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L’analyse des limites et des bénéfices de la PWDVA au regard des normes culturelles

CHAPITRE 6 – L’ADAPTATION DU DROIT INTERNATIONAL PAR LES

5. L’ONG en tant que médiateur entre les ordres normatifs

5.1 L’analyse des limites et des bénéfices de la PWDVA au regard des normes culturelles

Dans la population, les points de vue sur la PWDVA ne sont pas unanimes. Pour certains, elle est une loi encourageant un changement social déjà en cours et pour d’autres, l’imposition de normes non représentatives des réalités indiennes. Au regard des analyses sociales et culturelles du chapitre 3, certains répondants ont avancé que les normes codifiées à la PWDVA étaient nouvelles et novatrices dans le système juridique indien501. À l’opposé de certains qui affirment que la PWDVA ne reflète pas les caractéristiques sociales et culturelles indiennes, des répondants ont mentionné que cette loi fait partie d’un changement social réel. « A law is developed from what the society needs and how the society should be. It is not that law says so that we are following it but why the law has said we need it. So the people need to be made aware of as to why the law is changing, how the law is changing. »502 Même si des concepts tels que le foyer partagé, l’union de fait et la violence sexuelle confrontent les ordres

498 Conversation informelle Pooja, avocate et travailleuse sociale, 26 janvier 2013. 499 Conversation informelle Pooja, avocate et travailleuse sociale, 26 janvier 2013. 500 Bahdi, supra note 157, à la p. 880.

501 « I think there are many new milestones which have been set, new concepts, new precedents, the whole thing

of shared household, relationships in the nature of mariage, live-in relationship, somewhere it is beginning to broaden the concept of mariage, as man and woman, one to one, formal ceremonies, it is kind of broadening it out slowly slowly which I think is very positive. », Entrevue Pooja, avocate et travailleuse sociale, 10 avril 2013.

officieux établis, CHEI encourage l’implantation de tels idéaux. « Unless we don’t bring such progressive ideas, how are we really going to make a difference? »503 Pooja affirme que cette loi a été écrite par des Indiennes qui connaissaient les enjeux réels en matière de violence domestique. Bien que certains phénomènes ne soient pas fréquents en Inde, ils demeurent existants. À titre d’exemple, les unions de fait sont de plus en plus courantes et les femmes dans cette situation doivent également être protégées504. De plus, la définition de la violence a été extraite des expériences féminines indiennes. Si des critiques sont formulées sur la non- représentativité de la loi, c’est qu’il y a une construction sociale et subjective de ce qui est moral et ce qui ne l’est pas dans la société indienne505. D’ailleurs, le discours pour la protection de la culture indienne est utilisé par les opposants à la PWDVA, surtout lorsque les changements portent sur la famille et les femmes.506 Dans le même ordre d’idées, les répondants rappellent, à plusieurs reprises, que les droits codifiés à la PWDVA étaient déjà présents dans la Constitution indienne, mais simplement sous un autre vocabulaire. « This is not a new right, it is just a new recognition. »507 En somme, la plupart des répondants perçoivent la PWDVA comme résultant d’un processus de changement social. Le conflit entre les normes des ordres normatifs est constaté, sans toutefois être considéré comme un bien ou un mal. C’est plutôt un phénomène normal dans la société.

[Any] new idea, any new concept is considered as bad. I don’t think that the traditions are in threat. I mean, right now, everything is changing, you have to accept change. Traditions will stay, traditions will go. […] It is a process of change. It happens everywhere, it is going to happen here as well. The thing is whether you accept it or not, whether you want to change with it.508

Tel que souligné précédemment, CHEI prétend appliquer une approche des droits humains pour l’élimination de la violence domestique à l’égard des femmes. Au contraire du droit international qui semble déconnecté de la réalité indienne, le droit national semble plus facile à mobiliser, autant dans sa portée pratique qu’idéologique. En raison de la difficile mise

503 Entrevue Nandini, directrice, 2 mai 2013.

504 « Women need to be protected whenever their situations are. Since living relationships are occurring, the act

has to recognize it. […] Through the integration of such a concept, the act did a “bull step”. » Entrevue Vikram, avocat, 15 avril 2013.

505 Entrevue Pooja, avocate et travailleuse sociale, 10 avril 2013.

506 Entrevue Ambu, avocate, 26 février 2013. « When you want to get all the benefits, then you want the laws but

when it’s about the family, then women can die to sacrifice. »

507 Entrevue Vikram, avocat, 15 avril 2013.

en œuvre de la PWDVA et des retards dans les procédures judiciaires509, CHEI l’utilise dans sa portée émancipatrice. La PWDVA introduit des principes qui n’étaient pas codifiés autrefois, donnant ainsi une légitimité à la lutte contre la violence. La PWDVA reconnaît explicitement les droits des femmes et permet également aux femmes d’en prendre conscience. CHEI mobilise la loi en tant qu’outil pour ancrer des normes du droit national et international. La traduction se trouve facilitée par ces normes explicitement définies. L’organisation identifie alors les idéaux à appliquer et des éléments du droit vivant à changer. D’ailleurs, par la dénonciation de la violence domestique, les victimes reconnaissent indirectement le besoin de changement dans les pratiques et les identités culturelles. « [Women] (and supportive NGOs) have sought redress or protection from official legal norms as a way to escape or combat oppressive customary normative systems »510. Les femmes usagères, aidées par CHEI, mobilisent certaines normes de la loi nationale, et résistent à d’autres. Par exemple, elles reconnaissent et acceptent qu’elles sont victimes de violence psychologique, mais refusent d’être séparées du foyer familial partagé.

En dernier lieu, la majorité des répondants affirment que la PWDVA contient des droits humains qui ont été adaptés aux réalités socioculturelles de l’Inde. « You can’t take the text out of the context. »511 C’est pour cette raison, par exemple, que les concepts de famille élargie, de mariage, de foyer partagé et de violence reflètent des situations typiques des victimes indiennes. Certaines caractéristiques appartiennent aux normes sociales et culturelles particulières à l’Inde, dont les violences liées à la dot, les brûlures, l’intimidation liée à l’incapacité d’engendrer, etc. Les exemples sont multiples. Quant aux droits humains, des liens étroits sont établis. Dans une des entrevues, la répondante fait un lien entre les droits humains, la violence domestique et le droit à l’alimentation : « Through counseling, we try to show them that they have the right to food, to enough food, to quality food. That cannot be denied. This is also a human right. »512 Les droits humains dans la PWDVA sont associés à des droits plus pratiques : le droit à la pension alimentaire, le droit à la résidence, etc. Par contre,

509 Voir chapitre 5. Il est important de mentionner que, sur près de 400 cas enregistrés à CHEI, les démarches

pour remplir le DIR ont été initiées seulement pour sept. Les cas poursuivis devant les tribunaux aux termes de la PWDVA ne sont que du nombre de deux. Document CHEI.

510 Tamanaha, supra note 4, à la p. 400.

511 Entrevue Mohini, professeure et avocate, 25 avril 2013. 512 Entrevue Nandini, directrice, 2 mai 2013.

une seule répondante a mentionné qu’aucun lien ne pouvait être fait entre les droits humains et la PWDVA, considérant que les droits humains incluent les femmes et les hommes, tandis que la PWDVA porte seulement sur les femmes513. Au contraire, d’autres répondants mentionnent que la perspective de genre est le point commun entre les ordres normatifs. Inévitablement, ces interprétations par les vernacularisateurs ont un impact important sur la façon d’aborder la problématique et d’intervenir.