• Aucun résultat trouvé

L’approche par les « capabilités » d’Amartya Sen

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 110-120)

organisationnel : d’une vision statique à une vision dynamique

Chapitre 2. (Re)conception organisationnelle et environnements capacitants environnements capacitants

2. Concevoir pour le développement : l’approche par les

2.2 L’approche par les « capabilités » d’Amartya Sen

Par rapport aux théories précédemment énoncées, et plus spécifiquement celle du capital humain, l’approche par les « capabilités73 » développée par Sen (1999/2003, 2009/2010a) propose une alternative ou plutôt un « élargissement » (§2.2.1). Les principales notions de cette approche seront ensuite précisées (§2.2.2) avant d’être réintégrées plus largement dans le modèle de développement proposé par cet auteur (§2.2.3).

L’approche par les « capabilités » s’inscrit à un niveau sociétal mais ses applications à l’échelle de l’organisation, nous le verrons, s’avèrent fructueuses.

2.2.1 Positionnement et objectif général

Amartya Sen a reçu le prix Nobel d’économie en 1998. L’élaboration de sa pensée est marquée par quatre grandes étapes (Dubois & Mahieu, 2009). En premier lieu, ses recherches portent sur le choix social puis s’orientent dès la fin des années 1970 vers des problématiques plus empiriques de l’économie du développement. C’est à cette époque que né le concept clé de « capabilités » alors que l’auteur cherchait « un meilleur point de vue sur les avantages individuels que celui que permettait la concentration rawlsienne sur les biens premiers » (Sen, 2010a, p. 284). L’estimation de l’avantage global d’un individu se détache alors d’une évaluation en termes de bonheur ou de niveau de revenu pour se concentrer sur les capabilités : « l’approche par les capabilités juge l’avantage d’un individu à sa capabilité de faire des choses qu’il a des raisons de valoriser » (Sen, 2010a, p. 284). Progressivement, les capabilités sont assimilées à des libertés de choix entre différentes alternatives de vies possibles (Dubois & Mahieu, 2009). Le concept se rattache à une acception « positive » de la liberté qui met au premier plan la capacité effective d’action d’une personne dans une situation donnée, à la différence de la liberté « négative » qui traduit l’absence d’entraves à l’action (Corteel & Zimmermann, 2007). Ce qui importe réellement « ce sont les capabilités dont disposent les personnes c'est-à-dire l’ensemble des possibilités qui s’offrent à elles et leur liberté de choisir, dans cet ensemble, le type de vie auquel elles attachent de la valeur » (Stiglitz, Sen & Fitoussi, 2009, p. 16-17). L’application systématique de l’approche par les capabilités à l’économie du développement s’opère à la fin des années 1980 à travers l’étroite collaboration qui est menée avec le Programme National des Nations Unies (PNUD) (Dubois

& Mahieu, 2009). Aujourd’hui, les travaux de Sen poursuivent ces différentes orientations et apportent des réflexions autour de la démocratie et des identités.

73 Précisons que le terme anglais « capability » adopté par Sen dans ses travaux sera ici traduit par le néologisme

« capabilité ». C’est volontairement que nous n’adoptons pas le terme « capacité » pourtant fréquemment utilisé dans les traductions. La capacité signifie le fait de savoir faire quelque chose alors que la capabilité désigne le fait d’être en mesure de faire quelque chose. La capabilité est donc une notion plus large ; elle ajoute à la

110 Nous reportons ici principalement les développements autour de l’approche par les capabilités au cœur de la pensée de Sen depuis la fin des années 1970. Pour cela nous nous appuierons en grande partie sur deux ouvrages publiés par Sen : Development as Freedom, paru en 1999 et The Idea of Justice, paru en 2009. L’intérêt de ces ouvrages est d’offrir aux lecteurs, d’une part, une compilation des différents articles et travaux de l’auteur, et d’autre part, des réponses aux critiques dont ces travaux font parfois l’objet : une approche centrée sur l’individu, la question de la responsabilité face à l’affirmation de liberté ou encore les difficultés de la mesure des capabilités.

Afin de cerner les principales tendances et objectifs de l’approche par les capabilités, le positionnement de Sen à l’égard de la théorie du « capital humain » est particulièrement éclairant : « the significant transformation that has occurred in recent years in giving greater recognition to the role of « human capital » is helpful for understanding the relevance of the capability perspective74 » (Sen, 1997, p. 1959).

L’auteur reconnaît en premier lieu les apports de la théorie du capital humain, et notamment le fait de placer l’humain au centre des préoccupations et d’élargir la définition même d’accumulation du capital aux qualités productives des êtres humains (Sen, 1997, 1999/2003).

Toutefois, l’exemple de l’accès à l’éducation est repris par l’auteur pour souligner les limites de l’approche en termes de capital humain. Certes, si l’éducation améliore la productivité d’un individu, le « capital humain » s’en trouve amélioré puisque la valeur de la production s’accroît ainsi que le revenu dont l’individu formé pourra bénéficier. Mais les bénéfices escomptés ne s’arrêtent pas à la seule contribution à la productivité et à l’augmentation du revenu. Les revenus perçus peuvent, par exemple, rester stables ; pour autant, l’individu bénéficiera d’autres avantages (la lecture, la capacité de communiquer, la participation et l’amélioration de la qualité des débats publics ? etc.). Ces avantages ont (Sen, 1997, 1999/2003) :

- une importance directe pour le bien-être et la liberté des gens ;

- un rôle indirect, par l’influence qu’ils exercent sur le changement social ; - un rôle indirect, par l’influence qu’ils exercent sur la production économique.

Or la théorie du « capital humain » considère en priorité – voire exclusivement – le troisième de ces rôles. Ainsi, « la perspective plus étroite du capital humain ne recouvre que l’un des versants de la problématique plus générale des capabilités, qui prend en compte les conséquences directes et indirectes des facultés humaines » (Sen, 2003, p. 383). Autrement dit, le capital humain se concentre « on the agency of human beings – through skill and knowledge as well as effort – in augmenting production possibilities » alors que les capabilités « focuses on the ability of human beings to lead lives they have reason to value

capacité l’idée de possibilité réelle (Falzon & Mollo, 2009b). Nous reviendrons plus en détails sur chacune de ces notions.

74 « La transformation significative qui s’est déroulée au cours des dernières années, qui consiste à accorder une meilleure reconnaissance au rôle du “capital humain” est utile pour comprendre les apports de la perspective des capabilités » (Sen, 1997, p. 1959, notre traduction).

111 and to enhance the substantive choices they have75 » (Sen, 1997, p. 1959). Ce point est repris par Bryson et Merritt (2007, p. 44) qui soulignent que le capital humain est uniquement perçu en termes de contribution à la productivité de l’organisation, tandis que la capabilité est considérée comme une contribution plus large, permettant aux individus d’améliorer leur vie de façon générale.

Ce positionnement de Sen à l’égard du capital humain nous renseigne sur plusieurs points : - si le capital humain permet d’élargir l’importance des ressources au-delà d’aspects purement matériels, une approche en termes de « ressources productives » ne peut suffire ; elle conduit à réduire les êtres humains à des moyens de production alors qu’« ils sont aussi la finalité » (Sen, 2003, p. 385) ;

- l’élargissement proposé est une perspective en termes de « capabilités » pour servir à la fois les intérêts de la production économique mais aussi ceux du développement social.

2.2.2 Ressources, capabilités et fonctionnements

Nous proposons de définir ici les concepts clés qui peuvent aider à une meilleure compréhension de l’approche par les capabilités et qui vont nous être utiles pour la suite du raisonnement. L’approche par les capabilités s’enracine dans une double distinction entre les fonctionnements (ou accomplissements) et les capabilités, d’une part, et entre les ressources et les capabilités, d’autre part (Bonvin & Farvaque, 2007 ; Robeyns, 2003). Ce sont précisément ces concepts que nous proposons d’analyser dans ce paragraphe.

a) La distinction fonctionnements / capabilités

Le mot fonctionnement est utilisé par Sen pour désigner les différents « états et actions » (Stiglitz et al., 2009, p. 46) qu’une personne peut aspirer à faire ou à être (Sen, 2003).

Autrement dit, les fonctionnements sont définis comme « tout ce qu’il est possible de faire dans la vie, toutes les façons d’être et d’agir des individus » (Sen, 1993 in Bryson & Merritt, 2007, p. 42). Ils peuvent ainsi être perçus comme la somme des accomplissements observables de chacun par exemple la santé, le fait d’avoir un travail intéressant, d’avoir une alimentation suffisante (Stiglitz et al., 2009).

75 Le capital humain renvoie à « la capacité d’individus – à travers leurs compétences, leurs connaissances et leurs efforts d’augmenter les possibilités de production » alors que la capabilité de définit comme « la capacité d’individus à mener la vie qu’ils ont des raisons de valoriser » (traduction proposée par Bryson & Merritt, 2007, p. 43-44)

112 Selon Sen, l’évaluation des seuls fonctionnements réalisés (ce qu’une personne accomplit) ne peut suffire. L’auteur illustre son propos à travers un exemple où deux individus ne mangent pas suffisamment. Ces derniers se trouvent ex-aequo dans les fonctionnements réalisés – une sous-alimentation manifeste – mais cela peut dissimuler d’importantes différences. En effet, l’un peut être sous-alimenté en raison d’un jeûne volontaire alors que l’autre peut être victime d’une famine (Sen, 2009/2010a). Aussi, il apparaît « plus judicieux d’utiliser la perspective des capabilités, plus riche en informations, que de se concentrer exclusivement sur le point de vue, informationnellement plus étroit, des fonctionnements réalisés » (Sen, 2010a, p. 292).

Si les fonctionnements traduisent les « états et actions » d’un individu, les « capabilités » désignent les différentes combinaisons de fonctionnements qu’il lui est possible de mettre en œuvre; il s’agit donc «d’une forme de liberté, c'est-à-dire la liberté substantielle de mettre en œuvre diverses combinaisons de fonctionnements (ou pour le dire de façon plus concrète, la liberté de mener des modes de vie divers) » (Sen, 2003, p. 106). La capabilité est donc « le pouvoir de faire quelque chose » (Sen, 2010a, p. 45) et correspond aux actes et aux choix que chaque individu peut réellement accomplir et poser (Bonvin & Farvaque, 2007).

b) La distinction ressources / capabilités

Une deuxième distinction cruciale au sein de l’approche par les capabilités concerne la distinction entre les ressources et les capabilités.

Par « ressources », Sen entend tous les biens et les services auxquels les individus ont accès, les revenus perçus, les transferts sociaux, les dons ou cadeaux (Bonvin & Farvaque, 2007 ; Robeyns, 2003). Plus largement, les droits formels peuvent être inclus dans cette liste (Bonvin

& Farvaque, 2007). Ce que démontre Sen, c’est qu’« entre la possession ou la disponibilité de ces diverses ressources ou droits formels et la liberté réelle des personnes, il y a une distance importante » (Ibid., p. 11).

Prenons l’exemple du droit de vote. Selon Sen, le droit de vote n’a pas de sens en soi ; « ce qui a du sens, c’est la capabilité de voter, qui présuppose l’accès à l’éducation, l’existence de partis politiques, la liberté de parole et de presse, une organisation efficace (transports) et équitable des élections » (Falzon, 2010, p. 61). Aussi le droit de vote n’est-il effectif qu’à la condition de pouvoir le « convertir » en capabilité de voter.

La présence de « facteurs de conversion » apparaît alors nécessaire. A la suite des travaux de Robeyns (2003), repris par Bonvin & Farvaque (2007, p. 11), nous pouvons distinguer trois types de facteurs de conversion76 :

76 On peut trouver ici des similitudes entre ces facteurs et ce que Sen appelle, dans ses développement sur la pauvreté, les « types de contingence » susceptibles de provoquer des variations dans la conversion du revenu en modes de vie accessibles (Sen, 2010a, p. 311). L’auteur en cite quatre : l’hétérogénéité personnelle ; la diversité des environnements physiques dont font partie les conditions climatiques ; la variété des climats

113 - les facteurs de conversion individuels qui désignent les caractéristiques, capacités ou compétences individuelles ; dans l’exemple du droit de vote, on peut se demander, par exemple, si la personne qui vote sait lire, si elle peut se rendre au bureau de vote ou si des problèmes physique l’en empêchent, etc. ;

- les facteurs de conversion sociaux qui désignent le contexte sociopolitique et culturel dans laquelle la personne évolue : par exemple, le droit de vote est-il un droit pour toutes les catégories de population ? ;

- les facteurs de conversion environnementaux : les chemins d’accès au bureau de vote sont-ils, par exemple, praticables ?

Aussi, les politiques publiques centrées sur les capabilités doivent agir conjointement sur les ressources (biens, services, revenus, libertés et droits formels) et sur ces trois facteurs de conversion (Bonvin & Farvaque, 2007).

Plus généralement, l’approche par les capabilités cherche à aller au-delà des méthodes d’évaluation par les ressources, notamment celle qui se concentre sur ce que John Rawls appelle les « biens premiers », qui sont des moyens d’ordre général comme le revenu, la fortune, les pouvoirs et prérogatives des fonctions, etc. Selon Sen, le revenu ou la fortune n’est pas un bon critère pour évaluer l’avantage d’un individu : « un invalide riche peut souffrir de plus de restrictions qu’un pauvre sans handicap physique » (Sen, 2010a, p. 309). Il apparaît alors important de « prendre en compte non seulement les biens premiers détenus par les individus, mais aussi les caractéristiques personnelles qui commandent la conversion des biens premiers en facultés personnelles de favoriser ses fins77 » (Sen, 2003, p. 105).

Le schéma suivant (cf. Figure 10) illustre les principaux concepts énoncés dans l’approche par les capabilités et leur articulation. La seule possession de ressources ou droits formels ne suffit pas ; il convient de convertir ces ressources en capabilités afin d’être en mesure de réaliser ses fins, c'est-à-dire des fonctionnements ou accomplissements qui résultent d’un choix. Cette conversion des ressources en capabilités nécessite des facteurs de conversion individuels, sociaux et environnementaux.

Figure 10 – Ressources, droits et libertés formels dans l’approche par les capabilités D’après Bonvin & Farvaque (2007, p. 12)

sociaux, notamment la qualité du système de santé publique ; les différences de perspectives relationnelles, les modes de comportement établis dans telle ou telle société pouvant faire varier les besoins financiers.

114 2.2.3 Une conception de la liberté et un modèle du développement

La définition préalable de ces concepts – ressources, capabilités et fonctionnements – est nécessaire pour comprendre les principales théories défendues par Amartya Sen qui conduisent à une appréhension particulière du développement. Nous proposons ici d’exposer – sans prétendre à aucune exhaustivité –les principaux arguments de l’auteur et son acception du développement. Cet exposé va se révéler utile aux efforts de traduction/transposition de l’approche de Sen pour l’ergonomie et, plus largement, pour le champ del’organisation.

a) La perspective des capabilités : implications et enjeux

Nous avons relevé cinq points qui occupent une place importante dans la réflexion de Sen et qui illustrent l’importance de la perspective des capabilités. Cette perspective suppose, nous le verrons, une nouvelle approche du développement.

1/ La prééminence accordée aux libertés substantielles

La capabilité apparaît dans la réflexion de Sen comme « un aspect de la liberté » (Sen, 2010a, p. 347). Plus spécifiquement, l’idée de capabilité est orientée vers la liberté substantielle et les possibilités, c’est-à-dire vers l’aptitude des gens à choisir des types de vie qu’ils ont des raisons de souhaiter. Lorsque l’on veut juger des avantages individuels et évaluer les réussites et les échecs sociaux, la première préoccupation est de partir de ces libertés substantielles que sont les capabilités (Sen, 1999/2003). L’avantage d’une personne sera alors jugé inférieur à celui d’une autre si « elle a moins de capabilités – moins de possibilités réelles – de réaliser ce à quoi elle a des raisons d’attribuer de la valeur » (Sen, 2010a, p. 284).

2/ Les deux dimensions de la liberté

La liberté est ici entendue dans une acception large qui « prend en compte aussi bien les processus qui permettent l’exercice d’un libre choix dans l’action que les possibilités réelles qui s’offrent aux individus, compte tenu des conditions de vie dans lesquelles ils évoluent » (Sen, 2003, p. 32). Plus de liberté donne à l’individu plus de possibilité d’accomplir ce qu’il valorise. Mais la façon dont cela se produit – le processus de choix – apparaît tout autant primordiale. Il convient de ne pas se contenter d’évaluer ce qu’une personne finit par faire mais d’intégrer aussi la façon dont la personne parvient à la situation finale (Sen, 2009/2010a).

3/ Une nouvelle base informationnelle pour juger et comparer les avantages individuels

77 Ces considérations ont accompagné les réflexions de l’auteur autour de la pauvreté comme « privation des capabilités ».

115 Les capabilités apparaissent comme une nouvelle base informationnelle pour juger une société et mesurer la justice et l’injustice. Cette base se distingue (Sen, 1999/2003, 2009/2010a) :

- de l’approche utilitariste, inaugurée par Jérémy Bentham, qui se focalise sur le bonheur ou le plaisir individuel ; cette conception de la justice vise « au plus grand bonheur du plus grand nombre » quelles que soient les inégalités (Terestchenko, 2010) ;

- de l’approche par les ressources qui évalue l’avantage d’un individu à son niveau de revenu, de fortune ou de ressources (les « biens premiers » selon Rawls) se focalisant ainsi sur les moyens d’existence ; cette conception vise à maximiser l’avantage du plus mal loti quelles que soient les conséquences sur les avantages de tous les autres.

Sen défend une position d’évaluation différente qui cesse de se concentrer sur les moyens de mener une bonne vie et s’attache aux capabilités autrement dit aux vies « que l’on parvient à mener, mais aussi à la liberté réelle que l’on a de choisir entre différentes façons de vivre » (Sen, 2010a, p. 279). L’avantage d’un individu n’est plus jugé à son niveau d’utilités ou de ressources, mais à sa capabilité de faire les choses qu’il a des raisons de valoriser. Le choix de cette base informationnelle implique une nouvelle approche de la justice.

4/ Une théorie de la justice en rupture avec l’approche dominante

L’auteur propose une théorie de la justice qui se détache des approches dominantes visant à définir des dispositifs institutionnels justes pour toute société, afin de mettre en évidence l’intérêt des approches comparatives des situations réelles. En analysant les réflexions sur la justice sociale particulièrement abondantes à l’époque des Lumières, Sen distingue deux logiques (Sen, 2009/2010a) :

- la première qu’il baptise « institutionnalisme transcendantal », inaugurée par l’œuvre de Thomas Hobbes au XVIIème, propose de définir des dispositifs institutionnels justes pour toute société ;

- la seconde, adoptée par plusieurs autres théoriciens des Lumières, repose sur une série d’approches comparatives et se préoccupe des réalisations sociales. Elle se fonde alors sur des comparaisons entre des degrés de justice et d’injustice relatives et cherchent à éliminer les injustices manifestes du monde. La question qui se pose est alors celle de « comment faire progresser la justice ? » plutôt que « quelles seraient les institutions parfaitement justes ? » (Sen, 2010a, p. 34).

Alors que les théories modernes de la justice et notamment celle de John Rawls s’inscrivent dans la première logique, Sen se positionne davantage au sein de la seconde en soulignant

« l’importance de l’examen des vies humaines pour juger de la santé d’une société » (Sen, 2010a, p. 277). Selon lui, la comparaison et l’évaluation des réalisations sociales doit se faire

« à l’aune des capabilités réelles des gens » (Sen, 2010a, p. 45).

5/ Les individus : des agents responsables et autonomes

116 Une approche de la justice fondée sur les libertés substantielles privilégie le rôle d’ « agent » et les jugements émis par les individus. Le terme « agent » s’oppose ici à celui de « patient » auquel on administrerait les bienfaits d’un quelconque processus de développement (Sen, 2009/2010a). Les « agents » sont libres de choisir ce qu’ils valorisent. L’idée de liberté respecte l’autonomie : « elle signifie que nous déterminons en toute indépendance ce que nous voulons, ce que nous apprécions, et, finalement, ce que nous décidons de choisir » (Ibid., p.

284). Ce rôle signifie par ailleurs la participation des individus – participation directe ou indirecte, individuelle ou collective – dans la scène politique ou à d’autres niveaux (Sen, 1999/2003). Un autre aspect de la liberté est également souligné : elle nous rend responsable de nos actes. Aussi, la liberté permet-elle de décider de ce que nous devons faire et s’accompagne de la responsabilité de ce que nous faisons. A contrario, « il ne saurait y avoir de responsabilité si les moyens de la liberté réelle ne sont pas donnés » (Bonvin & Farvaque, 2007, p. 10).

L’approche par les capabilités fait souvent l’objet de critiques autour de cette concentration sur l’« individu ». A ce sujet, Sen souligne que son approche ne postule à aucun moment la nécessité de voir les individus indépendamment de la société dans laquelle ils se trouvent (Sen, 2009/2010a). Il avance par ailleurs le concept de « capabilités collectives » et justifient son intérêt dans sa réflexion sur la justice.

L’approche par les capabilités fait souvent l’objet de critiques autour de cette concentration sur l’« individu ». A ce sujet, Sen souligne que son approche ne postule à aucun moment la nécessité de voir les individus indépendamment de la société dans laquelle ils se trouvent (Sen, 2009/2010a). Il avance par ailleurs le concept de « capabilités collectives » et justifient son intérêt dans sa réflexion sur la justice.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 110-120)