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L’architecture et le projet socialiste socialiste

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Après avoir retracé l’historique du Centre Civique, après avoir vu comment ce chantier fut le fruit d’un projet politique spécifique, nous sommes invités à étudier de plus près la notion d’architecture totalitaire. Comme il est souligné en introduction, l’indentification des caractéristiques matérielles et l’analyse des fondements théoriques conduisant à ce type d’architecture représente un défi majeur de cette thèse. Nous nous efforcerons d’indexer d’une manière précise les particularités et les traits dominants de cette architecture et de les exposer tout au long du prochain chapitre.

Cependant, avant de débuter cette étude, nous avons voulu ajouter le présent chapitre qui entend démontrer comment l’architecture dans sa globalité est fortement marquée par l’impact de l’idéologie au sein de l’État totalitaire. Nous verrons que l’architecture propre aux lieux emblématiques du régime et l’architecture des villes, naquirent toutes deux de la même violence que l’idéologie et ses dirigeants recommandaient à l’égard du monde existant. Les expressions en étaient différentes, mais l’esprit qui les habitait était scrupuleusement le même.

À partir d’une construction mentale et intellectuelle particulière, le totalitarisme tentait de féconder tout un nouveau monde qui se construirait à l’image d’une molécule. Que cette molécule soit d’essence politique, administrative, sociale ou économique elle comporte un noyau – le « grand dirigeant » et les apparatchiks –, et des atomes – le prolétariat. À Bucarest, au niveau urbain, ceci se vérifia par l’indentification d’un cœur central, le Centre

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Civique, relié à des particules, les milieux urbains qui l’entouraient ; tout ceci concourant à constituer l’organisme d’un être vivant nommé « État totalitaire ».

L’intégralité de l’espace construit sous un régime totalitaire ne relève pourtant pas de l’architecture totalitaire. Il se peut que cela soit induit tout au long des chapitres précédents, mais nous préférons le souligner. Nous pouvons même aller jusqu’à affirmer que l’espace emblématique d’un pouvoir totalitaire ne représente qu’une partie assez peu conséquente proportionnellement à la production urbaine engendrée par ce type de régimes186.

D’ailleurs, l’indentification de l’architecture totalitaire est un versant important de ce travail de thèse, il a nécessité une documentation spécifique et une attention toute particulière. C’est pour cela que nous introduisons ce chapitre par une synthèse de la globalité de la production architecturale roumaine sous Ceausescu. La politique qui a été entreprise à l’égard des territoires, des villes et des objets architecturaux qui les composent est parsemée de motivations diverses qui parfois peuvent apparaître paradoxales. Cette vue globale sur le monde construit sous le règne du dictateur roumain nous permettra de comprendre et d’illustrer les similitudes mais aussi l’écart architectural, économique et symbolique qui existent entre la production architecturale emblématique de ce type de pouvoir et les autres.

186 Avec l’avancement de l’étude, nous verrons que ce sont seulement les immeubles de représentation, les bâtiments incarnant le symbole de l’État et de ses administrations qui peuvent à proprement parler recevoir l’appellation d’architecture totalitaire.

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I. L’architecture sous Ceausescu

L’identification de l’architecture totalitaire nous a confrontés à la nature programmatique de ce type d’intervention, et par conséquent, à la constatation qu’au-delà de sa présence, il y a tout un autre univers à découvrir et à comprendre. Un univers, parce qu’une multitude de mutations urbaines furent entreprises au XXème siècle par les régimes totalitaires, mais pas

seulement. Dans notre cas, nous allons nous contenter d’étudier l’architecture, au sens large, que Ceausescu estimait la plus souhaitable pour son régime. Au-delà de la grandeur et de la durabilité voulue pour le Centre Civique, le Président roumain s’attaqua à la ville avec une vision essentiellement idéologique, basée sur un égalitarisme puéril et sur une réflexion sociale sèche. Architecture totalitaire et ville idéologique, telle fut la dialectique de la Roumanie que Ceausescu tenta d’imposer durant deux décennies.

L’architecture se révèle dans trois dimensions et à trois échelles majeures. Elle se lit dans l’écriture des territoires, dans la manière d’aménager les villes et, enfin, dans la définition des édifices et de leurs intérieurs. Le cadre naturel complété par ces trois échelles du monde construit constitue la réalité paysagère de l’existence humaine. Les pensées politiques du XXème siècle furent très attentives à l’égard du monde construit, et les

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travers la modification de cette réalité matérielle ils pouvaient changer la réalité sociale de leurs citoyens.

En Roumanie, Ceausescu n’a jamais cessé de mettre sur pied une politique qui voulait accorder le paysage avec l’idée qu’il se faisait de la société et de l’individu. Que cela relevât de l’aménagement du territoire, de la structuration d’une ville ou de l’écriture d’un objet architectural, Ceausescu recherchait par tous les moyens la possibilité de créer un monde à l’image de ce que les théories idéologiques communistes réclamaient. Pour autant, il ne lui était pas possible de tout réformer. Les expériences antérieures, plus particulièrement vécues en URSS, et la réalité des technologies constructives modernes l’avaient contraint d’admettre une certaine impossibilité d’arriver à la mutation du cadre construit dans son intégralité.

Malgré cela, la Roumanie sous Ceausescu fut un laboratoire important en matière d’architecture et surtout d’urbanisme pendant la deuxième moitié du XXème siècle. L’idéologie communiste fut le matériau de base de toute la

planification territoriale. Dépassant les expériences soviétiques des années vingt tout en s’en inspirant, le dictateur roumain imposa à son peuple une révolution en terme d’aménagement du paysage construit. Les villes et les villages entrèrent avec lui dans une période de mutation sans précédent. Le Centre Civique fut à la fois l’aboutissement et l’exemple de cette dynamique idéologique qui recommandait le renouveau par l’effacement, la transformation par la violence.

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