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CHAPITRE I : L’APPROCHE BASÉE SUR LES DROITS DE L’ENFANT DANS LA PROTECTION DE

A. LES FONDEMENTS DE L’APPROCHE BASÉE SUR LES DROITS DE LA

1. Une approche basée sur le respect de la personne humaine

Contrairement à l’approche abolotionniste, qui se concentre sur la nécessité de combler les besoins de protection de l’enfant travailleur, l’approche preconisée se fonde sur les droits de la personne (a). Elle place le beneficiaire des droits au centre de l’action507(b).

506

L’approche basée sur les droits de la personne procède par une perspective holistique qui permet une réalisation équilibrée des droits substantiels et procéduraux de la personne, de manière à toucher globalement tous les droits de la personne. Sur ce point, voir notamment les travaux d’Amartya Sen sur les aspects instrumentaux et substantifs des droits et les liens qui s’établissent entre eux. Sen, Amartya, « Travail et droits », (2000) 139 Revue

internationale du travail, No. 2, pp. 129-139.

507

Les droits sont au centre de l’approche basée sur les droits de la personne. Il ne s’agit pas de besoins simples à remplir, mais plutôt des droits d’un véritable sujet de droit à réaliser. Le professeur Theo van Boven le souligne avec raison: « In this perspective children are not only the object of care, but inasmuch as the capacities of the child are evolving and her/his personality is developing, the child is the subject of law. The full recognition of the child as a person before the law in the meaning of Article 6 of the Universal declaration of human rights, reaffirms the premise that children’s rights are human rights ». Van Boven, Theo, « Children’s rights are human rights; current

a) Une approche fondée sur les droits de la personne plutôt que sur ses besoins de protection

L’approche basée sur les droits de la personne est une approche basée avant tout sur le respect de la personne humaine508, qui lui-même suppose le respect de la dignité humaine509. Sur cette base, à chaque fois qu’un droit est reconnu à une personne humaine, une obligation correspondante de réaliser ce droit pèse sur une autre personne. Celle-ci peut être une personne physique ou une personne morale, comme l’État. Se joue alors une certaine corrélation entre la personne détentrice de droits (le créancier) et la personne sur qui pèse l’obligation de réaliser ce droit (le débiteur)510. L’intérêt de cette corrélation pour le porteur du droit est essentiel pour le respect de sa personne en tant qu’être humain. Pour souligner cette relation entre le détenteur de droits et le débiteur de l’obligation correspondante, les auteurs Aye Aye Tun et d’autres indiquent que: « […] in a rights-based approach : a rights-holder has a claim on a duty-bearer who is obliged to ensure the rights is realised »511, ils soulignent ainsi le lien qui unit le porteur de droit et le débiteur de l’obligation.

Le respect de la personne humaine suppose également le respect de la spécificité de cette personne, c’est le sens de la perspective des droits de la personne. L’auteure Gainsborough applique cette assertion à la situation des femmes emprisonnées dans les prisons américaines, des femmes qui ne reçoivent pas toute l’attention nécessaire en regard au respect de leur personne en tant que femmes ayant des besoins spécifiques, différents des hommes. En effet, note-t-elle, le système des prisons est conçu pour accommoder les hommes512. L’auteure démontre que ces femmes détiennent les droits de la personne et que l’incarcération ne change

issues and developments », dans Willems, Jan C.M, (dir.), Developmental and autonomy rights of children,

empowering children, caregivers and communities, Antwerpen/Oxford/New York, Intersentia, 2002, p. 13.

508

À propos, l’auteur Pieterse indique que: « [...] rights-based litigation may improve the quality of the lives of vulnerable and marginalizend members of society and may contribute to social transformation ». Pieterse, Marius, « The potential of socio-economic rights litigation for the achievement of social justice : considering the example of access to medical care in South African prisons », (2006) 50 (2) Journal of African Law, 118-131, p. 118.

509

Lienenderg, Sandra, « The value of human dignity in interpreting socio-economic rights », (2005) 21 (1) South

African Journal of Human Rights, 835 - 863, p. 6.

510

En matière de droits de la personne, il y a une nette corrélation entre le créancier et le débiteur d’un droit de la personne; l’État, par exemple, est débiteur de l’obligation de réaliser le droit à l’intégrité physique d’une personne qui en demeure la débitrice. L’auteure Delmas-Marty insiste sur le fait que le respect des droits de la personne était opposable à l’État. Delmas-Marty, Mireille, Les forces imaginaires du droit, Le relatif et l'universel, Paris, Le Seuil, 2004, 240 p, p. 54.

511

Tun, Aye Aye et al., « The domestic fulfilment of children’s rights: Save the children’s experience in the use of rights-based approaches », p. 34.

512

Gainsborough, Jenni, « Women in Prison: International Problems and Human Rights Based Approaches to Reform », (2007-2008) 14 (2) William and Mary Journal of Women and the Law, 271-304, p. 272.

pas leur qualité de personne humaine513. Un usage correct des droits de ces femmes à travers le respect de leur personne avec toutes leurs spécificités constitue une étape dans la mise en œuvre de leurs droits. Il pourrait s’agir des prisons adaptées, des soins de santé particuliers, etc.

Comme dans le cadre des mouvements féministes, qui se sont basés sur les droits de la personne pour réclamer plus de respect de leur personne514, par l’usage de l’approche basée sur les droits de la personne, les enfants aussi méritent l’application d’une telle approche. On note d’ailleurs une similitude entre le mouvement féministe et le courant autonomiste en faveur de l’enfant. L’un et l’autre, prônent le respect de la dignité de la personne et le respect de la personne elle- même avec toutes ses différences. Une auteure estime même, dans le cadre de cette lutte pour le respect de la personne avec toutes ses spécificités, que les droits de l’enfant sont tributaires des acquis du mouvement féministe :

[…] many of the policy achievements of children’s rights movement owe their success directly to the adoption of theoretical frameworks and practical strategies that were originally cultivated within the feminist movement and honed to perfection during the twentieth century. Two prominent examples of such strategies, informed by feminist critique, are the use of the language of rights for children, and the demand for children’s visible participation in much of the decision-making linked to civic and family life. Both these strategies support the construction of the child as a social actor, and both resonate strongly with the type of demands for women that were central to first and second wave feminism515.

En effet, le mouvement féministe, tout comme l’approche fondée sur les droits de l’enfant, milite pour la même cause, le respect du titulaire des droits : la femme pour le premier et l’enfant pour le second.

Une approche basée sur les droits de la personne tient aussi compte des relations entre l’État et les acteurs de la communauté ainsi que du caractère indivisible des droits : « The concept of partenership between state and non-state action and indivisibility of rights is also the core of the human rights - based approach to economic development and growth»516. Le respect de la personne humaine comme élément fondamental de l’approche basée sur les droits de la

513

Gainsborough, Jenni, « Women in Prison: International Problems and Human Rights Based Approaches to Reform », Ibid., p. 280.

514

Le mouvement féministe a fait usage de l’approche basée sur les droits de la personne pour faire avancer l’agenda de promotion et de protection des droits de la femme. Schuler, Margaret A., (dir.), From basic needs to

basic rights: women’s claim to human rights, Washington, D. C., Women, Law and Development International,

1995, notamment à la p. 7.

515

Raitt, Fiona E., « The children’s rights movement: infusion of feminism », préc., note 558, p. 319.

516

Goonesekere, Savitri, « Law reform and children’ rights in plural legal systems. Some experiences in sub- saharan Africa », dans Unicef, Protecting the world’s children. Impact of the Convention on the rights of the child

personne exige l’intervention de l’État dans les rapports interindividuels. Ainsi, toute atteinte à l’intégrité de la personne et de ses droits devrait-elle être traitée comme une violation du respect de la personne humaine et non comme un simple manquement aux besoins de la personne protégée517. Cette approche centrée sur le respect de la personne humaine s’est ainsi propagée pour s’appliquer à l’enfant. Pour ce dernier, elle s’est amorcée il y a une trentaine d’années518. L’approche basée sur les droits de la personne n’est pas exercée au nom de la simple satisfaction des besoins de la personne. Ce sont des droits subjectifs reconnus à l’être humain qu’il s’agit de réaliser. C’est une obligation à réaliser et non un simple devoir de charité ou de générosité à satisfaire. Cette assertion est valable autant pour les adultes que pour les enfants. D’emblée, les auteurs Majka et Ensalaco donnent le ton sur l’approche des droits de la personne appliquée aux enfants: « A human rights approach to the problems confronting children rejects the presumption that children are entitled to only those rights that governments grant them, that the dominant culture will tolerate, or that the market will bear »519. Ainsi, point n’est besoin

d’estimer que les enfants, puisque dépourvus d’une certaine capacité, doivent voir simplement leurs besoins satisfaits. Ces besoins de l’enfant, à l’instar de tout être humain, sont sous-tendus par des droits de la personne qui lui sont reconnus.

Plusieurs autres domaines sont utilisés pour démontrer l’intérêt de respecter les droits d’une personne ou d’un groupe comme des droits de la personne plutôt que comme de simples besoins. Les auteures Daley et Kelly font usage de l’approche basée sur les droits de la personne pour étudier le problème des réfugiés en tant que groupe social particulier. Elles font un parallèle entre la situation des réfugiés et la situation des femmes et des enfants qui constituent des groupes particuliers ayant aussi souffert de persécution en raison de leur âge, de leur genre

517

Plusieurs autres auteurs abondent dans le même sens : Mowbray, Jacqueline, « The Right to Food and the International Economic System : An Assessment of the Rights-Based Approach to the Problem of World Hunger », (2007) 20 (3) Leiden Journal of International Law, 545-69; O'Flaherty, M., « Towards Integration of United Nations Human Rights Treaty-body Recommendations - the Rights-based Approach Model », (2006) 24 (4)

Netherlands Quarterly of Human Rights, 589-606; Pham, J. Peter., « Liberia and Sierra Leone : A Study of

Comparative Human Rights Approaches by Civil Society Actors », (2006) 1 (1) Interdisciplinary Journal of

Human Rights Law, 69-105; Filmer-Wilson, E., « The Human Rights-based Approach to Development : The Right

to Water », (2005) 23 (2) Netherlands Quarterly of Human Rights, 213-41 et Pieterse, Marius, « The potential of socio-economic rights litigation for the achievement of social justice : considering the example of access to medical care in South African prisons », (2006) 50 (2) Journal of African Law, 118-131.

518

Dekker, Jeroen J. H., « The century of the child revisited », (2000) 8 Int’l J. Childs Rts, 133-150, p. 143.

519

Ensalaco, Mark et Majka, Linda C., « Introduction : a human rights approach to the needs of children », dans Ensalaco, Mark et Majka, Linda C. (dir.), Children’s human rights, Lanham, Rowman & Littlefield, 2005, p. 2.

et de leur statut familial520. Par l’usage de l’approche basée sur les droits de la personne, les femmes peuvent se voir reconnues comme un groupe particulier lorsqu’elles fuient une persécution liée à leur situation de femmes521.

En effet, l’approche « genre » est consistante donc avec l’approche basée sur les droits de la personne, car elle permet de résoudre une situation de discrimination en s’appuyant sur les droits de la femme qui interdisent toutes formes de discrimination en raison du sexe de la personne. Ce n'est pas simplement une simple protection qui est visée522. Elles peuvent aussi invoquer, en tant que femmes, la protection contre toute forme de violence qui est un droit humain pour revendiquer une protection de leurs droits en tant que groupe social523. Les auteures affirment: « […] the focus of the human rights analysis for the determination of particular social group is whether the right sought to be exercised is a fundamental human right »524. Elles concluent leur étude en notant que: « If followed consistently the human rights based approach should yield principled and predictable results that are in keeping with the rationale underlying the protection accorded under the other four Convention refugee’s grounds »525. La protection de ces personnes doit ainsi s’appuyer plus sur leurs droits que sur leurs besoins. Une autre auteure met en lumière l’exemple des nouvelles technologies et l’approche basée sur les droits de la personne. Elle indique qu’en ce qui concerne la société de l’information, ce sont les éléments comme le développement et la propagation de l’information qui sont visés. Une telle société laisse peu de places aux les droits de la personne. Une approche fondée sur les droits de la personne paraît mieux indiquée, selon l’auteure, car cette dernière pourrait s’intéresser à tous les enjeux liés à la société de l’information comme le droit à l’image, le droit à la vie privée et le droit à la protection contre toutes formes d’intrusion, tous ces droits

520

Daley, Krista et Kelley, Ninette, « Particular social group : a human rights based approach in Canadian jurisprudence », (200) 12 (2) International Journal of Refugee Law, 148-174, p. 149.

521

Daley, Krista et Kelley, Ninette, « Particular social group : a human rights based approach in Canadian jurisprudence », Ibid., p. 165.

522

Sur l’approche “genre” et son fondement sur les droits de la personne notamment la non-discrimination et l’égalité, voir notamment Wible, Brent, Achieving the promise of girls’ education: strategies to overcome gender- based violence in beninese schools, (2005) 36.3, Columbia Human Rights Law Review, 513.

523

Daley, Krista et Kelley, Ninette, « Particular social group : a human rights based approach in Canadian jurisprudence », Ibid., p. 167.

524

Daley, Krista et Kelley, Ninette, « Particular social group : a human rights based approach in Canadian jurisprudence », Ibid., p. 174.

525

Daley, Krista et Kelley, Ninette, « Particular social group : a human rights based approach in Canadian jurisprudence », Ibid., 174.

constituant des droits de la personne526. Elle note précisément que: « From a human rights perspective, the basic question in developing a regulatory framework for the Information Society should not solely be how to prevent threats to human rights created by ICTs, but it should outline a method to ensure the full enjoyment of all human rights through the support of new technologies »527. Ainsi, face aux nouvelles technologies de l’information et avec l’usage de l’approche basée sur les droits de la personne, respecter le droit à l’image et le droit à la vie privée revient-il à respecter la personne humaine tout simplement.

À l’instar des droits de la personne en général, la protection des droits de l’enfant ne résulte pas simplement de la protection des besoins de l’enfant. Il s’agit de protéger les droits d’une personne humaine528. D’où l’intérêt de partir d’une perspective basée sur les droits de l’enfant plutôt que sur l’approche fondée sur la satisfaction des besoins pour assurer la protection des enfants. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), après avoir utilisé la formule de satisfaction des besoins de l’enfant « nurturance approach » au cours des décennies dans ses programmes, a amorcé un virage pour adopter une formule plus respectueuse des droits de l’enfant « right-based approach»529. L’UNICEF en fait mention dans un de ses documents de travail en ses termes :

Respect for children’s rights cannot be perceived as an option, as a question of a favor or kindness to children, or as an expression of charity. Children’s rights generate obligations and responsabilities that must be honored. For these reasons [the] focus is no longer limited to meeting children’s needs, but on recognition and realization of their human rights530.

Certes, la satisfaction des besoins de l’enfant est d’une importance capitale, mais l’État, la société et la famille ont l’obligation de réaliser les droits de l’enfant.

526

Pekari, Catrin, « The Information Society and Its Policy Agenda : Towards a Human Rights-based Approach », (2005) 18 (1) Revue Québécoise de Droit International, 57-74, p. 73.

527

Pekari, Catrin, « The Information Society and Its Policy Agenda : Towards a Human Rights-based Approach », Ibid., p. 74.

528

Les droits de l’enfant existent comme tous les autres droits des autres personnes. Dingwall, Robert, Eekelaar, John et Murray, Topsy, The protection of children. State intervention and family life, Oxford, Basil Blackwell, p. 223.

529

Sur la transition de l’approche de l’Unicef de la perspective des besoins et bien-être (welfare and nurturance approach) à une approche basée sur les droits (rights based approach), l’auteure Maggie Black affirme avec raison: « The formal recognition that Unicef was a development rather than a welfare organisation came in 1972, when for the first time its work was reviewed as part of the economic and social, rather than humanitarian, activity of the United Nations ». Black, Maggie, Children first, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 11.

530

Santos Pais, Martha, A human rights conceptual framwork for UNICEF, Report of the Division of evaluation, policy and planning, UNICEF International Child Development Center (Florence), 1999, p. 5.

L’implication de l’usage d’une approche basée sur les droits de la personne en faveur des enfants suppose la reconnaissance de l’enfant comme un titulaire de droits et non comme un simple prestataire de soins. L’auteure Grover ajoute que: « Viewing children not simply as objects of charity whose needs require protection but as subjects who possess independant human rights has stimulated an advocavy orientation »531. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies va dans le meme sens : « Implementation of the human rights of children must not be seen as a charitable process, bestowing favours on children»532. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies s’inspire de la meme approche. Le Comité a observé précisément que: « The right to special measures of protection belongs to every child because of his status as a minor»533. On remarque donc une convergence de vue sur l’intérêt de mettre l’accent sur les droits de l’enfant dans le cadre de l’approche basée sur les droits de la personne plutôt que simplement sur celui de ses besoins.

Dans le cadre de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles dont le VIH en Afrique, l’auteur Frans Viljoen impute la faiblesse de la prévention et la recrudescence des infections au double fait que la protection des personnes infectées n’est visée que comme la satisfaction des besoins des malades et non de la réalisation de leurs droits534. L’auteur démontre que la « policy-based approach », une approche basée sur des programmes non contraignants et des institutions bureaucratiques au détriment des lois effectives et des droits des malades qui résulteraient d’une approche basée sur les droits de la personne n’a pas réussi à réduire la prévalence des infections535. Il indique qu’en mettant plus en exergue les éléments d’une approche des droits de la personne, les infections pourraient être mieux jugulées. Une telle approche pourrait mettre en application la lutte contre la discrimination dont les malades du VIH sont victimes; elle s’attachera à faire jouir de l’accès à la santé à ces personnes et enfin, toute obstruction à ces engagements pourrait être considérée comme une violation des droits des

531

Grover, Sonja, Children’s human rights : challenging global barriers to the child liberation movement, Melbourne, Sandstome Academic Press, 2007, p. 215.

532

Committee on the Rights of the Child, General Comments No. 5 : General measures of implementation for the

Convention on the rights of the child (arts. 4, 42 and 44, para. 6), U.N.Doc. CRC/GC/2003/5, 3 octobre 2003,

parag. 11.

533

Human Rights Committee, General Comments No. 17, Rights of the child (Art. 24), 07/04/1989, p. 2.