillonnaires soumis à l’ Action des avaLanchEs : solli-citation, réponse, dimensionnement (OPALE : http ://www.cemagref.fr/le-cemagref/lorganisation/les- centres/grenoble/ur-etgr/projets-en-cours/projets-de-recherche-nationaux/ouvrages-de-protection-et-batiments-pavillonnaires-soumis-a-laction-des-avalanches)

L’investigation de la relation entre pression d’impact et caractéristiques de l’avalanche né-cessite la connaissance des valeurs internes de l’écoulement. L’étude expérimentale en condi-tions réelles est difficile. Les raisons sont diverses : non reproductibilité des phénomènes due à la variabilité du matériau neige et à la topographie du terrain, possibilités de mesures faibles, aléas de la météorologie. Pour pallier ces difficultés de quantification du phénomène réel, il est possible d’exploiter des modèles réduits de canal d’écoulement. En situation intermédiaire entre montagne et laboratoire, certaines études portent sur de la véritable neige s’écoulant en canal réduit [Bouchet, 2003; Rognon, 2006; Hàkonardòttir et al., 2003; Platzer, 2006]. Tou-tefois, la majeure partie de ces études en canal est effectuée en laboratoire [Daerr, 2000; Ma, 2008; Faug et al., 2002; Zanuttigh and Lamberti, 2006]. Mais il se pose toujours la question de l’accès aux données internes de l’écoulement, délicat car il est nécessaire que la mesure ne soit pas intrusive. Certaines études expérimentales comme celle menée en canal de laboratoire sur des laves torrentielles permettent tout de même d’y accéder sans modifier les propriétés rhéologiques de l’écoulement [Tiberghien, 2007]. Dans ce cas, la technique de mesure, fondée sur le traitement d’images d’un laser projeté dans un milieu fluide non opaque, ne permet pas d’obtenir de vitesses basales avec suffisamment de précision, de plus ce traitement ne permet d’accéder qu’à un plan d’écoulement.

Finalement, un moyen d’obtenir une vue complète de l’écoulement, comprenant caracté-ristiques surfaciques et internes, est d’utiliser des outils numériques de modélisation en 3D. Les méthodes discrètes sont particulièrement adaptées, elles permettent de prendre en compte naturellement des déplacements relatifs importants entre les particules, ce qui est bien le cas dans les avalanches.

L’utilisation d’un modèle numérique discret nécessite la construction et l’exploitation d’un modèle réduit pour la validation des paramètres numériques. Il est alors nécessaire de s’assurer de la similitude entre phénomène réel et modèle réduit, experimental ou numérique. Cette vérification peut se faire par l’utilisation de deux nombres adimensionnels :

– le coefficient λ (défini dans l’équation 1.1), qui représente le rapport entre pression exercée par l’écoulement et pression dynamique,

– le nombre de FroudeFr, rapport entre forces d’inertie et forces gravitaires liées à l’écou-lement.

L’interaction entre avalanche et obstacle sera donc abordée sous une approche granulaire. Nous utiliserons des moyens expérimentaux à échelle réduite (Chapitre 2) pour la validation d’un modèle numérique (Chapitre 3), lui-même construit à partir d’une méthode discrète. La suite de ce chapitre bibliographique est consacrée aux connaissances actuelles sur les propriétés de l’impact d’un matériau granulaire en écoulement contre un obstacle.

1.2 Impact d’un écoulement granulaire sur un obstacle

1.2.1 Introduction

1.2.1.1 Complexité et diversité des matériaux granulaires

La définition d’un matériau granulaire, donnée par l’encyclopédie Universalis, est la sui-vante : "matériau formé de grains", un grain étant une "partie élémentaire discernable de l’ensemble". Cette définition relativement triviale correspond en réalité à une variété très im-portante de ces milieux : les grains élémentaires peuvent être constitués de matières minérales (roches, sables, argiles), de glace (neige sous forme de grains fins), de matières organiques (grains de café, céréales), de médicaments (géllules, aspirine) ou encore de verre ou de plas-tique (billes). Leur forme peut être allongée pour les grains de riz, aplatie à bords doux pour

les galets que l’on trouve dans les torrents, aplatie à bords trachants pour les copeaux indus-triels, quasiment sphérique pour une goutte d’eau. Leur taille est très variable : du nanomètre au micromètre pour les argiles, du centimètre à la dizaine de mètres pour les roches trou-vées en montagne. Nous pourrions également citer notre terre qui, après tout, est un grain à l’échelle de l’univers, ou même de notre système solaire.

Il existe également une grande variété de comportements à l’échelle du milieu granulaire, ou échelle macroscopique, qui dépend du mode de sollicitation. Ces comportements peuvent être classés en trois catégories (figure 1.14) : le milieu granulaire peut se comporter comme un solide (sols sableux, argileux), un liquide (avalanches denses de neige, boues torrentielles) ou un gaz (transport de sable ou de neige par le vent), ces trois modes pouvant également se combiner (figure 1.15).

Figure 1.14: Les 3 grandes catégories de comportement des milieux granulaires. Selon le mode de sollicitation le régime peut être solide, liquide ou gazeux (figure extraite de [Pouli-quen, 2004a]).

Figure1.15: Illustration des régimes gazeux, liquide, solide en cohabitation lorsque l’on verse des billes de verre sur un tas (figure extraite de [Forterre and Pouliquen, 2008]).

Il existe divers types d’interactions à l’échelle du grain, ou échelle locale, pouvant influen-cer le comportement global du milieu. Le matériau peut être cohésif, lorsqu’il existe des forces

intergranulaires ayant tendance à rapprocher deux grains voisins ou les contraindre à rester collés. Au contraire, il peut également être non cohésif, s’il n’existe aucune force d’attraction entre les grains, ou si celles-ci sont négligeables.

La complexité et la diversité de ces milieux granulaires font qu’à l’heure actuelle il n’existe pas de théorie unificatrice permettant de prédire l’intégralité de leurs comportements. S’il est assez simple de prédire le comportement d’un ou deux grains isolés, une masse conséquente de ces mêmes grains est plus difficilement appréhendable. Les limitations se situent bien souvent au niveau numérique, car les capacités de calcul, même si elles sont en constante progression, ne sont pas toujours suffisantes pour vérifier les théories développées.

Dans les modèles numériques de type éléments discrets par exemple, la taille des grains est une donnée modifiable. Il se pose alors souvent le problème de la taille et de la forme granulaire à adopter, le but étant de trouver un compromis efficace entre degré de représen-tativité du modèle et temps de calcul raisonnables. Pour illustrer ceci, voulant modéliser la cohésion capillaire dans des argiles de 50 μm, 10000 éléments en vraie grandeur occupent un volume de l’ordre du millimètre, ce qui rend impensable la modélisation d’un sol à l’échelle d’un bâtiment. Des lois d’échelle sont alors souvent utilisées, elles permettent de déduire les contraintes ou autres paramètres à l’échelle d’un massif, en fonction des contraintes obte-nues dans un volume plus faible. Pour ce qui est de la forme des grains, les outils numériques n’en disposent que de quelques unes, assez standards (sphérique, cylindrique, anguleuse), leur complexité croissante augmentant de surcroît le temps de calcul.

1.2.1.2 Interaction avec un obstacle : création d’une zone morte

L’interaction entre un écoulement granulaire et un obstacle peut être abordée soit du point de vue de l’écoulement [Chiou et al., 2005; Buchholtz and Pöschel, 1998] soit de celui de l’obstacle [Valentino et al., 2008]. Dans le premier cas, l’influence de l’obstacle sur la trajectoire post-interaction des particules dans l’écoulement est étudiée. Dans le deuxième cas, la question de la sollicitation exercée par le milieu en écoulement sur l’obstacle est centrale. Nous nous intéressons pour notre part au deuxième cas d’étude.

Figure 1.16: Zone morte observée après le passage d’une avalanche (photo P. Berthet-Rambaud).

Lors de l’interaction, une zone morte ou une zone d’influence se forme directement en amont de l’obstacle. Il s’agit d’une zone morte si les particules la constituant sont immobiles, d’une zone d’influence si les particules la constituant sont simplement déviées par rapport à

l’écoulement non influencé. La taille de cette zone dépend alors des tailles caractéristiques de l’obstacle, de sa géométrie et de la vitesse de l’écoulement non perturbé [Faug, 2004]. Elle est constituée de particules contraintes entre la surface impactée de l’obstacle et le matériau en écoulement. Les caractéristiques de cette zone ont par exemple été étudiées expérimen-talement dans [Faug et al., 2002] en 2D pour le cas granulaire, ou encore dans [Tiberghien, 2007] en 3D pour le cas des fluides à seuil, avec application aux boues torrentielles. Dans le domaine des risques naturels et notamment des avalanches de neige, une zone morte a été observée [Thibert et al., 2008] (figure 1.16) après le passage d’une avalanche, mais elle est difficile à étudier in situ. En effet, même si l’on connaît sa taille avant et après le passage de l’avalanche, il nous est impossible de quantifier et même de qualifier son évolution spatiale et temporelle entre ces deux instants. Pourtant, le pouvoir dissipant des matériaux granulaires étant bien connu [Pouliquen, 2004b], on imagine facilement que cette zone tampon puisse diminuer l’intensité de la sollicitation sur l’obstacle.