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L’APPROCHE ABOLITIONNISTE : UNE APPROCHE FRAGILISÉE PAR LA RECONNAISSANCE GRANDISSANTE DES DROITS DE L’ENFANT

Le phénomène du travail de l’enfant est assez répandu à travers le monde. Il est difficile de déterminer le nombre exact d’enfants travailleurs74, même si le chiffre de 300 millions est parfois avancé75. Des propositions ont été faites en vue de l’encadrer ou encore de le bannir. L’Organisation internationale de travail (OIT), pour sa part, tente de l’abolir. En effet, l’approche abolitionniste, privilégiée par l’OIT, est principalement basée sur la nécessité d’écarter les enfants du travail. Pourtant, la question du travail de l’enfant est devenue un enjeu mondial complexe76qui ne semble plus pouvoir être résolue de la manière proposée par l’OIT. En effet, les conventions internationales négociées sous l’égide de l’OIT visent l’élimination complète du travail de l’enfant dans le monde77. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner le

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En effet, il est très difficile d’obtenir des statistiques fiables permettant d’estimer avec précision le nombre d’enfants travailleurs. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette difficulté : « It is very difficult to estimate with any precision just how many child workers currently exist in the world - and there are many reasons for this difficulty, some of which we would like to explain. Many children do “invisible” jobs, work that is very difficult to detect; also, there are different conceptions of child labour, and even of childhood itself, which makes it difficult to compare data obtained in different socio-cultural contexts; finally, we should not forget that, at least from the legislative point of view, child labour is prohibited in many countries, which greatly obstructs access to the children carrying it out, and therefore hinders the collection of valid and reliable data ». Ochaìta, Esperanza et al., « Child Work and Labour in Spain: A First Approach », (2000) 8 Intl J. Child. Rts, 15-35, p. 15.

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Les dernières statistiques des Nations unies font état de près de 300 millions d’enfants travailleurs à travers le monde en 2012. www.un.org/fr/events/childlabourday/background.shtml [En ligne: le 20 décembre 2012].

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Des auteures relèvent la complexité et l’intérêt de la question du travail de l’enfant pour tous les segments de la société : « Child labour has existed for a very long time, but only in the second half of this century has it become recognised as a serious and enormously complex social problem. At the present time, it is a topic of great relevance that is of concern not only to governments, non-governmental organisations, trades unions and international organisations, but also to society in general ». Ochaìta, Esperanza et al., « Child Work and Labour in Spain: A First Approach », Ibid., p. 15. L’auteur Muntarbhorn lorsqu’il affirme: « This phenomenon is generally known as “child labour”, and it demands effective counteraction. The debate concerning child labour has become more convoluted in recent years precisely because it has become more globalized. On the one hand, the phenomenon of child labour affects both developing and developed countries ». Muntarbhorn, Vitit, « Child rights and social clauses: Child labour elimination as a social cause? », (1998) 6 Intl J. Child. Rts, 255-311, p. 255.

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D’entrée de jeu, Bernard Schlemmer expose la vision abolitionniste de l’Organisation internationale du travail (OIT) représentée par son organe administratif, le Bureau international du travail (BIT) et les contradictions qu’elle pourrait induire: « Pourtant, dès sa fondation en 1919, le BIT a bien eu pour mission de protéger les enfants au travail. Comment sortir de cette contradiction ? En poussant cette protection jusqu’à l’absurde, c’est-à-dire non pas en protégeant l’enfant au travail, mais en le protégeant du travail, tel qu’il est implicitement compris par tout le monde: en posant que le “travail” des enfants a vocation à être éradiqué. On comprend que le BIT définisse alors le “travail des enfants” (« child labour ») comme étant la part des activités économiques exercées par les enfants et dont on postule qu’elles lui sont nuisibles ». Schlemmer, Bernard, « Le BIT, la mesure du “travail des enfants” et la question de la scolarisation », préc., note 11, p. 238.

Préambule de la Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’accès à l’emploi78 (ci-après la « Convention no 138 de l’OIT »), l’une des conventions de base de l’OIT, en matière de réglementation du travail de l’enfant, qui stipule que: « Considérant que le moment est venu d'adopter un instrument général sur ce sujet, qui devrait graduellement remplacer les instruments existants applicables à des secteurs économiques limités, en vue de l'abolition totale du travail des enfants »79. Ainsi, tant dans l’adoption des normes, que dans les mécanismes de mise en œuvre, l’OIT poursuit l’objectif fondamental de protection de l’enfant travailleur au moyen de la prohibition de son travail.

Cette prohibition se fonde sur une conception de l’enfant réduit à un objet de droit plutôt qu’à un sujet de droit80, contrairement aux adultes travailleurs. Ce constat est également partagé par d’autres auteurs, tel que Karl Hanson, qui affirme que : « […] la position abolitionniste envers le travail des enfants repose sur la présupposition que les enfants sont, par nature, différents des adultes, et considère donc le travail des enfants comme essentiellement différent de celui exécuté par les adultes »81. Pourtant, plusieurs facteurs plaident pour une reconnaissance de ce travail et un encadrement afin de protéger l’enfant qui l’exerce. Le travail peut jouer un rôle important dans la réalisation des autres droits fondamentaux de l’enfant, en termes d’apport de revenus facilitant l’exercice du droit à l’éducation par exemple82.

Ces considérations conduisent à explorer d’autres avenues pour la protection de l’enfant travailleur, dans le respect de ses droits fondamentaux. Pour étayer les arguments en faveur d’un tel changement de paradigme en matière de protection de l’enfant travailleur, il convient, dans un premier temps, d’analyser la définition du travail de l’enfant selon l’approche abolitionniste

78Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’accès à l’emploi, préc., note 40. 79

Alinéa 5, Préambule, Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’accès à l’emploi. Ibid.

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Sur l’historique de l’évolution de la protection de l’enfant notamment à travers le passage de l’enfant objet de protection à l’enfant sujet de droit, voir Marshal, Dominique, « The construction of children as an object of international relations : The Declaration of Children’s Rights and the Child Welfare Committee of League of Nations, 1900 - 1924 », (1999) 7 Intl J. Child. Rts, 103-147.

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Hanson, Karl, « Repenser les droits des enfants travailleurs », dans Bonnet, Michel et al., Enfants travailleurs.

Repenser l’enfance, Lausanne, Éditions Page deux, 2006, p. 104.

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De nombreuses études, tout en reconnaissant la difficulté de concilier le travail et l’éducation, apportent des indications concernant les effets bénéfiques du travail sur l’éducation. Voir en ce sens : Bourdillon, M.F.C., Bourdillon, M.F.C., « Child Labour and Education: A study from southeastern Zimbabwe », (2000) Journal of Social Development, vol. 15, no. 2, 5-33; Ennew, Judith, (dir.), « Learning or Labouring? A compilation of key texts on child work and basic education », Centre de recherché Innocenti de l’Unicef, Florence, 1995 et Ravallion, Martin et Quentin Wodon, « Does Child Labour Displace Schooling? Evidence on behavioural responses to an enrollment subsidy», (2000) Economic Journal, vol. 110, pp. 158-175.

(Titre I). Or, cette conception du travail de l’enfant, considérée comme négative, se trouve en décalage avec l’approche plus nuancée préconisée par d’autres instances des Nations Unies, principalement le Comité des droits de l’enfant (Titre II).