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L’architecture, une interrogation permanente

Moins prononcée que dans l’URSS, la question d’un style architectural propre à la société prolétarienne et au projet socialiste se posait aussi en Roumanie. Mais Ceausescu avait renoncé assez vite à cette révolution stylistique, puisque toutes les expériences antérieures s’étaient soldées en grande majorité par un échec assez retentissant. La tentative soviétique est exemplaire de ce point de vue. Même si la désillusion qu’elle a provoquée est significative, elle reste tout à fait évocatrice en tant qu’expérience qui découle d’un raisonnement idéologique. C’est dans cette perspective que nous exposerons par la suite d’une façon succincte l’expérimentation soviétique qui consista à fabriquer de toute pièce un style architectural selon une ligne idéologique particulière.

Dès les années 1920, comme le document iconographique suivant l’indique, l’Union Soviétique187 était à la recherche d’une architecture

spécifique aux prolétaires, aux « hommes nouveaux » du socialisme. Le style était une question, une interrogation à laquelle tous les membres de la profession se devaient d’apporter une réponse. Pour eux, si le Parthénon représentait l’architecture classique et la maison de Le Corbusier l’architecture moderne bourgeoise, il fallait créer un nouveau style majeur,

187 À cette époque il y avait en Russie des courants artistiques et architecturaux multiples, ce qui a souvent provoqué des tensions et des conflits. Cependant les architectes que nous appelons « soviétiques », les constructivistes représentent une école majeure de ces temps, leurs ouvrages et théories furent étroitement liés à la question idéologique.

l’architecture moderne prolétarienne. Une rupture devait s’engager entre les styles précédents et celui dont la mission consistait à vulgariser les valeurs du socialisme. Cette tâche était vue comme étant de

puisqu’elle révolutionnerait l’histoire de l’Architecture et traduirait une culture de vie inédite.

Figure 41 – A

traduction du texte nous dévoile le sens de ce document iconographique

une architecture prolétarienne

royaume de la bourgeoisie. Mais comment doit

Source : Anatole

Les architectes soviétiques de cette période, avant l’arrivée de Staline, intégrant le fait que l’architecture prolétarienne devait être une architecture tout d’abord moderniste, allaient très vite propos

ressemblaient aux projets conçus par leurs confrères des pays bourgeois. En effet, leur production se caractérisait par le dépouillement de toute décoration, le minimalisme des formes, le caractère géométrique des volumes, tout

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l’architecture moderne prolétarienne. Une rupture devait s’engager entre les styles précédents et celui dont la mission consistait à vulgariser les valeurs du socialisme. Cette tâche était vue comme étant de grande importance puisqu’elle révolutionnerait l’histoire de l’Architecture et traduirait une culture de vie inédite.

Affiche des années 1930 en U.R.S.S., traitant de l’architecture. La du texte nous dévoile le sens de ce document iconographique

une architecture prolétarienne ! Ainsi en était-il en Grèce, Ainsi en est royaume de la bourgeoisie. Mais comment doit-il en être dans l’

: Anatole KOOP, Changer la vie, changer la ville.

Les architectes soviétiques de cette période, avant l’arrivée de Staline, intégrant le fait que l’architecture prolétarienne devait être une architecture tout d’abord moderniste, allaient très vite proposer des ouvrages qui ressemblaient aux projets conçus par leurs confrères des pays bourgeois. En effet, leur production se caractérisait par le dépouillement de toute décoration, le minimalisme des formes, le caractère géométrique des volumes, tout l’architecture moderne prolétarienne. Une rupture devait s’engager entre les styles précédents et celui dont la mission consistait à vulgariser les valeurs du grande importance puisqu’elle révolutionnerait l’histoire de l’Architecture et traduirait une

1930 en U.R.S.S., traitant de l’architecture. La du texte nous dévoile le sens de ce document iconographique : « Donnez-nous

il en Grèce, Ainsi en est-il encore au il en être dans l’État prolétarien ? ».

Les architectes soviétiques de cette période, avant l’arrivée de Staline, intégrant le fait que l’architecture prolétarienne devait être une architecture er des ouvrages qui ressemblaient aux projets conçus par leurs confrères des pays bourgeois. En effet, leur production se caractérisait par le dépouillement de toute décoration, le minimalisme des formes, le caractère géométrique des volumes, tout

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comme les bâtiments modernes que les adeptes du CIAM avaient su élever à partir des années 1920. En regardant le résultat, les personnalités chargées d’examiner les propositions des architectes se rendirent très vite compte qu’il était difficile de mettre sur pied un nouveau style d’architecture, créer des objets architecturaux inédits dans l’approche plastique des volumes.

Ce sentiment se trouva partagé par Lazare Kaganovitch188 qui était le

Président, jusqu’en 1935, de la Commission d’architecture et de planification urbaine189. À partir de 1932, il remit en question le lien qui pouvait exister

entre l’architecture, son style et l’idéologie et affirma :

« …Certains considèrent qu’il doit y avoir une architecture prolétarienne, une architecture reflétant l’idéologie du prolétariat. Je dirais : peut-être que dans le processus de lutte, il se formera une architecture qui réponde au nouvel élan et au caractère grandiose de la construction, de la construction socialiste, mais inventer une telle architecture, prévoir à l’avance, que telles lignes sont prolétariennes, et telles lignes bourgeoises, ça camarades, ce sont des fadaises.190».

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Lazare Kaganovitch a été secrétaire du Comité central du Parti à partir de 1930. Il dirigea les études du Bureau organisationnel et toute une série de sections, ainsi que les réunions du Politburo durant l’absence de Staline. Il a même dirigé pendant des années l’organisation du Parti de Moscou, dirigeant en lieu et place de Staline la commission de la Défense. Entre 1931 et 1935 ce fut lui qui suivit le projet de reconstruction de Moscou.

189C’était la plus haute structure institutionnelle qui gérait l’aménagement de l’ensemble du territoire russe. Dans un système fortement hiérarchisé, elle en était le couronnement et donnait son feu vert à toutes les propositions sortant des ateliers du Mossoviet. Il y avait trois secteurs d’activité dans ces ateliers du Mossoviet, un secteur propre à la sphère foncière, un autre consacré à l’urbanisme et le dernier à l’architecture. Les deux derniers secteurs comprenaient une vingtaine d’ateliers chacun. Moscou était la ville où tous ces ateliers étaient installés, devenant ainsi le centre de toute l’activité architecturale du pays. C’était là qu’étaient dessinées et validées toutes les pièces graphiques ressortissant à l’ensemble des projets de l’Union Soviétique.

190Source originale : Fonds Kaganovitch RGASPI/81/3/186/61, repris dans l’ouvrage sous la direction d’Ioana Iosa, op.cit, dans l’article Le style, l’économie et le politique. L’architecture

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En donnant son sentiment vis-à-vis du dépouillement que l’architecture moderne prônait et de son incapacité à rendre ses usagers satisfaits, il ajoutait : «… On dit que la forme nue, les boîtes nues c’est le principe du prolétariat. Cependant le prolétariat ne se promène pas nu, il met une petite cravate, une veste, un pantalon et tout le reste. Et quand il a mis un costume plus propre, il marche avec plus de joie ». Du fait de cette vision anthropomorphique, l’architecture était vue comme un habit qui venait couvrir l’individu ; par là même, elle avait sa propre personnalité et son propre droit à la décoration. Même si les objets qui parent l’image individuelle peuvent s’avérer dérisoires, la décoration que l’architecture requiert n’était, pour lui, jamais injustifiée : « Moi, je dis, le collier c’est le petit bourgeois, mais l’architecture en a besoin. L’architecture caresse l’œil. 191 »

Après avoir mesuré la difficulté qui empêchait de déboucher sur un nouveau style architectural, les concepteurs soviétiques se tournèrent vers l’élaboration d’une nouvelle conception des espaces intérieurs, notamment domestiques. Concernant cette question, les architectes soviétiques inspirés par l’idéologique socialiste, essayèrent de concevoir des habitations différentes. Une de leurs réponses fut celle des Maisons-Communes, appartements dans lesquels plusieurs familles pouvaient s’installer et adopter un mode de vie tout autre que celui qui était proposé par les États capitalistes. Malgré tout, la révolution du cadre domestique se présentait aussi comme une difficulté presque insurmontable, tout comme l’invention d’un style architectural prolétarien.

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Joëlle Aubert-Yong atteste par ses articles et ses visites sur le sol russe que nombre de personnes furent sceptiques face aux expérimentations architecturales de l’Union soviétique. M. Rosenfeld, une personnalité importante de l’architecture soviétique, reconnaissait déjà à l’époque, dans les années trente, que : « …Les gens mangent, dorment et boivent comme partout ailleurs. Je crois que dans le communisme la cellule familiale sera maintenue. Les hommes aiment se réunir autour d’une table. C’est pourquoi le logement conservera sans doute pendant longtemps encore ses formes traditionnelles. 192»

Au vu de cette tentative soviétique, de ce passé voulant créer un style architectural prolétarien qui connut rapidement son désenchantement, Ceausescu ne tenta pas l’élaboration d’un style propre au projet socialiste. Il se contenta de suivre la marche du monde qui, déjà depuis plusieurs décennies, vouait un culte à la culture moderniste de l’architecture. Pourtant nous verrons qu’il adoptera une tout autre attitude lorsqu’il s’agira de l’édification du Centre Civique.

Les États totalitaires eurent recours, dans la majeure partie des cas, à des solutions architecturales similaires à celles de leurs voisins capitalistes. Le souffle moderniste inspira à la fois les architectes français, anglais, italiens, allemands, roumains, hollandais, russes. Il suffit de rappeler la vitalité du Mouvement Moderne en France, l’école du Bauhaus193 en

192Interview de M. Rosenfield, par Joelle Aubert-Yong dans L’architecture de la période

stalinienne, d’Anatole Kopp, op. cit. page 382.

193Le Bauhaus est un Institut des arts et des métiers fondé en 1919 à Weimar(Allemagne) par Walter Gropius, et qui par extension désigne un courant artistique concernant, notamment,

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Allemagne, le Mouvement Rationaliste en Italie, les constructivistes – les architectes soviétiques des années 1920 en Union soviétique. En dépit de quelques divergences, tous ces professionnels communiaient dans la foi en une ère architecturale caractérisée par un décor minimal, des lignes géométriques, de nouvelles cultures constructives et une certaine fonctionnalité.

En Roumanie, le modernisme s’afficha dans toutes les villes, les architectes étant formés et encouragés à concevoir selon les canons et les préceptes de l’architecture moderne. Du Nord au Sud, de l’Occident à l’Orient, l’entière planimétrie du sol roumain fut parsemée d’objets architecturaux aux allures modernistes. De Baia-Mare en passant par Piatra-Neamt, de Satu-Mare à Craiova, de Constanta à Timisoara, les villes furent parsemées d’immeubles d’habitation et de nombreux édifices publics déclinant sous toutes les formes l’écriture moderniste de l’architecture. Sur la planche qui suit (Figure 42) nous avons voulu illustrer par quelques exemples cette réalité stylistique cultivée dans la République Socialiste Roumaine. Mais, si cette adhésion à la modernité architecturale fut partagée en partie par tous, les exigences en matière d’urbanisme différèrent d’un pays à l’autre. L’architecture des villes et des territoires élaborée sous Ceausescu fut quant à elle fortement inspirée par les expériences urbanistiques soviétiques. Par sa manière de se rapporter à l’aménagement du pays, elle s’inscrit dans la droite ligne du questionnement généré par les architectes russes des années 1920.

l'architecture et le design. Ce mouvement posera les bases de la réflexion sur l'architecture moderne, et notamment du style international. En 1933, Le Bauhaus est fermé par les nazis et sa dissolution est prononcée par ses responsables. De nombreux artistes et professeurs s'enfuient aux États-Unis pour échapper au Nazisme.

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Figure 43 – Quelques exemples de réalisations architecturales roumaines employant dans leur source stylistique un langage moderne. Tous ces immeubles furent construits entre 1970 et 1989, sous l’impulsion de Nicolae Ceausescu. Ils intègrent dans leur sémantique moderne un vocabulaire d’inspiration « vernaculaire ». En haut, à gauche, l’Hôtel de ville de Baia-Mare ; à droite, le Palais Administratif de Satu-Mare ; au centre, à gauche, un immeuble d’habitation à Piatra Neamt ; à droite, un immeuble d’habitation du centre-ville de Craiova ; en bas, l’Hôtel de ville de Târgu-Mures. De nos jours, ces architectures sont encore utilisées pour les fonctions qu’ils leur ont été initialement assignées.

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