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L’approfondissement des nouvelles par le questionnement

CHAPITRE 3 : L’OPINION PUBLIQUE EN CONSTRUCTION

2. Les échanges favorisant une meilleure compréhension des lectures

2.3. L’approfondissement des nouvelles par le questionnement

La réception de nouvelles à Montjoie favorise l’exploration de certains sujets. Les correspondants de province interrogent les journalistes à propos de nouvelles qui leur proviennent de l’extérieur de la Correspondance. Ils mettent en doute la validité de ce qu’on leur transmet depuis la capitale. Ajoutons qu’ils se permettent d’émettre des hypothèses sur les nouvelles partielles qu’ils reçoivent.

Les nouvelles reçues provoquent des questionnements qui demandent d’être répondus. Les personnages semblent assoiffés d’informations dans le but d’affiner leurs interprétations personnelles des nouvelles. En d’autres mots, ils veulent approfondir ce qu’ils savent :

UN de ces Marchands qui parcourent les Châteaux, vient de nous vendre,

Monsieur, diverses Brochures qu’il dit très-nouvelles. Vous l’avouerai-je?

75 Jeremy David Popkin, La presse de la Révolution, op. cit., p. 91.

76 Ouzi Elyada, « L’usage des personnages imaginaires… », loc. cit., p. 484-485.

77 Ibid., p. 484-503; Ouzi Elyada, « La mère Duchêne et les poissardes… », loc. cit., p. 11-27. 78 Jeremy David Popkin, La presse de la Révolution, op. cit., p. 93-95.

J’ai été douloureusement affecté de voir la liberté de la presse ainsi prostituée. La premiere de ces absurdités, que j’ai parcouru, est intitulée : Ecoutez, voyez, & contristez-vous, ou Douleur d’un honnête homme indigné. Cette véhémente Satyre est contre le Principal Ministre des Finances. Ce sont des injures calomnieuses, ou des exagérations malignes. Je ne suis l’apologiste de personne, mais l’ennemi de toute erreur79.

Semonville questionne Velport sur la véracité des nouvelles écrites dans les imprimés colportés, car il n’a pas le moyen de les vérifier lui-même. Il accepte mal la calomnie. Dans le même paragraphe, Semonville explique que si le ministre des Finances80 a ses

torts, ce dernier n’en reste pas moins quelqu’un de travaillant, bien qu’accusé à tort dans le texte cité. Il critique de surcroît le fait que l’accusation, pour laquelle il exige des preuves, soit si personnelle malgré le maintien de l’anonymat par son auteur. Dès lors, la réception négative d’un texte en province amène le personnage à exprimer son opinion et à produire des questions. Cette formulation permet à l’auteur de la Correspondance de transmettre une nouvelle et une opinion à ce propos, tout en simulant une réflexion chez ses lecteurs.

La lecture d’autres documents par les lettrés présente la diversité des nouvelles qui transitent lors de la Révolution. Les journalistes ne peuvent pas tout transmettre à leurs lecteurs : ils doivent choisir les nouvelles prioritaires. Les habitants de Montjoie demandent, pour leur part, des précisions sur des nouvelles que les journalistes ont décidé d’omettre et qu’ils ont lues ailleurs :

J’AI lu, Monsieur, dans un bulletin, un article auquel je n’ai rien compris.

Il s’agit de transporter le cabinet de Minéralogie, que M. Sage à mis dans un si bel ordre, au Jardin du Roi. Au premier coup-d’œil, j’ai apperçu tant de raisons contre ce plan, qu’avant de les détailler, j’ai cru devoir attendre de votre complaisance des détails plus circonstanciés81.

79 Lettre 18, loc. cit., p. 119.

80 Il s’agit de Necker, bien qu’il ne soit que nommé par les lettres « M. N… ». 81 Lettre 36, loc. cit., p. 102-103.

De deux choses l’une, soit le bulletin reçu en province n’était pas assez précis pour que Vesilles comprenne bien, soit il veut comparer les informations de la nouvelle pour en vérifier l’exactitude. Dans tous les cas, l’abbé a besoin de précisions avant de construire son opinion sur la nouvelle.

Les membres du groupe remettent en doute certaines nouvelles qu’ils reçoivent en interrogeant les journalistes. Autant dire que les nouvelles ne leur paraissent pas vraisemblables. C’est particulièrement le cas lorsqu’une nouvelle est surprenante, voire choquante. Les personnages veulent une confirmation. Ainsi, Sommersé interroge les journalistes :

IL est donc vrai qu’on a supprimé jusqu’aux Bals. Est-ce pour faire armer

la liberté que l’on introduit cette sévérité outrée? Pourquoi la cour n’a-t- elle pas de spectacles? Je ne crois pas que personne conseille cette marche austere & mal-adroite; mais ceux qui ne l’empêchent pas, ne connoissent nis les hommes ni les François. On ajoute que l’on ne veut plus que des opéra nationaux, des drames funebres, & des comédies allégoriques, c’est- à-dire, qu’après avoir tout détruit, on ne veut pas même épargner le théâtre82.

Ce questionnement rhétorique illustre le besoin de confirmer les nouvelles connues. Il montre une lecture active de la part de Sommersé. La vérité ne préoccupe pas le groupe outre mesure. Des informations supplémentaires sur les nouvelles leur permettent de discuter plus longuement, ce que recherchent les personnages. De surcroît, cette formulation permet à l’auteur de suggérer une réaction des lecteurs concernant la nouvelle en question. Dans la dix-huitième lettre, il souligne l’importance de se référer à des ouvrages consistants pour bien comprendre les situations et pour éviter la simple spéculation83.

82 Lettre 29, loc. cit., p. 39-40. 83 Lettre 18, loc. cit., p. 127.

Les membres du cercle de Montjoie expriment des prédictions quant à l’avenir. La spéculation sur les nouvelles témoigne de leur réflexion sur celles-ci. Sous ce rapport, Sainte-Même sollicite des nouvelles pour confirmer ses a priori. Ce qu’elle sait n’est donc pas complet : « Je me figure le Clergé dans la consternation. Donnez-nous une idée de la physionomie d’un Evêque maintenant. Je me le représente triste, inquiette, allongée & presque modeste84. » De toute évidence, elle est consciente des changements importants

causés par la Révolution et les imagine, à défaut d’être une témoin directe. Les pensionnaires du château ne sont pas les seuls à proposer des hypothèses sur les événements contemporains. Selon Velport, les exilés à Rome ont toutes sortes de suppositions relativement à l’arrestation d’un de leur camarade dans la ville italienne85.

L’auteur de la Correspondance suggère derechef une participation de ses lecteurs par les réflexions qu’ils pourraient avoir sur l’actualité86.

La lecture des lettres adressées aux différents personnages permet aux lettrés d’augmenter le nombre de nouvelles à discuter, sans compter que les interrogations traduisent la curiosité des personnages et leurs besoins de nouvelles bien étayées. Cela dans le but de pouvoir produire des échanges consistants au sein de leur société de province. En outre, le questionnement est un des procédés stylistiques qui permet de suggérer la création d’une opinion par les lecteurs.

84 Lettre 1, loc. cit., p. 6.

85 Lettre 24, loc. cit., p. 154-155.

86 Suzanne Dumouchel, Le Journal littéraire en France au dix-huitième siècle : émergence d’une culture