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2. Méthodologie et cadre d’analyse : enchevêtrement et interdépendance

2.3. De l’ANT à l’approche relationnelle

2.3.2. L’approche relationnelle

Il s’agit donc de prendre comme point de départ le refus de l’ontologie Moderne – car elle n’est qu’une forme « d’identification » du rapport à la nature parmi d’autres propres à l’Occident (Descola, 2005) – et d’essayer de participer au projet de développement d’une compréhension non dichotomique. En effet, les questions changent, comment suivre alors les attachements au long cours pour voir les stabilisations/déstabilisations ? Pour y répondre, l’approche relationnelle se repose sur la sociologie de l’acteur-réseau dans son positionnement symétrique des entités tout en s’attachant à l’étude des enchevêtrements relationnels au sein des réseaux socio- environnementaux grâce aux controverses. De nombreux auteurs, dans des disciplines distinctes34, bâtissent leurs analyses sur un tel positionnement. Le cadre d’analyse utilisé ici repose principalement sur les travaux de Philippe Descola et Bruno Latour, et emprunte aux positionnements de Gladwin, Kennelly, et Krause (1995) ; et de Banerjee (2007).

Pour démontrer ces enchevêtrements, cette thèse propose l’analyse de quatre

narrations relationnelles. Il s’agit d’opérer ici un rapprochement entre l’approche historique

et sa vision en réseau de la mise en intrigue/récit/narration, et la perspective théorique latourienne : les analyses et les pratiques de recherche et d’écriture historique s’inscrivent dans l’ontologie relationnelle, qui assume un principe de symétrie entre sujet et objet dans le but d’explorer la soutenabilité environnementale. La narration relationnelle repose donc sur l’approche historique et ses analyses et pratiques de recherche et d’écriture, ainsi que sur la notion d’« enquêtes » ou « comptes rendus » présentés par Latour (2007). Pour ces deux notions, Latour s’appuie sur la notion de « description riche » initiée par Geertz (1973), et les travaux sur l’ethnométhodologie de Garfinkel (1967), en y incluant l’objectif d’assemblage de tous les actants. Les narrations relationnelles permettent donc de suivre les controverses afin d’étudier les associations/dissociations de relations. Cette procédure pour collecter les associations d’humains et de non-humains permet d’illustrer le collectif dont l’objectif est de tendre vers une définition partagée d’un monde commun (Latour, 1999). L’appréhension du collectif par Descola est en revanche privilégiée pour son approche plus englobante. Il précise :

« Bref, ce ne sont pas tant des limites linguistiques, le périmètre d’un réseau commercial ou même l’homogénéité des modes de vie qui tracent les contours d’un collectif, mais bien une manière de schématiser l’expérience partagée par un ensemble plus ou moins vaste d’individus,

34 Par exemple en comptabilité (voir par exemple, les travaux menés au sein du CSEAR, auprès de Jacques

Richard entre autres), en histoire environnementale ( par exemple, Ingold, 2011 ; Frioux et Lemire, 2012 ; Letté, 2012), en anthropologie (par exemple, Descola, 2005 ; 2008 ; 2011 ; Bonnot, 2014), ou encore en écologie politique (voir les derniers travaux de Latour).

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ensemble qui peut par ailleurs présenter des variations internes – de langues, d’institutions, de pratiques – assez marquées pour que l’on puisse le considérer, à une autre échelle, comme un groupe de transformation d’unités discrète. […] il faut plutôt s’attacher à repérer le champ couvert par certains schèmes fédérant les pratiques dans des collectifs de taille et de nature très variables, et dont les frontières ne sont pas fixées par la coutume ou par la loi, mais en fonction des ruptures qu’elles rendent manifestes par rapport à d’autres manières d’êtres présent au monde.

Dépourvue de toute dimension fonctionnelle ou finaliste – le vouloir- vivre ensemble – la notion de collectif ainsi entendue se démarque quelque peu de la définition qu’en donne Latour comme une association spécifique d’humains et de non-humains telle qu’elle est configurée ou « collectée » dans un réseau à un moment et en un lieu donnés. En effet, si un collectif est bien aussi pour moi un ensemble où se combinent des entités de toutes sortes, il n’est pas à proprement parler organisé comme un réseau dont les frontières – inexistantes en droit si l’on décide de suivre toutes les ramifications – ne peuvent dépendre que d’une décision arbitraire de l’analyste de circonscrire son champ d’étude aux données qu’il peut maîtriser. Si l’on admet plutôt que les limites d’un collectif sont coextensives à l’aire d’influence de tel ou tel schème de la pratique, alors sa détermination reposera avant tout sur la manière dont les humains y organisent leur expérience, notamment dans leurs relations avec les non- humains. » (Descola, 2005, p.495-496).

La définition de Descola se rapproche davantage dans sa compréhension des travaux de Boltanski et Thévenot (1991) concernant les « cités », entendues comme des modèles sociaux établis sur des conventions partagées par des sous-ensembles d’individus à l’intérieur des sociétés industrielles et qui leur permettent de bâtir des mondes communs distincts. Ainsi que souligné par Descola (2005, p.579), une telle compréhension du collectif permet de représenter des « formes contrastées de coexistence […] qui brouillent les frontières convenues des groupes et redistribuent les critères de distinction. ».

En somme, l’approche relationnelle permet de saisir la dimension environnementale à l’aune de notre expérience de notre rapport à la nature, c’est-à-dire en relation avec elle. Et non pas comme si nous vivions dans la nature, ce qui consisterait « à essayer de marquer le plus possible une nature insignifiante et sauvage par la discipline humaine, par la liberté créatrice de l’homme. » (Latour, 1999, p.79) . L’approche relationnelle aidée des narrations relationnelles permet :

« […] une réflexion approfondie sur la notion de contexte. S’il n’y a pas d’arrière-plan structurant, de système configurant, il n’y a pas pour autant d’immanence de l’ensemble des univers, des mondes. Il faut alors remonter des filières, suivre les associations entre les actants : les conduits sont toujours réels. Latour cherche à débusquer tous les tours

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de passe-passe qui logent dans les théories et leur oppose avant tout le calme examen des phénomènes et des controverses qui connectent les fluides circulant sans arrêt entre actants. » (Devisme, 2007).

L’orientation dans laquelle se situe cette thèse est donc cette vision ontologique, cette cosmologie pour reprendre la terminologie de Descola, relationnelle, où méthodologie et cadre d’analyse sont associés. Il s’agit maintenant de s’attarder quelque peu sur la construction des narrations relationnelles.