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Article soumis à la revue Canadian Planning and Policy - Aménagement et politique au Canada

Introduction

Depuis les années 1980, le concept de patrimoine est passé d’une définition essentiellement centrée sur l’aspect physique (œuvre, monument, site) à une autre, davantage investie par l’adhésion sociale (Choay, 1992; Beaudet, 2000; Drouin, 2005). La société établit, par l’intermédiaire du patrimoine, un rapport collectif et stable à son histoire à travers la reconnaissance de biens matériels délimités et choisis par des spécialistes (Bourdin, 1992). Désormais, en raison d’un processus d’élargissement (typologique, chronologique et spatial) et d’une participation sociale accrue, la définition de ce patrimoine est devenue imprécise et mouvante (Gravari-Barbas, 2002). Plus que jamais, le patrimoine est le produit de divers acteurs (institutions, associations et citoyens), ayant des récits et des valeurs qui doivent composer avec des mémoires qui s’avèrent parfois parallèles, parfois convergentes.

Ces visions, fréquemment divergentes, sont indissociables du processus de patrimonialisation, c'est-à-dire du débat déterminant ce qui doit être légué aux générations futures. Leur affrontement produit, du coup, une forme de visibilité et de légitimation ainsi que d’appropriation de l’espace urbain des différents groupes sociaux voulant déterminer ce qui est à conserver, à démolir ou à patrimonialiser15

(Veschambre, 2002). Le conflit a ainsi pris une place grandissante dans la décision contemporaine de ce qui relève du patrimoine et de son usage (Veschambre, 2007). Il constitue donc aussi un objet privilégié pour l’analyse de la construction sociale du patrimoine (Melé, 2005). En effet, le conflit peut être considéré du point de vue de l’analyse politique des processus de participation ou de délibération, mais on peut

50 aussi l’aborder comme une transaction sociale en s’inspirant du paradigme élaboré par Jean Remy (1996). En effet, cette notion est enracinée dans la sociologie du conflit, celle de la résolution provisoire de conflits irréductibles (Gibout et al., 2009).

Une des façons de les intégrer à la démarche d’aménagement est de renverser la perspective et de faire du conflit une composante normale, voire positive, des processus d’aménagement. Selon Jean Remy, le conflit induit une dynamique produisant de nouveaux arrangements sociaux, donc de l’innovation sociale, voire la production de liens sociaux. Ce point de vue, à l’opposé de celui qui n’y voit qu’une logique destructrice, présente le conflit comme un potentiel d’innovation puisqu’il peut conduire à la production de liens sociaux, et par ce fait même, contribuer au développement de la société (Germain, 2007).

Comme on peut le constater, aujourd’hui le patrimoine est désormais devenu le résultat d’un processus d’échanges entre différents acteurs pour en arriver à un compromis temporaire qui repose sur des valeurs qui appartiennent à notre modernité. Il ne s’agit pas que de l’histoire ou de la beauté. D’autres valeurs viennent s’y ajouter témoignant de relations plus contemporaines avec le patrimoine. Une fois réunies, ces valeurs participent à la construction sociale du patrimoine. C’est ce que cette recherche se propose d’étudier en se penchant sur la controverse soulevée par le projet d’agrandissement du stade Percival–Molson situé dans l’arrondissement historique et naturel du Mont-Royal (AHNMR), une parcelle du territoire de Montréal particulièrement emblématique, point de convergence entre le centre-ville et le parc du Mont-Royal où se retrouvent plusieurs institutions prestigieuses et des quartiers cossus, témoignant de l’évolution de la ville. Il se retrouve, ainsi, fréquemment associé à des controverses d’aménagement du patrimoine opposant des conceptions et des intérêts divers.

Un des derniers conflits est particulièrement intéressant, car il met en scène un équipement sportif, lui aussi emblématique à plus d’un égard, et qui témoigne bien des enjeux concernant la définition contemporaine du patrimoine. En effet, l’élargissement de la reconnaissance de la montagne en tant que lieu patrimonial a engendré une succession de constructions et d’espaces sous la protection de l’AHNMR. Un territoire qui continue à s’étendre sur ses bords. Il a ainsi soulevé plusieurs enjeux sociaux et urbains appartenant aux différentes échelles dont il est question : symbolisme et

51 intégrité pour celle de l’arrondissement historique et naturel, héritage historique et conservation autour du parc, emblème du football canadien à Montréal et intégration à l’environnement en ce qui a trait au stade, prestige et tranquillité pour le quartier à proximité, etc.

Ces enjeux sont priorisés de manière sélective par les différents acteurs concernés. La vision des spécialistes et des associations vouées à la défense du patrimoine et (ou) de l’environnement étant relativement bien connue et médiatisée, nous nous intéressons plutôt à la perception des riverains, spécialement ceux qui habitent le quartier appelé Milton-Parc.

Celui-ci jouit d’une localisation privilégiée. Il est situé entre le centre-ville et le pied de la montagne, à proximité de tous les services, dont l’Université McGill et son stade. Dans les années 1960, le militantisme des citoyens a empêché la destruction massive de ce quartier menacé par un vaste projet de rénovation urbaine (Drouin, 2005). Les résidants ont d’ailleurs créé le plus important projet de coopératives d’habitation en Amérique du nord, la Communauté Milton-Parc. L’expérience de ces luttes en ce qui a trait au patrimoine a aguerri la participation des résidants et leurs associations qui ont joué un rôle actif dans les échanges concernant l’agrandissement du stade Percival- Molson.

En effet, ce projet a donné lieu à de multiples transactions dans un contexte très balisé sur le plan des procédures, mais où a quand même prévalu une large marge de manœuvre des acteurs. « Le besoin contemporain du patrimoine » (Di Meo, 2008) soulève des enjeux d’appropriation de plusieurs acteurs, avec des rapports de force, qui constituent le patrimoine instable d’aujourd’hui. Nous nous interrogeons ici sur la question des enjeux que le projet suscite pour les résidants de proximité et sur les significations mises en évidence par le processus d’échange.